LE PARISIEN WEEK-END. Absence de coopération des grandes puissances, incapacité à condamner les responsables de crimes contre l’humanité, juges soupçonnés de collusion d’intérêts, victimes laissées pour compte… La Cour pénale internationale, institution judiciaire créée il y a tout juste vingt ans, est aujourd’hui largement contestée.
Elle devait être la Cour du « plus jamais ça », la voilà sur le point de devenir celle du « tout ça pour ça ». Vingt ans après la signature de son traité fondateur, le 17 juillet 1998, la Cour pénale internationale(CPI) célèbre un piteux anniversaire.
Edifiée sur l’espérance d’un monde délesté de l’impunité longtemps accordée aux bourreaux, cette justice universelle et idéale n’en finit pas de décevoir.
Début juin, sa volte-face dans le procès en appel de l’ex-chef de guerre et leader congolais Jean-Pierre Bemba a stupéfié les observateurs : à l’issue d’une condamnation en première instance à dix-huit ans de prison pour une série de meurtres et de viols commis par sa milice, en Centrafrique, entre 2002 et 2003, la Cour a prononcé l’acquittement de l’ennemi juré du président du Congo, Joseph Kabila.
L’ancien leader serbe Slobodan Milosevic, inculpé pour crimes contre l’humanité et génocide en 1999, mourra en 2006, avant la fin de son procès. (Stringer/Reuters)
Partialité politique
Rendu au terme de huit ans de procédure, « ce verdict résulte des approximations et de la faiblesse de l’accusation, rétorque Juan Branco, avocat en droit international. La CPI est “hors-sol” : elle n’a pas de vrai pouvoir d’enquête, ne se rend pas sur le terrain et travaille sur des pseudo preuves transmises par des organisations non gouvernementales (ONG) ou des gouvernements partiaux, puisqu’ils sont impliqués dans les situations instruites ».
Dans le dossier Bemba, l’ex-président centrafricain, Ange-Félix Patassé, et son successeur, François Bozizé, malgré leur responsabilité dans le conflit, n’ont jamais été inquiétés. Actuellement en cours, le procès de Laurent Gbagbo, président de la République de Côte d’Ivoire de 2000 à 2011, livré à la CPI en 2011, pourrait connaître le même épilogue, tant les accusations de « crimes contre l’humanité » qui le visent peinent à être étayées et portent le sceau de l’arbitraire politique.
De nobles ambitions mais peu de résultats
Dans son quartier général de La Haye, aux Pays-Bas, la CPI aspirait pourtant à confondre les coupables des pires atrocités. Après le procès de Nuremberg, destiné à juger les responsables des crimes nazis au sortir de la seconde guerre mondiale, et les tribunaux spéciaux instaurés après les massacres et génocides commis en ex-Yougoslavie et au Rwanda, elle promettait de sanctionner des hommes dont les turpitudes heurtent les consciences et les âmes. Pour l’Histoire, pour la mémoire, pour les victimes.
Acquitté en juin dernier, l’ex-vice-président de la République démocratique du Congo Jean-Pierre Bemba se présente à la présidentielle, prévue en décembre. (AFP)
Las, en seize ans d’existence effective, elle s’est assoupie sur les lauriers qui ornent son logo. Les lauriers de sa défaite « face aux maîtres du monde qui l’instrumentalisent », fustige Juan Branco, auteur d’un livre sur cette cour qu’il a fréquentée au titre d’éphémère assistant spécial de son premier procureur, le juriste argentin Luis Moreno Ocampo, épinglé pour son inefficacité et… ses sociétés offshore.
L’an dernier, huit médias internationaux, dont Mediapart, ont révélé dans l’indifférence générale que, pendant son mandat (2003-2012), le « vertueux » procureur détenait des comptes au Panama et aux îles Vierges ! A ce jour, la Cour, elle, a englouti 1,5 milliard de dollars pour aboutir à trois condamnations de « seconds couteaux » (deux miliciens congolais et un jihadiste malien), à l’acquittement d’un chef de guerre congolais en plus de celui de Bemba, et à une flopée de poursuites abandonnées.
Et si les juges qui y officient perçoivent 15 000 euros de salaire mensuel, les victimes reconnues à l’issue des rares et interminables procès bouclés n’ont pas perçu un denier en réparation des crimes subis ! « Rêvée par des Européens convaincus que le droit pouvait triompher de l’horreur, soutenue par des Etats africains incapables de s’opposer à leur volonté, la CPI n’a jamais rallié les grandes puissances, détaille l’ex-ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine. Elle est née bancale et porte en elle les gènes de la désillusion. »
Absents du club des Etats qui l’ont ratifiée, les Etats-Unis, la Chine et la Russie refusent de coopérer. Mais en qualité de membres permanents du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU), ces géants peuvent néanmoins la saisir pour initier des enquêtes, les interdire ou les dissuader.
La Russie et la Chine protègent la Syrie
« Alors qu’un rapport imparable sur les crimes des Américains en Afghanistan a été remis au bureau du procureur en 2012, la CPI tergiverse, s’agace Juan Branco. Un examen préliminaire a été engagé cette année et rien ne dit que, si une enquête était ouverte, elle ne porterait pas sur les seules exactions des talibans, tant les Etats-Unis feraient barrage ! »
Variation sur les mêmes entraves, la Russie et la Chine ont, en 2014, bloqué un projet de résolution défendu par la France sur une saisine de la CPI dans le cadre des horreurs perpétrées en Syrie. En Libye, en revanche, la Cour s’est illustrée par une célérité inédite : sur ordre du Conseil de sécurité, le procureur Ocampo a délivré en trois semaines chrono un mandat d’arrêt contre Mouammar Kadhafi.
Pour l’arrestation du leader libyen Mouammar Kadhafi, la CPI a su faire preuve de célérité : le procureur a délivré en trois semaines chrono un mandat d’arrêt. (M. Turkia/AFP)
« Il s’agissait là de préparer l’opinion à l’intervention militaire de l’Otan et à l’élimination de Kadhafi», commente la journaliste Stéphanie Maupas, auteure du livre Le Joker des puissants, le grand roman de la Cour pénale internationale.
Comble du cynisme, trois ans après son départ, Luis Moreno Ocampo a conseillé de potentiels criminels de guerre libyens afin qu’ils échappent aux radars de la CPI… en échange de juteux émoluments. Un mélange des genres lourd à porter pour Fatou Bensouda, son ancienne adjointe, qui lui a succédé en 2012.
Au demeurant, les états de service de la procureure générale déroutent. « Premier personnage de la Cour, cette avocate gambienne fut, dans les années 1990, conseillère juridique du président de son pays, le dictateur Yahya Jammeh (au pouvoir jusqu’en 2017, NDLR) », vitupère Juan Branco.
« C’est terrible mais les gens ne se résument pas aux postes qu’ils ont occupés, nuance Karine Bonneau, de la FIDH. Aujourd’hui, Fatou Bensouda se débat avec les dossiers mal ficelés par son prédécesseur et compose avec des juges dont beaucoup ne sont pas magistrats : les Etats qui les élisent préfèrent présenter des diplomates à ces postes afin d’influer sur les procédures. » Vous avez dit politique ?
Dix enquêtes visent des pays africains
Scrutatrice des cahots de la Cour, Stéphanie Maupas décrit « une justice borgne qui, avec une prudente lâcheté, ne regarde que les crimes des peuples en déroute et oublie ceux des nations qui imposent leur domination ».
Sur onze enquêtes ouvertes, dix visent en effet des pays africains. Et jamais la prison de Scheveningen, dans les faubourgs de La Haye, n’a accueilli de « pensionnaire » blanc. C’est dans ce pénitencier qu’Albert Bourgi, agrégé de droit public et expert en relations internationales, rend régulièrement visite à son ami Laurent Gbagbo.
« En 1998, j’ai plaidé pour une CPI qui aurait protégé les Africains des tortionnaires, avance-t-il. Mais aujourd’hui, elle traque les Noirs qui ne sont pas adoubés par l’ONU. Résultat, trois pays africains l’ont désertée en 2016. Quant au sort infligé à Gbagbo, il est scandaleux. »
Retour en 2010 : dans la foulée du scrutin présidentiel de novembre, en Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara revendiquent tous deux la victoire. Le second est investi mais une crise politique oppose leurs partisans.Bilan : 3 000 morts. Proche de Nicolas Sarkozy, qui s’enorgueillit d’avoir « sorti Gbagbo », Ouattara est sollicité par la CPI, en avril 2011, afin que ses hommes gardent Gbagbo prisonnier en Côte d’Ivoire.
Une demande exprimée sans base légale et téléguidée par la diplomatie française, comme l’attestent des courriels entre Ocampo, Ouattara et des représentants du ministère des Affaires étrangères. Soucieuse de sécuriser « son président » et d’éviter une déstabilisation du pays, la France a assujetti la CPI.
Accusé d’actes inhumains contre des civils lors des troubles post-électoraux, Gbagbo est transféré à la CPI en novembre 2011. Seul dans le viseur, alors que plusieurs rapports documentent les exactions du camp Ouattara. Sélectives et peu corroborées par les 82 témoins auditionnés lors de son procès, les charges qui incriminent le leader ivoirien menacent désormais de s’effondrer.
Des failles pointées par Emmanuel Altit, l’avocat de Laurent Gbagbo, dans une requête soumise à la Cour, fin juillet. Après Jean-Pierre Bemba, l’ex-président ivoirien pourrait quitter les geôles de Scheveningen. Un scénario qui entacherait la crédibilité d’une CPI déjà moribonde.
Des Ivoiriens fuient les combats entre les partisans de Laurent Gbagbo (ci-dessus) et de son adversaire, en avril 2011. Mais les charges qui pèsent contre l’ex-président de la Côte d’Ivoire sont fragiles et le leader pourrait finalement être libéré. (Zoom Dosso/AFP)
Source: .leparisien.fr