Par Dr Dinignako Coulibaly
Financée à coût de milliards et annoncée en grande pompe, la Couverture Maladie Universelle (CMU) version ivoirienne discrimine les populations les plus vulnérables. Le Pharmacien Dinignako Coulibaly propose plutôt la Couverture Maladie de Solidarité.
Monsieur le Ministre, Cher confrère,
« Alors que la Côte d’Ivoire est la 1ère puissance économique de l’UEMOA et la 2ème économie de la CEDEAO, l’espérance de vie en Côte d’Ivoire est estimée à 54,6 ans classant notre pays à l’arrière du peloton en Afrique et donc dans le monde ; la moyenne africaine étant de 61,2 ans.
L’espérance de vie en bonne santé, elle, est estimée à 48,3 ans comparée à la moyenne africaine de 53,8 ans. Notre système de santé est donc en panne et Il est primordial et même urgent de le reformer en profondeur. Le budget alloué à la santé qui était de 6% du budget total de l’état en 2017 passe aujourd’hui à 5% (budget que vous avez défendu devant le Senat ce 10 décembre 2020). Cette baisse d’un point est incompréhensible alors que nous devrions avoir en ligne de mire les 15% du budget total de l’état, proportion correspondante à l’engagement pris par notre pays et les autres pays africains lors de la déclaration d’Abuja en avril 2001.
Ceci dit, toute la Côte d’Ivoire s’était réjouie de la mise en route de la Couverture Maladie Universelle (CMU) par la loi n° 2014-131 du 24 mars 2014.
Cette CMU obligatoire et couvrant l’ensemble des populations résidant en Côte d’Ivoire est censée permettre à tous les citoyens de pouvoir se soigner quel que soit leurs niveaux de revenus. Mais la phase de test, démarrée le 1er juillet 2019 a montrée des résultats qui, de notre point de vue, sont loin d’être mitigés mais sont carrément négatifs.
Les pharmaciens, quoique volontaires pour servir les porteurs de cartes CMU, n’ont pas les moyens techniques de stocker tous les produits dédiés exclusivement à cette assurance. En effet, comme vous le savez, les médicaments délivrés aux titulaires de la CMU, fournis par la Nouvelle Pharmacie de Santé Publique (NPSP) via les grossistes privés constituent un stock spécial que les pharmaciens doivent gérer parallèlement à leur gestion habituelle. Aussi, l’approvisionnement, le stockage et la gestion de ce stock de produit pose problème à la grande majorité des pharmacies.
Les bénéficiaires de CMU subissent donc toutes sortes de frustration et pour les plus nantis la solution consiste souvent à payer de leurs poches les équivalents classiques des produits prescrits faute de les trouver en pharmacie après une humiliante et harassante errance.
Monsieur le ministre, la CMU dans sa forme actuelle est donc inopérante et sa tare réside dans la volonté affichée dès le départ de la généraliser à tous les citoyens. Le président, lors de sa prestation de serment ce lundi 14 décembre 2020, n’a d’ailleurs-t-il pas déclaré que la Couverture Maladie Universelle (CMU) va être généralisée à toute la population ?
Monsieur le ministre, la CMU ne fonctionne pas et tous les professionnels de santé ainsi que les usagers eux-mêmes, vous le diront.
Il est donc nécessaire voire indispensable, avant sa généralisation, de réfléchir à une réforme en profondeur de ce beau projet qui, bien mené, sera salvateur pour le système de santé de notre pays.
La Couverture Maladie de Solidarité (CMS) devra être une assurance de solidarité pour les personnes sans revenue ou à revenue faible c’est-à-dire toutes les personnes non couvertes par une assurance privée ou par la MUGEFCI.
La CMS sera gratuite pour son bénéficiaire et financée par une légère augmentation de la TVA et un impôt de solidarité dont les contours pourront être discutés.
Les titulaires de la CMS devront pouvoir bénéficier des mêmes conditionnements de médicaments que les titulaires des autres assurances notamment les titulaires de la MUGEFCI. La liste des médicaments remboursables pourrait ainsi être calquée sur celle de la MUGEFCI qui sera la référence.
Mais afin que la CMS ne soit un gouffre financier, elle devra être mise en place dans le cadre d’un projet global d’obligation d’affiliation à une assurance maladie.
La CMS coexisterait donc avec un certain nombre d’autres assurances permettant ainsi de couvrir l’ensemble de la population vivant dans le pays. Le maillage suivant est proposé :
- MUGEFCI (Mutuelle Générale des Fonctionnaires) : La MUGEFCI mutuelle dont le fonctionnement semble exemplaire et qui devrait constituer une référence pour la gestion de la CMS. Le fonctionnement de la MUGEFCI avant l’avènement de l’actuelle CMU doit être conservée car la MUGEFCI, quoiqu’ayant connu des difficultés dans le passé, est devenue une référence en matière de gestion d’assurance.
- Assurances privées : Obligation d’affiliation à une assurance maladie privée pour tous les salariés du secteur privé. Chaque employeur sera donc obligé d’affilier ses salariés à une assurance en payant un certain pourcentage de cette cotisation, le reliquat restant à la charge de l’employé. Une négociation avec les syndicats et le patronat devrait pouvoir permettre de trouver rapidement un terrain d’entente sur la répartition employeurs/employés.
- Mutuelle des agriculteurs : les secteurs agricoles les mieux organisés tels que les filières Cacao, Café et autres devraient pouvoir bénéficier d’une assurance qui leur est propre. Des sommes forfaitaires prélevés sur leurs productions couvriraient les frais de cotisations d’assurance des agriculteurs. Les agriculteurs des secteurs moins bien organisés seraient eux assujettis à la CMS.
En ce qui concerne les coûts des assurances, une négociation devra être entreprise avec le secteur afin de réduire de façon drastique les coûts actuels des assurances maladies et ceci par le mécanisme des économies d’échelle.
Monsieur le ministre, conserver la Couverture Maladie Universelle (CMU) en l’état serait décider de tuer ce beau projet qui, s’il est reformé, permettra à coup sûr de réduire la mortalité dans notre pays.
Les propositions faites ici peuvent permettre de sortir de l’impasse dans lequel la CMU risque de nous conduire mais peu importe qu’elles aient votre adhésion ou pas. Nous osons juste espérer que la question soulevée aura toute votre attention et que vous la creuserez pour le bonheur de l’ensemble de vos concitoyens.
Merci enfin pour l’attention particulière, que vous porterez à cette lettre ouverte ».
N.B. Le titre est de la rédaction