Par Famo Moumouni*
« Il aurait sans doute été plus convenable au regard de l’objet de cet article, que l’intitulé utilise le futur. Si j’ai opté pour l’usage du présent, c’est que le futur est dans le présent. C’est en préparant aujourd’hui que l’on obtient demain. L’Afrique de demain est dans celle d’aujourd’hui par l’homme, sa première richesse, par ses ressources qui demandent à être mises au service de l’épanouissement de l’homme », c’est ainsi que le Dr Farmo Moumouni décrypte l’avancée de l’Afrique des Africains et par les Africains.
La voie de l’émancipation passe bien évidemment par la sortie des catégories dans lesquelles l’Afrique est enfermée. Ces catégories : pays sous-développés, pays en voie de développement, pays les moins avancés, pays arriérés, pays pauvres, pays du tiers-monde ou du quart-monde, nous classent pour nous inféoder, nous guident pour nous désorienter, nous rabaissent pour nous complexer, en même temps qu’elles nous suggèrent des comportements et des attitudes à adopter.
Toutes ces catégories sont des euphémismes, elles signifient une seule et même chose : que l’Afrique est la dernière région du monde dans ce qu’il est convenu d’appeler le développement.
L’occident – l’Europe en particulier – qui a produit ces catégories pour nous y enfermer, cette Europe qui, du 15e siècle au 20e siècle a dominé le monde, a été, à un moment de l’histoire de l’humanité, la dernière région du monde en termes de développement. Pourquoi, s’il a été donné à la dernière d’être première, la dernière ne pourrait pas nourrir l’ambition d’occuper les premiers rangs ?
L’histoire est le lieu de l’avènement, de la succession, de la maturation et de la dégénérescence des forces. Les forces s’affrontent, se subjuguent, triomphent les unes des autres, mais aucune ne peut vaincre les temps historiques qui changent le rapport des forces.
Le changement du rapport des forces est un mouvement historique continuel. Aujourd’hui, les forces de demain se dessinent au milieu des soubresauts, des entraves, des violences et des résistances créées par la réaction des forces anciennes.
Nous ne sommes pas seuls dans le monde aujourd’hui, nous ne serons pas seuls dans le monde de demain. Comme nous, d’autres forces préparent demain. La Chine et l’Inde sont déjà présentes sur le chemin que nous voulons emprunter. Avec ces forces qui montent, nous ne partageons pas seulement le même chemin, nous avons aussi un destin commun. Autrefois dominées, colonisées, l’Afrique, la Chine et l’Inde peuvent marcher ensemble ; elles gagneraient à collaborer parce que toutes les trois travaillent à l’émancipation de leurs peuples respectifs. La collaboration est une bonne chose sans doute, elle devient une chose meilleure lorsqu’on s’y engage en ayant compté sur moi-même d’abord.
L’Afrique comptera en 2050 deux (2) milliards d’êtres humains et représentera le quart de l’humanité. Mais déjà, dans moins de deux décennies, avec plus d’un milliard et demi d’habitants, elle dépassera la Chine et l’Inde en population. L’Afrique sera alors le continent le plus peuplé et les Africains seront les hommes les plus nombreux sur la surface de la terre. Elle aura aussi la population la plus jeune du monde (les 15-24 ans).
L’Afrique possède 65% des terres arables au monde. Elle détient le tiers des ressources naturelles dont certaine (cuivre 97%, coltan 80%) n’existent presque exclusivement qu’en Afrique. Les fleuves africains comptent parmi les plus longs du monde, d’immenses réserves d’eau reposent sous le sol africain. Les ressources énergétiques renouvelables sont abondantes (solaire, éolienne, biomasse)
L’Afrique marche vers un point où la convergence de la démographie et la disponibilité des ressources, feront d’elle, demain, une force qui monte. Une Afrique du grand nombre s’annonce, elle appelle l’amélioration des conditions d’existence de tous, l’égalité, la liberté, la justice, la responsabilité et le respect.
Le grand nombre africain témoignera de notre présence non négligeable dans le monde, mais ne nous confèrera pas le pouvoir d’influencer les affaires du monde. L’élévation de l’Afrique exige donc que l’on insuffle au grand nombre africain le dynamisme qui sied, celui qui permettra de porter le continent, afin qu’il occupe dans le monde, la place qui lui revient. Cette œuvre de dynamisation incombe aux Africains eux-mêmes : nous devons compter sur nous-mêmes d’abord.
Compter sur nous-mêmes, c’est d’abord asseoir notre unité, car c’est l’unité qui génère la force capable de hisser le continent à son faîte. Si la force procède de l’unité, l’unité doit émaner de la prise de conscience de notre appartenance à une histoire commune et à une culture commune. La grande diversité humaine qui tombe sous les sens en Afrique Noire ne doit pas être un leurre ; elle n’est que l’expression de l’adaptation des composantes multiples d’un même peuple à des conditions d’existence singulières.
Clans et tribus, ethnies et nationalités ne sont que les branches du même peuple. En dépit des chemins différents qu’ils ont empruntés, des environnements divers dans lesquels ils ont vécu, et des expériences particulières qu’ils y ont acquises et qui les ont façonnés, les fonds historiques culturel sont partout les mêmes. Les différences sont apparentes, elles relèvent de l’accident non de l’essence.
Dévoiler la vérité qui se dissimule sous les apparences exige que l’on privilégie, dans notre éducation, dans nos formations, dans nos écoles et dans nos universités, ce qui fait de nous un ensemble unique. S’unir, c’est devenir plus fort, mais c’est aussi enlever à l’autre la capacité d’utiliser nos différences pour nous dresser les uns contre les autres, dans le dessein de nous affaiblir et de nous dominer.
Compter sur nous-mêmes, c’est aussi dans un monde où nous vivons avec d’autres forces, où nous sommes objets de convoitises, assurer notre sécurité par nos moyens propres. Or la force ne connait de limite que la force. L’efficacité de notre force résidera dans sa capacité de protéger nos peuples, nos richesses et nos frontières, mais aussi et surtout contenir toute agression extérieure.
Nous avons besoin de l’unité pour avancer, mais nous n’avancerons avec assurance et diligence vers nos objectifs, que lorsque les dangers seront réellement absents et quand nous aurons le sentiment d’être à l’abri de ces dangers. La sécurité est le garant du développement.
Qu’est-ce que le développement sinon l’utilisation optimale par le génie de l’homme des ressources que la nature met à sa disposition pour améliorer la vie de l’homme ? L’homme placé au centre de ce processus, assure l’ensemble des activités que l’on regroupe sous ce vocable de développement.
L’homme qui ne souffre ni de malnutrition ni de faim, qui est en bonne santé, se trouve dans de meilleures dispositions d’apprentissage et d’acquisition de connaissances théoriques et pratiques, historiques et culturelles, techniques et scientifiques, sociales et professionnelles, qui le rendent apte à améliorer son existence et à transformer sa société.
La place de l’éducation dans le processus de développement est capitale. Par les connaissances qu’elle charrie, les perspectives nouvelles qu’elle ouvre, les avancées et les progrès qu’elle permet d’enregistrer dans tous les secteurs, elle fonctionne à la fois comme un levier sûr et un adjuvant indispensable à l’épanouissement des activités économiques, culturelles, sociales et politiques qui participent à l’élévation de l’homme. C’est l’éducation qui mettra en lumière le passé commun et la culture commune des Africains, c’est elle qui favorisera la prise de conscience de la communauté d’intérêts et de destin. Ce sont les lumières de l’éducation qui éclaireront la nécessité de l’unité et guideront les Africains dans sa réalisation. C’est enfin de l’éducation que proviendront les compétences que l’Afrique revendique pour son développement.
Compter sur nous-mêmes, c’est produire au moyen d’une éducation de qualité, un homme qui sait et qui sait faire pour qu’advienne le développement. L’engagement résolu des Africains ayant domestiqué les savoirs et les savoir-faire des sciences et des technologies fera en sorte que les terres arables du continent restent africaines, que leur mise en valeur et leur productivité accrue nourrissent les Africains. Ces Africains feront en sorte que les enfants naissent pour vivre, que les mères ne meurent pas en donnant la vie; que tous disposent de médicaments fabriqués sur le sol africain, et reçoivent des soins dans des centres de santé décents et compétents.
À notre économie, ils imprimeront une direction nouvelle et un élan nouveau afin qu’elle réponde à nos besoins avant de satisfaire ceux de nos partenaires, et qu’elle génère les moyens de son propre financement. Ils auront pris des dispositions pour l’émanciper de la rente des matières premières afin qu’elle se diversifie, et des mesures pour qu’elle produise, transforme et consomme localement, afin que l’Afrique commerce avec elle-même. À cette fin, ils auront mis en place des infrastructures adéquates, des moyens de communication et d’information performants connectant toutes les parties du continent.
Dans cette Afrique où l’éducation aura vivifié les consciences, nul ne pourra se faire monarque, potentat ou dictateur. Nul ne pourra se prévaloir de ses origines, de son ethnie, de sa région, de sa couleur, de son sexe ou de sa religion pour se placer au-dessus des autres, car en Afrique comme ailleurs, l’homme veut l’égalité, la liberté et la justice. Nul ne pourra confisquer à son profit, au profit de sa famille, de son clan ou de son ethnie, les richesses qui appartiennent à tous.
Élus, gestionnaires et décideurs n’auront de pouvoir que celui que les peuples leur auront accordé pour qu’ils servent l’intérêt général. Et, s’ils ne peuvent le servir, ils rendront au peuple le pouvoir qui appartient au peuple. À l’Africain assujetti d’hier, à l’Africain d’aujourd’hui paralysé par les complexes d’infériorités, aura succédé l’Africain libre de toute domination, œuvrant dans l’égalité avec ses pairs et avec les autres hommes à la prospérité et à la dignité de l’Afrique. Allons! Africains, n’entendons point que l’Afrique est mal partie, car l’essentiel n’est pas de partir bien ou mal, mais d’arriver plutôt bien que mal.
*Docteur en philosophie, écrivain