Quatre vidéos existent, mais l’une a particulièrement circulé. Sur Facebook, elle a récolté plus de 300 000 vues, et 1400 « j’aime ». La personne transgenre [personne s’identifiant au genre opposé à celui de sa naissance, NDLR] est forcée à se déshabiller, alors qu’en fond, on entend plusieurs hommes s’adresser à la victime en bambara, proférant des insultes.
Selon les informations recueillies par France 24 auprès de l’association AREFM, qui défend les droits des personnes trans au Mali, du responsable de la discothèque Cotton club et de sources policières ayant requis l’anonymat, cette scène s’est déroulée à Bamako, derrière la boîte de nuit VIP dans le quartier de l’hippodrome, le 14 septembre dernier vers 9h du matin.
« J’ai entendu la victime se faire agresser depuis mon bureau et j’ai dit à mes employés d’aller essayer de l’aider. Ils sont arrivés trop tard, elle était en train de prendre la fuite. Ils m’ont dit qu’ils l’avaient aperçue et qu’elle était mal en point, ensanglantée au niveau de l’entrejambe et du torse », a précisé le responsable de la discothèque Cotton club auprès de France 24.
Des images de l’agression ont commencé à circuler sur Facebook et Whatsapp dès le 16 septembre. Elles ont été transmises à notre rédaction par Whatsapp le 8 octobre 2018.
Un extrait de cette vidéo a notamment été publié le 16 septembre sur la page « L.c.h.m Chico 223 », qui publie régulièrement des vidéos de ce type, assorties de commentaires haineux visant la communauté LGBT. Le sigle « LCHM », qui signifie « Lutte contre l’homosexualité au Mali » [sic], fait référence à une constellation de pages et profils Facebook de même type, plus ou moins violents. Contacté par la rédaction des Observateurs, un des administrateurs de la page « L.c.h.m Chico 223 », se présentant sous le nom de « Chico », a nié être en contact avec les agresseurs.
« LCHM en marche, le nouveau slogan : « Il y en a encore à l’hippodrome ». Elle/il a retrouvé sa dose maintenant, c’est ce qu’il te fallait milou. Ceux ou celles qui veulent la vidéo complète peuvent me contacter en inbox », écrit « Chico » en légende de sa publication dans un français corrigé par la rédaction des Observateurs de France 24. En légende de la plupart des vidéos postées par cet administrateur, les membres de la communauté LGBT sont affublés du surnom « milou ».
Au total, quatre vidéos ont circulé sur Whatsapp, montrant la même victime agressée à deux reprises : la première agression a eu lieu e 14 septembre, la seconde quelques jours plus tard. Mises bout à bout, ces images durent 3 minutes et 13 secondes.
La rédaction des Observateurs de France 24 a décidé de ne pas publier ces vidéos, compte tenu du degré de violence et d’humiliation dont elles témoignent. Nous reproduisons ci-dessous quelques captures d’écran floutées par nos soins, et une partie du dialogue entendu dans les vidéos en bambara, une langue locale malienne, traduite grâce à nos Observateurs.
« Enlève tous tes habits. Un pédé ici ?! tu oses ? […] Ne le laisse pas s’enfuir ! […] Qu’est ce qui t’amène à faire ça ? enlève ton caleçon ! Pédé, tu n’as pas honte ? », lancent les agresseurs à la victime qui leur répond « je ne suis pas gay » et les supplie de l’épargner : « par la grâce de Dieu, préservez-moi de l’humiliation ». Quand un agresseur lui demande « qui est ce qui t’as mis dans ça ? Comment peux-tu être gay ? », la victime répond être « orphelin de père et de mère ».
Une autre vidéo de 43 secondes montre la suite de l’agression. La victime est allongée sur le sol, nue, recouverte de terre et de sang et frappée avec une barre en fer et un fouet par deux hommes.
Dans cette deuxième vidéo, la victime n’est manifestement plus en mesure de répondre à ses agresseurs. Ceux-ci enchaînent les insultes : « Malédiction », « regarde-moi ce fils de damné ».
Selon nos informations, la victime aurait ensuite été soignée à l’hôpital Gabriel Touré de Bamako. La rédaction des Observateurs a contacté l’hôpital à plusieurs reprises pour obtenir confirmation, sans succès. Nous mettrons à jour cet article si une réponse nous parvient.
Les deux dernières vidéos – tournées ultérieurement sans que nous n’ayons pu établir avec certitude la date – montrent la même victime, habillée différemment, filmée en gros plan. Elle présente plusieurs hématomes sur le visage et le bras droit. Plusieurs personnes l’insultent et menacent de la tuer avant de déverser un liquide non identifié sur son visage. Au même moment, un homme s’exclame « envoyez une allumette », laissant entendre que le liquide serait inflammable.
Des menaces de morts sont proférées à plusieurs reprises : « Où est ce qu’on peut avoir un fleuve pour qu’on aille le tuer ? ». « Laissez-moi avec mes problèmes », leur demande la victime. « Quoi ? Te laisser avec tes problèmes ? Tu te permets de nous sortir une telle bêtise ? Bâtard ! », lui répondent-ils.
La rédaction des Observateurs de France 24 n’a pas pu à déterminer avec précision si la victime était ou non toujours en vie. En sollicitant de nombreuses personnes membres ou proches de la communauté LGBT pour tenter d’entrer en contact avec elle, il est apparu très clairement que tous estimaient bien trop risqué de s’exprimer sur le sujet de la transphobie et de l’homophobie au Mali.
>> LIRE SUR LES OBSERVATEURS : ENQUÊTE – « Chasse aux homosexuels » au Mali : les accusations s’organisent sur Internet (1/2)
La police de Bamako a par ailleurs affirmé à France 24 qu’une enquête avait été ouverte le 17 septembre pour retrouver les auteurs de ces agressions.
Contrairement à d’autres pays du continent, la loi malienne ne punit pas les rapports homosexuels non-marchand entre adultes consentants, mais elle ne protège pas non plus les membres de la communauté LGBT des discriminations. Selon une étude menée par l’institut américain Pew Research Center en 2007, 98 % des adultes maliens estiment que « l’homosexualité est un mode de vie inacceptable ».
« Depuis 2017 , une centaine de vidéos montrant des transsexuels humiliés, insultés ou frappés ont été diffusées sur les réseaux sociaux »
Pour les personnes trans mais aussi pour toute la communauté LGBT, les insultes et le chantage font partie du quotidien. Depuis 2017 on a recensé et signalé une centaine de vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, montrant des trans humiliés, insultés ou frappés.
Après ce type d’humiliation publique et d’agression physique, les personnes trans partent généralement se faire oublier, loin de chez elles. Pour cette raison, on met généralement plusieurs semaines ou plusieurs mois à obtenir de leurs nouvelles.
Dans cet environnement très hostile, les membres de la communauté LGBT sont souvent contraints de quitter le pays ou de vivre leur sexualité en cachette. Diaby Balla, figure de la communauté LGBT malienne menacé de mort en 2017, a ainsi quitté le pays pour rejoindre la Côte d’Ivoire. Mais ses harceleurs ne se sont pas arrêtés à la frontière. Il a été agressé par un groupe de Maliens à Abidjan en mai 2017. « J’ai eu la chance de réussir à m’échapper, mais j’ai eu plusieurs hématomes sur le corps, heureusement sans gravité. À leur accent, j’ai tout de suite compris qu’ils étaient Maliens », expliquait-il à la rédaction des Observateurs de France 24 en septembre 2017.