Pr. Séraphin Prao*
Dans quelques jours, la Côte d’Ivoire va célébrer les soixante-deux (62) ans de son accession à la reconnaissance internationale. A cette occasion mémorable, il plaît au mouvement citoyen et politique dénommé « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » d’adresser au Président de la République Alassane Ouattara ces quelques mots pour apprécier avec lui la vie de la nation, ses problèmes et ses attentes. Afriquematin.net vous propose la deuxième et dernière partie de cette analyse politico-socio-environnemento-économique.
Monsieur le Président,
L’école, dans sa forme actuelle, n’offre plus aux jeunes des garanties de réussite sociale. Cela est devenu une source d’inquiétude pour les parents et pour les enfants. Osons changer de paradigme en adaptant nos instruments de formation aux besoins réels projetés de notre développement. Des docteurs d’université, pour prendre cet exemple récent, considérés comme la crème de l’intelligence dans tout pays, parce qu’ils n’ont pas été recrutés à la fonction publique, ont brûlé leurs thèses, désespérés. Le symbole est fort mais la nation n’en mesure pas la portée. C’est le signe qu’il n’existe plus d’espérance en Côte d’Ivoire où les possibilités d’insertion à la fonction publique se font de plus en plus rares.
Monsieur le Président,
Notre modèle de formation reste encore trop lié au modèle du colon qui avait besoin de personnel pour son administration. Pendant les premières années d’indépendance, ce modèle a montré son efficacité. Aujourd’hui, il est devenu désuet. Les besoins de l’administration ont été comblés et les places disponibles se font rares. Il faut oser tenir ce discours de vérité au peuple.
Monsieur le Président,
Si l’école n’offre plus aucune espérance sociale pour la jeunesse, c’est ce qui est abject qui va aspirer et formater le corps social. Le rebus claquant de l’argent frais mal obtenu sera le modèle social pour ces jeunes sans repère qui ont perdu toute confiance en la société solidaire prônée par le politique.
Les morts de migrants en mer méditerranée, le « broutage », la pègre avec sa drogue, l’argent facile des porta potty, les buzz faisandés destinés à se faire de l’argent grâce au portail des vidéos à succès rémunérées, etc. deviennent alors une bouée de sauvetage pour cette jeunesse qui se retrouve sans repère ; ses modèles ne sont point dans l’effort ni dans la probité mais dans l’argent rapide et par tous les moyens qu’ils soient illicites ou immoraux.
Monsieur le Président,
Si les portes de la fonction publique se ferment chaque jour un peu plus pour les jeunes diplômés, il revient au politique de créer les conditions pour que s’ouvrent d’autres portes ailleurs. C’est un défi générationnel et un défi politique. Mais, un seul parti politique, fût-il au pouvoir, ne pourra pas trouver les réponses à cette préoccupation. La réponse à apporter est nationale, collective. La nation entière doit s’interroger sur elle-même, sur le monde dans lequel elle se trouve et sur les projections à avoir pour offrir de l’espérance à tous.
Monsieur le Président,
Votre génération a reçu du président Houphouët-Boigny beaucoup d’espérance sociale qui a permis aux enfants des pauvres de réussir leur vie. Aujourd’hui, les choses sont différentes. Le désespoir a remplacé l’espérance. Il n’est pas bon que la politique qui doit créer les conditions de l’espérance soit celle-là même qui, par ses contradictions qu’elle ne parvient pas à résoudre pacifiquement, vient détruire le peu d’espoir qui existe.
Monsieur le Président,
Entendez-vous avec vos frères d’âge pour offrir à la génération de vos enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants autant d’espérance que vous avez reçue ou, à tout le moins, vous en rapprochez parce que le désespoir social est grand face aux incertitudes professionnelles des lendemains.
Monsieur le Président,
Dans cinquante ans et dans un scénario pessimiste, la Côte d’Ivoire sera une puissance sous-régionale déclinante. Le cacao sur lequel repose essentiellement son économie ne sera plus prisé par un monde occidental qui l’aura qualifié de cacao de la déforestation et interdit, qui n’aura plus les moyens de son train de vie actuel, ce pourquoi il se bat pour contrarier l’émergence d’une puissance rivale qui le ferait décliner.
La Chine produira suffisamment de cacao pour satisfaire son marché intérieur. Les dirigeants de cette Côte d’Ivoire à venir seront ceux qui, aujourd’hui, ont entre 1, 10 et 15 ans. Qu’allons-nous leur donner, aujourd’hui, pour que demain ils n’aient pas affaire à la misère, à un sous-développement encore plus prononcé face à des pays d’Afrique de l’ouest riches en métaux précieux dont l’industrie du 21e siècle aura besoin et qui deviendront les puissances sous-régionales du moment ? Allons-nous passer notre temps à nous battre indéfiniment pour des conditions d’élections transparentes, crédibles et inclusives ?
Monsieur le Président,
Les signaux ne sont pas bons avec l’actualité des élections à l’intérieur du parti présidentiel marquées par des violences et des dénonciations de fraudes, de manipulation du fichier électoral et de nombre de votants supérieur au nombre d’inscrits sur le listing électoral, des élections validées malgré ces irrégularités dénoncées. Cela ne concerne qu’une petite partie du corps électoral national mais est assez révélateur de l’état d’esprit général et des tensions à venir lors des prochaines élections générales et surtout qu’il s’agit du parti au pouvoir.
Monsieur le Président,
Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » estime que c’est maintenant qu’il faut mettre en place le système éducatif qui permettra aux futurs dirigeants de la Côte d’Ivoire de se forger les outils nécessaires pour faire face aux enjeux nationaux et internationaux qui se poseront à eux. C’est maintenant qu’il faut mettre en place des conditions d’élections crédibles, transparentes et sans violence de sorte à évacuer du corps social ivoirien les tensions liées aux élections.
Nous devons revoir les concessions autour de nos ressources pétrolières et gazières.
Monsieur le Président,
Les nombreux défis de développement qui se posent à notre pays nous imposent de revoir certains contrats, notamment dans les domaines du gaz et du pétrole. Même si la production de la Côte d’Ivoire reste toujours modeste, le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » invite à la mise en place d’une législation évolutive dans le domaine des concessions pétrolières.
Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » associe sa voix à celles de tous ceux qui demandent que l’on cesse avec les pourcentages coloniaux et indigents de 10% qui ne sont pas dans l’intérêt de la Côte d’Ivoire. La Libye, naguère qualifiée de pays le plus pauvre des pays du tiers monde avant 1959, a dû revoir sa législation sur le pétrole pour atteindre, quelques années plus tard, un niveau de développement qui faisait même pâlir de jalousie certains pays dits développés avant que la coalition conduite par l’OTAN ne la détruise en 2011 pour la faire retourner dans sa situation d’antan.
En effet, en 1974, la Libye a mis fin au régime des concessions pétrolières et mis en place « le régime dit ‟d’association et de participation à risque partagé” qui consistait à porter à la charge des compagnies les frais de forage et de prospection en échange du partage de la production » (Mehdi LAZAR et Salim NEHAD, 2016).
Cette gestion responsable de la manne pétrolière a eu des incidences notables sur la vie des populations : « l’électricité à usage domestique était gratuite ; l’essence coûtait à peine 10 centimes d’euros le litre, les Libyens ne payaient pratiquement pas d’impôts, la TVA n’existait pas, la dette publique était de 3,3% du PIB.
Les voitures, dont la majorité était importée du Japon, de la Corée du Sud, de la Chine et des Etats-Unis, étaient vendues à prix d’usine, les logements étaient très bon marché ». La Côte d’Ivoire doit faire de la production pétrolière et gazière une source de croissance profitable à tous. Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » demande au gouvernement de soumettre à révision le code pétrolier voté en 2015.
Si la nouvelle législation à mettre en place pour une association égalitaire avec les compagnies étrangères ne plaît pas, il vaut mieux surseoir à toute nouvelle exploration pétrolière et gazière et laisser le soin aux générations futures de faire un meilleur usage de ces ressources lorsque la Côte d’Ivoire aura elle-même l’expertise appropriée.
La crise avec le Mali doit trouver une issue diplomatique
Monsieur le Président,
La Côte d’Ivoire, depuis son premier président, a toujours eu pour principe d’avoir des rapports fraternels avec tous ses voisins. Aucun président ivoirien n’a contrevenu à cette règle, même quand la situation, pour une raison ou une autre, reste tendue entre la Côte d’Ivoire et l’un d’eux.
On l’a vu pendant la rébellion armée de 2002 soutenue par un pays voisin. Tenant compte de cette longue tradition de paix et de bon voisinage qui est devenue un sacerdoce pour tous les présidents ivoiriens, le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » vous demande de tout faire pour que les 49 soldats ivoiriens retenus au Mali rentrent chez eux et retrouvent leurs familles respectives. Les voies de la diplomatie doivent être privilégiées sans préalable.
La Côte d’Ivoire a toujours été une terre d’accueil pour tous les africains qui désirent y vivre. Elle ne se mêle pas de la politique intérieure des autres Etats. Sa tradition consiste à expulser des ressortissants étrangers qui sont un danger pour sa sécurité, non à les extrader.
Pour le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire », il faut éviter toute forme de surenchère dans la présente crise avec le Mali. Ce pays frère traverse une situation difficile avec la poussée du terrorisme djihadiste qui menace toute la sous-région. Le devoir de la Côte d’Ivoire est de se tenir aux côtés de ce pays frère pour l’aider à éteindre cet incendie qui est la nouvelle arme de déstabilisation et de désintégration des états prometteurs du sud et aux riches potentialités afin de freiner leur développement et justifier les nouvelles formes de colonisation du 21e siècle.
Le devoir du Mali est de s’entendre avec ses voisins sur la nature de l’aide qui lui est nécessaire et les conditions de sa mise en œuvre dans l’intérêt du peuple malien et dans le respect de sa souveraineté. Il faut trouver à cette crise une issue qui préserve la dignité des peuples frères du Mali et de la Côte d’Ivoire et qui verrait le renforcement de leur coopération et de leur amitié.
Monsieur le Président,
Telle est la substance du message que le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » a voulu vous délivrer dans l’intérêt de la Côte d’Ivoire et du peuple ivoirien à l’occasion de la célébration des 62 ans d’indépendance de notre beau et grand pays. Veuillez recevoir, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre parfaite considération et nous vous souhaitons ainsi qu’à tous les ivoiriens et ivoiriennes une joyeuse fête de l’indépendance.
Président du Mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire »*.