Par Nazaire Kadia (analyse politique)
Depuis l’entrée de la Côte d’Ivoire en zone de turbulence politique et sociale de 1999 à aujourd’hui, la quête de la réconciliation et de la cohésion sociale est le souci et le partage de nombreux ivoiriens. C’est un truisme de le dire, les ivoiriens se regardent en chiens de faïence et ce ne serait pas également faux d’affirmer que la société ivoirienne est manichéenne.
D’un côté les soutiens objectifs et les militants du parti au pouvoir et de l’autre côté les militants des partis de l’opposition dans leur entièreté et dans leur diversité. Entre ces deux groupes, existent de nombreuses personnes, qui, la main sur le cœur affirment n’être ni avec les uns ni avec les autres, mais qui en réalité sont des équilibristes qui n’ont pas le courage de s’affirmer.
Comment parvenir à la nécessaire réconciliation souhaitée et attendue par les uns et les autres, à l’effet de conduire le bateau ivoire sur des eaux calmes vers le développement?
C’est à ce niveau qu’apparaissent les divergences d’approche et de contenu de la réconciliation selon qu’on est du parti au pouvoir ou de l’opposition.
Pour les soutiens objectifs du pouvoir, l’on ne saurait parler de réconciliation sans justice, sans repentance, sans demande de pardon et de confession des anciens tenants du pouvoir ; d’autant plus qu’ils seraient responsables des 3000 morts officiels de la crise postélectorale. Et cerise sur le gâteau, ces anciens tenants du pouvoir doivent aller à « Canossa » c’est à dire adopter une posture d’abdication devant le Chef de l’Etat. C’est à ce dernier de pardonner pour que la réconciliation advienne. Les exemples de cette conception sont légion. L’on a bien entendu Joël N’guessan, au lendemain de la confirmation de l’acquittement définitif du président Laurent Gbagbo et du ministre Charles Blé Goudé, affirmer que le président Laurent Gbagbo doit demander pardon lorsqu’il foulera le sol de la Côte d’Ivoire.
D’autres aussi affirment que les exilés, dernièrement rentrés au pays se doivent « de la fermer » et être reconnaissants à celui qui a permis que leur retour au pays soit une réalité.
Pour les partisans de l’opposition, le conflit a opposé deux camps. Les morts, il y en a eu dans les deux camps, les exactions aussi. Il est véritablement indécent que la justice ivoirienne ne sévisse que dans un seul camp. Des militaires de l’armée nationale, sont incarcérés depuis dix ans, des civils proches de l’opposition croupissent dans le « sous-sol » d’Abidjan et de certaines villes de l’intérieur. Les avoirs de nombreux dignitaires de l’ex-pouvoir sont toujours gelés, alors que dans l’autre camp, malgré les exactions et les crimes commis et abondamment documentés, aucun militaire n’est inquiété, tout au contraire, nombre d’entre eux ont eu des promotions. Et le procès du second couteau, Amadé Ourémi ne change rien à la donne.
Pour ce camp la réconciliation passe par une amnistie générale, qui absoudrait tous les accusés de deux côtés des fautes qui leur sont reprochées. Cela suppose la libération de tous les prisonniers politiques et militaires et le dégel des avoirs des dignitaires de l’ancien pouvoir. Il s’agit d’une remise à zéro des pendules pour repartir sur de nouvelles bases.
Si les deux positions sont a priori inconciliables, il y a lieu de mettre tout le monde d’accord sur les axes autour desquels la réconciliation doit s’opérer. Celle-ci doit s’articuler autour de la justice (équitable pour tous), de la vérité, du respect des lois que le pays s’est données donc du droit, mais également autour d’autres valeurs morales et éthiques acceptées de tous. Cela doit se faire sans faut fuyant ni calculs politiciens. On doit pouvoir se départir de ce qui a prévalu lors du forum de la réconciliation en 2002.
En effet, pendant que des participants de bonne foi, se donnaient corps et âme pour que la réconciliation entre ivoiriens soit une réalité à l’effet de permettre au gouvernement élargi qui venait d’être mis en place de dérouler son programme de gouvernement, d’autres personnes tout en étant présentes au forum, s’activaient à entretenir une armée au Burkina Faso pour perpétrer un coup d’état qui s’est mué par la suite en une rébellion armée.
Il n’est pas demandé aux ivoiriens de s’aimer au point de s’embrasser à tous les coins de rue, mais de s’accepter et de se respecter dans la différence et tout cela au regard des lois qui régissent la république. Il faut également se sortir des folklores des cérémonies organisées sous des bâches avec de longs discours déclamés sans résultats tangibles.
Pour finir nous devons retenir que la réconciliation n’est pas l’affaire d’une seule personne, encore moins l’indulgence que doit avoir le chef de l’Etat pour ses opposants, mais de tous les ivoiriens dans leur unité et dans leur diversité.
Réconcilions-nous sincèrement pour …demain. Demain est certes un autre jour mais demain arrive toujours. Et s’il y a eu un matin en Eburnie, il y aura assurément un soir et l’ivraie sera séparée du vrai.