Candidate à l’élection présidentielle du 27 décembre prochain, Mme Catherine Samba Panza défie le Président sortant Faustin Archange Touadéra. L’ex-président de la transition (de 2014 à 2016) a pour ambition prioritaire de rétablir la sécurité et de relancer l’économie sur des bases saines.
Votre candidature pour la présidentielle du 27 décembre a été validée par la Cour Constitutionnelle alors que l’ex-Président François Bozizé a vu la sienne refusée. Quels commentaires faites-vous de cette situation ?
Personnellement, je n’avais pas avoir de doutes sur ma double candidature aux élections présidentielle et législatives de ce 27 décembre. J’ai en effet satisfait à toutes les règles et conditions édictées par le code électoral : l’Autorité Nationale des Elections (ANE) et la Cour Constitutionnelle, en dernier ressort, ont pu attester de la conformité de ma candidature par rapport à la loi fondamentale de notre pays. Je suis profondément attachée au respect des règles de la République et toujours guidée par un sens élevé de l’Etat. Je n’ai pas, en revanche, à commenter le sort réservé à une candidature autre que la mienne.
Quelle ambition anime l’ancienne Présidente de la transition pour revenir aux affaires et à la tête de la Centrafrique ?
Lorsqu’on a le privilège d’occuper les plus hautes fonctions de l’Etat, on n’est plus maître de son destin politique. On devient surtout un serviteur. On est au service du pays. Les gens ne voient et ne se focalisent que sur les avantages et les atouts que confèrent les fonctions politiques.
Mais la politique est d’abord une activité altruiste, un sacerdoce. Au regard du bilan plutôt mitigé, en dépit de la voie tracée par la transition que j’ai dirigée, je me suis portée candidate pour remettre le pays sur les rails en impulsant une autre façon de gouverner, centrée sur les préoccupations des Centrafricains et fondée sur le respect des valeurs républicaines qui garantissent un vivre ensemble de tous les Centrafricains, sans exclusions de quelque sorte.
Les nombreux appels de mes compatriotes m’invitant à présenter ma candidature ont fait écho au sens du devoir qui m’anime. C’est ce que signifie la signature de ma campagne « Gouverner efficacement » et le sens du message que révèlent ma profession de foi et le manifeste adressés aux Centrafricains.
Au terme de cette transition, vous disiez pourtant : « La politique, ce n’est pas mon truc. Je préfère avoir une activité moins stressante ». Qu’est-ce qui vous a décidé à replonger dans le grand bain de la politique ?
Nous assistons depuis quatre ans à une incapacité de mon successeur à incarner, puis implémenter un projet politique viable pour sortir les Centrafricains de la misère et du désespoir.
Depuis quatre ans, en dépit des avancées que nous avions obtenus durant la transition, nous avons vu les populations subir une crise chronique de l’eau en pleine capitale, et dans la préfecture.
Nous avons vu un pays exposé à toutes sortes de risques dûs à la frénésie de puissances étrangères à délester la RCA de ses ressources minières. Nous avons vu un pays gangréné par la corruption et l’exclusion dans tous les plans de la vie sociale.
Nous avons vu un pays où la fonction exécutive, et notamment présidentielle, est ravalée au rang de collaborateurs de groupes rebelles alors que chacun sait le prix du sang payé et que continuent à payer les Centrafricains à causes des groupes rebelles.
Nous avons vu la population centrafricaine abandonnée à son sort, victime d’un Etat absent et qui ne la protège plus. Je perçois une fois encore une division profonde, de nombreuses querelles entre les acteurs politiques, des esprits intolérants favorisant des comportements violents et grégaires, tout ceci dans une absence totale de vision politique participative. Je suis candidate pour mettre fin à toutes ces situations crées par mon successeur.
Est-ce aussi pour mieux défendre le rôle et la place des femmes en Afrique, vous qui dîtes souvent qu’«il est temps de gouverner autrement avec les femmes en politique»?
Ma candidature à la présidentielle ne constitue pas un combat féminin ou féministe, mais relève d’un véritable combat politique pour redresser la trajectoire d’un pays en déliquescence depuis trois décennies.
Personne ne peut nier que cela est avant tout le résultat d’une gestion du pays par les hommes. Tout comme nul ne peut nier que la période de transition fut une oasis et une terre fertile dans un paysage politique désertique et de déshérences.
Les graines de l’espérance semées sous mon magistère ont été corrompues. Ce que nous disons aux Centrafricains, vue l’expérience heureuse de la transition, c’est effectivement de donner le pouvoir aux femmes et à la seule femme en course à l’élection présidentielle pour gouverner efficacement et autrement.
Parlez-nous un peu de la femme atypique que vous êtes, quelles sont vos passions ?
Née à N’djamena au Tchad, d’un père Camerounais et d’une mère Centrafricaine, mariée à un Centrafricain et mère de trois enfants, je me perçois comme une Centrafricaine parfaitement intégrée dans un monde qui est un village planète interconnecté, dans une Afrique qui se projette comme un bloc uni et un Continent sans frontières.
Je crois à la multiculturalité. Je suis une femme d’engagements et, depuis mon passage à la tête de la transition, une femme de devoirs dont l’engagement pour les valeurs citoyennes, éthiques, la justice sociale et la dignité humaine ont façonné la trajectoire et forgé le destin politique national.
Je ne suis pas de ceux qui, à force de diriger la Centrafrique sans cap et qui la pillent sous cape, ont maintenu les Centrafricains dans une paupérisation indigne et sans nom. Je ne suis pas de ceux qui les affublent d’un esprit moutonnier, ni de ceux qui se présentent en faux messager de la paix à l’esprit revanchard, ni de ceux qui s’attribuent les lauriers qui ne sont pas les leurs.
Les Centrafricains reconnaîtront sans efforts le bon grain et l’ivraie et consacreront celui qui incarne leurs convictions intimes. Et ce sera la volonté de Dieu qui triomphera. Je pense que cette personne c’est Moi, Catherine Samba Panza (CSP), la mère de la Nation centrafricaine. Je demande à mes compatriotes de me faire confiance et de me confier le pouvoir. Car, je veux gouverner d’abord pour les servir.
Invitée dans de nombreux forums, comme celui des « Femmes entreprenantes et dynamiques » – à Abidjan au mois de juillet 2019, peut-on dire que vous êtes une Panafricaine militante pour la « cause des femmes », partenaires indispensables du développement ?
Oui assurément, car je suis une femme solidaire de toutes les initiatives susceptibles de faire avancer non pas la cause mais les causes féminines. Une femme d’ouverture avec un destin qui dépasse mon pays.
C’est la raison pour laquelle je suis sollicitée par plusieurs organisations continentales et internationales, mais qui ne sont pas uniquement féminines, même si je suis Présidente de l’Observatoire panafricain du Leadership féminin (OPALEF). Je milite pour plusieurs autres causes. Même si je dois reconnaître que certains projets sont à mes yeux à la fois plus pressant et impérieux.
Le programme Amujae Initiative, lancé par ma sœur la présidente Ellen Johnson Sirleaf du Libéria, me tient particulièrement à cœur. Car nous y travaillons de concert pour la formation de la prochaine génération des femmes leaders du Continent.
Revenons à la politique. Pouvez-vous faire un bilan du mandat du Président Touadéra, que vous aviez soutenu en 2016 et qui est candidat à sa réélection ?
Ce n’est pas à moi de faire le bilan du mandat de l’actuel président, mais au peuple centrafricain qui va se prononcer sur la question. Mais j’ai déjà mon avis : sa gestion du pays n’a pas répondu aux fortes et légitimes aspirations des Centrafricains.
Notre pays est devenu le terrain de jeu et le fonds de commerce de rebellions armées. Nous sommes dans une situation qui n’offre aucune perspective d’avenir à nos enfants.
Après les années de chaos et les acquis dilapidés de la transition, le temps est venu de rassembler les forces vives de la Nation dans une large Coalition pour le Changement afin de tracer un chemin d’avenir pour transformer la Centrafrique.
Rétablir la Sécurité, n’est-ce pas la priorité des priorités des Centrafricains pour tourner définitivement la page de trop longues années de guerre civile larvée ?
Durant son mandat, le Président Touadéra s’est focalisé sur la reconstruction des Forces Armées Centrafricaines (FACAS) avec pour objectif principal de protéger un régime impopulaire et dans l’incapacité de faire face aux défis de la Nation. Pourtant, la RCA n’est pas en guerre avec un pays étranger, mais elle est victime d’agression de forces non conventionnelles avec lesquelles le pouvoir a été complaisant, puisqu’il accepté d’en devenir le collaborateur.
L’Accord de Khartoum, qui se voulait un instrument pour la paix, contient quelques faiblesses justifant que ses signataires puissent si facilement en violer les termes. Je ferai donc adopter une « feuille de route » pour le retour de la sécurité et de la paix plus inclusive et contraignante avec pour objectif d’instaurer un dialogue permanent incluant toutes les parties prenantes et dans laquelle l’Accord de Khartoum aura toute sa place.
Je procèderai également à une réévaluation de la stratégie DDR et RSS, des progrès de la Cour Pénale Spéciale, renforcerai les capacités de la Commission Nationale des Droits de l’Homme, et rendrai opérationnelle la Commission nationale Vérité, Justice, Réparation et Réconciliation nationale. Nous mettrons également l’accent sur les mesures préventives de lutte contre les violences basées sur le genre.
Quelles seront vos priorités économiques pour relancer les investissements ?
L’économie centrafricaine de ces quatre dernières années a été impactée par la situation sécuritaire du pays, dont 80% du territoire est occupé par les groupes rebelles, la faiblesse dans la mobilisation des ressources aussi bien au plan intérieur qu’international, récemment bien sûr par la crise sanitaire du Covid 19 et, par-dessus tout, par la mauvaise gouvernance.
Pour répondre à ces multiples chocs subis, je propose à mes compatriotes de relancer l’économie par le Programme de Convergence pour le Relèvement et le Développement (PRCD) basé sur la relance des secteurs productifs et des infrastructures.
A cet effet, il nous faudra d’abord créer un cadre macroéconomique ambitieux novateur et crédible pour optimiser la mobilisation des ressources extérieures et adresser le portefeuille de programme de l’Etat. Pêle-mêle, ces secteurs sont les suivants : l’agropastoral et la pêche, la promotion du développement local, les secteurs sylvicole et minier, le tourisme, l’artisanat, les infrastructures de transport et de désenclavement, l’intégration régionale, les infrastructures énergétiques et hydrauliques, les postes et télécommunication, l’amélioration de l’environnement des affaires.
Je propose également un Plan d’action pour les 100 premiers jours pour m’attaquer à l’amélioration des services sociaux de base dont mes compatriotes ont besoin.
Votre programme politique comporte cinq piliers importants. Pouvez-vous les détailler ?
Effectivement mon offre politique est déclinée en cinq chantiers qui sont : la reconstruction du secteur de la sécurité et de la Défense ; la promotion de la bonne gouvernance et de l’Etat de droit; l’instauration de l’autorité de l’Etat ; la reconstruction de l’économie nationale à l’ère de l’après Covid 19 ; la promotion du capital humain dans le cadre d’une gouvernance de proximité.
Je propose à mes concitoyens de gouverner efficacement autour de quelques idées simples :
Protéger les citoyens et faire de l’exclusivité le fondement d’une gouvernance qui tourne le dos à l’ethnicisme, au tribalisme, la région, le sexe pour ne tenir compte que des qualités intrinsèques des citoyens.
Faire valoir les cinq verbes de Boganda : « Loger, nourrir, vêtir, instruire, soigner », comme droit des citoyens opposable aux gouvernants en cas de défaillance de ces derniers.
Aller au-delà des cinq verbes de Boganda et implémenter le programme politique de ces cinq chantiers prioritaires qui se déclinent en 25 engagements, dont notamment promouvoir l’entrepreneuriat des jeunes et des femmes, assurer l’égalité hommes/femmes et entamer la transformation digitale du pays.
Votre expérience de maire de Bangui (nommée en 2013 par le Président Michel Djotodia) peut-elle être profitable à l’amélioration de la vie quotidienne de vos compatriotes ?
Je crois que mon expérience n’a pas été forgée uniquement à l’aune de mon seul passage à la mairie de Bangui, notre capitale, mais dans la consolidation des activités qui ont jalonné mon parcours en tant que juriste d’entreprise, militante des droits de l’homme, promotrice de l’égalité ses sexes et femme politique.
L’opposition réclame un « dialogue national » pour arriver à une sortie de crise définitive. Quels seraient vos premiers gestes pour réconcilier enfin les Centrafricains ?
Comme le suggère votre question, les chantiers qui soulignent les vrais enjeux du pays sont nombreux comme si le pays était resté immobile pendant quatre ans.
En ce qui concerne ce volet, je renforcerai les capacités de la Commission nationale des Droits de l’Homme, et nous rendrons opérationnelle la Commission nationale Vérité, Justice, Réparation et Réconciliation nationale.
Ensuite, j’organiserai une grande concertation politique nationale pour discuter de manière exhaustive et inclusive de tous les enjeux de la Nation afin d’ouvrir l’ère de la construction d’une Centrafrique consensuelle, souhaitée par la majorité de mes concitoyens.
Source : lafriqueaujourdhui.net avec africapresse.paris