Par Morrys Ouayou / Afriquematin.net
Depuis un moment, le village d’Anono est secoué par une crise foncière. Le 02 Septembre 2019, des jeunes des classes d’âge Blessoué Djéhou et Blessoué Dongba ont littéralement marché sur Anono pour, disent-ils, revendiquer des lots qui leur reviennent de droit. Pour en savoir plus, nous avons rencontré le charismatique Chef Séraphin Djorogo Nangui. Entretien.
A quand remonte votre installation sur le trône de la chefferie du village d’Anono ?
Je suis là ça fait 2 ans. Le 09 Octobre 2017, j’ai eu mon arrêté préfectoral ; ça me fera donc 2 ans le 09 octobre 2019 prochain.
Dès votre installation, vous vous êtes rendu en Europe pour nouer des contacts profitables à votre village. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Ces partenariats pour lesquels je me suis rendu en Europe, ça va. On ne se presse pas. Là-bas, lorsque j’ai présenté le village, ils étaient tous surpris. Parce que chez eux, quand on parle d’un village, c’est au moins 100 à 150 personnes. Mais quand je présente un village de 50.000 habitants, on me dit que c’est une commune et non un village. J’y ai eu beaucoup de contacts, mais les résultats seront un peu lents. Ils sont émerveillés ; j’ai présenté le village avec toutes ses potentialités. On me demande donc de faire les partenariats ou les jumelages avec les communes et non avec les villages. Et c’est ce que j’ai fait. Donc, les résultats suivront. Même si cela va prendre un peu de temps.
Le village d’Anono est en proie à une crise foncière depuis un moment. Qu’est-ce qui explique cela ?
Véritablement, moi je ne peux pas parler de crise foncière. On parle de crise foncière lorsque les terrains existent. C’est quand il y a des terrains et que les parcelles sont mal exploitées, alors on peut parler de crise foncière. Nous, à Anono, on a un protocole d’accord avec l’Etat de Côte d’ivoire depuis le 09 février 1970. Qu’est-ce que le protocole dit ? Après tout ce que Anono a cédé à l’Etat de Côte d’ivoire, Riviéra Golf, Riviéra 2, Riviéra 3, Riviéra 4, l’Ecole de Police, l’Ecole de Gendarmerie…, un protocole a été signé entre l’Etat de Côte d’Ivoire et le village. Par feu Thierry Légré, ex-ministre de la Construction sous Félix Houphouët-Boigny, en 1970. Après donc tout ce qui a été cédé par Anono, l’Etat doit mettre à notre disposition une superficie de terre qui fait 7 fois notre village. Mais jusqu’à ce jour, l’Etat n’a pas encore honoré ses engagements. Donc du coup, on n’a pas de terrains. Chez nous les Atchans, avec les fêtes de générations, une fois que tu es initié, tu es majeur ; et donc censé quitter les parents pour vivre chez toi. C’est pourquoi à chaque initié il faut donner un terrain. Aujourd’hui, on me demande d’attribuer des lots. Mais on donne quand on a. Il n’y a pas un seul lot disponible et on me demande d’attribuer des terrains. Donc on ne peut pas me parler de crise. Il y a des personnes tapis dans l’ombre qui veulent se servir de telles agitations pour vouloir m’emmerder, me destituer. C’est une question de chefferie, donc de pouvoir. J’ai tout compris ; et j’ai une bonne lecture de tout ce qui se passe. Ils veulent forcément me déstabiliser. Mais que ces personnes-là sachent que nous n’avons pu faire de passation de charges avec nos prédécesseurs. Aucun document ne m’a été remis. Ils ont tout emporté. Ces jeunes gens qui réclament leurs lots sont nos cadets. Et leurs revendications sont bien légales. Seulement, qu’ils sachent qu’il n’y a pas encore de terrains disponibles. Je les ai rencontrés et j’ai échangé avec eux. Je leur ai fait comprendre que je suis en train de mener des actions auprès du Gouvernement afin d’obtenir de quoi satisfaire leurs besoins. Par rapport au protocole qui nous lie, l’Etat de Côte d’ivoire est obligé de nous céder des parcelles en compensation de ce qui nous a été pris. Je suis donc en train de négocier. J’ai demandé à l’Etat de nous céder le ‘’Petit Golf’’ qui n’est plus fonctionnel. Cela m’a été refusé parce qu’il y aurait des équipements. Et certaines personnes se plaisent à faire circuler des rumeurs que j’aurais vendu le ‘’Petit Golf’’ à 90 milliards. Mais soyons sérieux, même si on refuse d’être honnête. On ne salit pas impunément un Chef, le tenant du pouvoir. Comment je peux vendre un patrimoine de l’Etat et être ici à Anono sans être inquiété ? En conclusion, il n’y a pas de crise ici à Anono. Il n’y a que des gens tapis dans les broussailles qui tirent les ficelles rien que pour m’embêter. Mais Dieu les voient et ils ne pourront rien.
Quelles solutions avez-vous donc trouvées ?
J’ai échangé avec tout le monde. J’ai rencontré l’ex-ministre de la construction pour lui poser le problème du village d’Anono. Il m’a dit que tant que les palabres ne finiront pas à Anono, l’Etat de Côte d’ivoire ne fera rien pour nous. Ça veut dire quoi ? Il y a des gens qui s’opposent au fait que l’Etat réponde favorablement à nos requêtes. Il y a des gens qui se plaisent dans le désordre. Mais moi ça ne m’arrange pas du tout. J’ai besoin de réaliser le développement de mon village. Et c’est pour ça que je suis Chef. Anono étant le plus gros village Ebrié du District d’Abidjan n’a même pas un collège, un Lycée ou même un hôpital. Nous n’avons qu’un dispensaire. Pour une population estimée à 50.000 personnes, ce n’est pas normal. Dans mon projet, Anono doit avoir un hôpital général. J’ai eu des contacts avec le BNETD et les choses sont en cours. L’Etat de Côte d’ivoire ne peut pas tout faire. Anono étant au cœur même de la commune de Cocody, nous devons sortir de la précarité pour présenter un si beau visage. Le Président de la République n’est pas loin de nous. Les Ambassades des USA et de la Russie sont pratiquement à Anono. Notre village doit être présenté comme une cité hyper moderne. Nous avons une jeunesse qui n’est pas prise en compte. Ces jeunes-là, il faut les aider ! Anono ne reçoit aucune subvention de l’Etat. Nous fonctionnons sur fonds propres, des revenus de location des petits magasins et autres. Donc ceux qui sont tapis dans l’ombre et qui rêvent finiront par faire des cauchemars. Parce que moi, j’avance ; et je demande à Dieu de permettre que je réalise pour Anono ce pourquoi j’ai été mandaté.
Disponible, accessible à n’importe quel moment, tout le monde peut vous voir et vous parler. Pourquoi ce choix ?
Je me dis que quand on est Chef coutumier, on doit être à l’écoute de sa population. C’est la relation humaine qui prend le dessus. Aujourd’hui, j’ai compris une chose ; certains peuvent avoir l’air hautin, se barricader. Mais moi, je suis là pour la population et je me sens mieux dans ma population. Si je mets une distance entre ma population et moi, je suis le Chef de qui ? Si personne ne doit me voir pour me dire ses préoccupations, en ce moment-là, je ne suis plus Chef ! En tout cas, c’est ma vision à moi. Beaucoup de personnes me reprochent le fait de me laisser aborder par tout le monde. Mais écoutez, si je ne le fais pas, comment dois-je savoir les problèmes de ma population ? Quelque soit l’heure, quand on m’appelle pour une situation, je me lève et je vais tout de suite intervenir. Qu’on sache que je ne suis plus pour moi-même, je suis pour la population. C’est le choix que j’ai opéré. Et je dis merci à Dieu pour cette humilité. Ne dit-on pas que l’humilité précède la gloire ? Ce qui me fait mal aujourd’hui, c’est que nous n’avons pas le soutien réel de l’Etat. Je veux faire à Anono des choses extraordinaires. C’est pourquoi je demande à Dieu de me donner les moyens de toujours aider toutes ces personnes qui viennent vers moi. C’est ma mission.
Vous êtes jeune, et cela fait moins de deux ans que vous êtes installé sur le trône de la Chefferie d’Anono. Mais déjà l’Etat de Côte d’ivoire reconnaît vos mérites en vous décorant.
Je dis souvent que l’Etat devrait s’appuyer sur nous les Chefs coutumiers pour l’aider dans certaines tâches. J’ai été fait Chevalier de l’Ordre National par l’Etat de Côte d’ivoire. Pour la solidarité, la lutte contre la pauvreté, la cohésion sociale. Pourquoi c’est à moi qu’ils ont décerné cette médaille ? Il y a les Rois, les grands Chefs, mais c’est moi que l’Etat a reconnu. C’est justement pour mon implication dans la solidarité, la cohésion sociale et la lutte contre la pauvreté. Comment peut-on donner à cela son vrai sens si on n’est pas en contact avec sa population ? Ma mission réelle, c’est bien cela. Quel homme politique peut venir la nuit, ou même la journée pour s’enquérir des préoccupations des habitants d’Anono ? Je veux donc dire que l’Etat pouvait confier certains dossiers aux Chefs coutumiers. Des dossiers relatifs à la cohésion sociale, à la lutte contre la pauvreté, la solidarité, à la paix. A Anono, il y a 50.000 habitants issus de presque toutes les ethnies de Côte d’ivoire. Du coup, nous avons ici des partisans de tous les partis politiques : PDCI, RDR, FPI, UDPCI, PIT … Mais j’arrive à gérer toute cette population. On pouvait donc nous confier le dossier de la cohésion sociale. Quand cette tâche est confiée à un homme politique qui porte l’étiquette de son parti, comment voulez-vous que ça marche ? Etant Chef du village d’Anono, je gère plusieurs nationalités, plusieurs ethnies et plusieurs partis politiques. Et tous m’écoutent. Tout simplement parce que je n’ai pas d’étiquette politique. On peut donc aider l’Etat. Quand dans certains Etats surgissent des crises, c’est parce que la base a été faussée. Je prends un exemple : les élections de 2020 sont pour bientôt. Moi, je dois parler à ma population. Et si, comme moi, chaque Chef coutumier parle à sa population sur toute l’étendue du territoire, vous vous imaginez ce que ça peut produire comme effets positifs. Mais ils attendent que tout soit mélangé avant de recourir à nous. Moi je dis non !