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La Syrie : les Vainqueurs et les Vaincus.

Il y a à peine un an, pas beaucoup de monde ne se serait aventuré à dire que Bachar al-Assad et l’Armée arabe syrienne (AAS) avaient une chance de gagner la guerre contre les rebelles, les combattants étrangers ou les terroristes.  Appelons-les comme on veut, il s’agissait de plus d’une centaine de milliers d’hommes en armes souvent sophistiquées et avec de puissants soutiens arabes, turcs et occidentaux.

Tout au plus, le pouvoir syrien pouvait espérer négocier une paix et un partage du pouvoir en position de force.

Que s’est-il passé pour qu’aujourd’hui, cette Armée arabe syrienne vole de victoire en victoire ?

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La Syrie : un pays à reconstruire.

Les rivalités des adversaires entre eux.

C’est certainement  un des deux éléments les plus importants qui a permis l’actuelle série de victoires du gouvernement syrien.   L’AAS a résisté aux deux coups de butoir contre Alep et contre Damas en 2012.  Cela a permis à l’État syrien de survivre, de voir l’opposition montrer son manque d’unité et de dévoiler ses côtés extrémistes et criminels voire terroristes pour certains groupes.

On peut distinguer cinq groupes armés principaux qui ont ou qui avaient des objectifs et des soutiens étrangers concurrents.

La particularité de cette guerre, c’est que tous ces groupes se battent entre eux que ce soit pour s’approprier des territoires, des armes ou pour des raisons idéologiques ou d’alliance. Il n’est souhaitable pour personne de voir un groupe islamiste l’emporter et installer la loi islamique à Damas.

Il faut signaler au passage que toutes ces milices perçoivent des soldes.  Si l’État islamique disposait aussi d’argent grâce aux trafics de pétrole et d’antiquités,  les autres milices sont rétribuées avec des fonds d’origines inconnues mais on peut imaginer qu’il y a de riches donateurs du côté du Golfe.

Il y a au moins une centaine de milices d’insurgés qui s’allient ou se regroupent selon les opportunités avec d’autres groupes plus puissants.  Elles ont souvent une implantation locale et elles font allégeance à l’armée la plus forte pour ne pas avoir à subir de représailles.  Il sera intéressant de voir ce qui arrivera quand les milices islamistes les plus radicales seront éradiquées.

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Carte de Syrie en octobre 2017. En rouge, zone tenue par l’AAS. En jaune, par les FDS (Kurdes). En bleu, des territoires non-contrôlés. Les zones grises ont depuis été prises par l’AAS et les FDS.

L’entrée en scène de la Russie et de l’Iran.

La concertation de la Russie avec l’Iran et leur coordination pour épauler l’Armée arabe syrienne est l’autre élément déterminant qui a permis de reconquérir une grande partie des territoires syriens perdus.

Les détails d’une intervention ont été mis au point lors des visites de Qassem Soleimani, le général-commandant de la Force Al-Qods iranienne, à Moscou en été 2015.

La modernisation et le renouvellement de l’équipement lourd, la mise à niveau des forces aériennes, la formation de nouvelles unités de combat, le contrôle du ciel syrien et un nouveau schéma tactique ont permis les succès actuels de l’AAS.

Des unités du Hezbollah libanais, de la Force Al-Qods iranienne, des milices pro-gouvernementales et des volontaires chiites étrangers apportent les renforts en hommes qui faisaient si cruellement défaut aux forces loyalistes.

Il est à noter que le coût de l’intervention russe en Syrie est insignifiant et qu’il est presque totalement pris en charge par le budget ordinaire de la Défense.

En plus des avantages géopolitiques qui marquent le retour de la Russie au Moyen-Orient, l’Armée russe a renforcé sa présence militaire dans la région et elle y dispose à présent de deux bases permanentes.  Elle a eu l’occasion de tester avec succès ses armes de dernière génération sur le champ de bataille.  Cela booste aussi les exportations de l’industrie de la défense au grand bénéfice de l’économie russe.

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L’aviation russe en action.

La lassitude et l’usure.

Le peuple syrien est las de ce conflit. Les autres belligérants aussi parce qu’ils ne voient aucune victoire militaire possible.

L’Arabie saoudite commence à ressentir le coût de cette guerre alors qu’elle est aussi en conflit sur d’autres fronts et que ses revenus pétroliers sont en forte baisse.

Connaissant leur versatilité, les États-Unis hésitent à fournir de l’armement sophistiqué aux rebelles et ils ne veulent en aucun cas engager des troupes de combat au sol.[ii]  Les souvenirs douloureux d’Irak et d’Afghanistan sont encore trop proches.

Après avoir repoussé les principaux groupes rebelles dans la province d’Idlib où ils s’entre-déchirent pour le moment et après avoir cantonné les autres dans des poches assiégées, l’AAS a entamé avec succès la libération de l’est du pays des griffes de l’État islamique.  Une fois la jonction avec l’Armée irakienne consolidée, une liaison routière entre les deux pays sera rétablie.

L’importance de cette jonction n’a pas encore été bien évaluée par les analystes. Elle va permettre un flux continu sans obstacles de renforts, d’armes et d’approvisionnement depuis l’Iran.

L’étape suivante pourrait être la sécurisation du sud du pays autour de Deera, la réduction des poches rebelles dans la Goutha ou la sécurisation du nord du pays avec une offensive vers l’aéroport d’Abou Douhour près d’Idlib actuellement tenu par Hayat Tahir al-Cham, une coalition dominée par Jabhat Fatah al-Cham (Al Qaïda).

La reprise de la rive droite de l’Euphrate est beaucoup plus problématique du fait de la présence de l’Armée américaine.  Cela fera sans doute partie des négociations finales mais il y a une divergence à ce sujet entre d’un côté, les gouvernements syrien et iranien et de l’autre la Russie qui elle veut éviter une confrontation militaire (pour le moment) avec les États-Unis.

Excepté pour les FDS, les approvisionnements des rebelles en armes et munitions se sont taris.  Je n’arrive pas à savoir si les soldes sont encore partout payées. Il faut savoir que l’argent a été la principale motivation de l’engagement des rebelles syriens.  Les motifs idéologiques ont toujours été secondaires exceptés pour une minorité de fanatiques.  L’argent des trafics, des enlèvements contre rançon [iii] et du racket ont été le nerf de la guerre depuis plus de six ans.

Cette situation va immanquablement déboucher sur un ralliement de la plupart des petits groupes rebelles au gouvernement syrien grâce à la médiation russe et elle verra le retour à la vie civile de la plupart de ceux qui ont pris les armes.

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Les FDS près de Raqqa.

Les vaincus.

« Vae victis » [iv] pour les rebelles.  Ils payeront le prix fort pour avoir cru les promesses de leurs sponsors.

Les guerres civiles ont de tous temps été les plus cruelles et celle-ci ne fera pas exception.   On peut imaginer le sort des partisans du président Assad si les islamistes l’avaient emporté alors ne soyons pas sensibles quant à leur sort, il sera bien moins cruel.

Beaucoup de ces rebelles qui survivront, les plus fanatiques et ceux qui ont commis des crimes, n’auront d’autre choix que de s’exiler avec leur famille s’ils ne sont pas exécutés avant.  Ce sera une charge pour les pays limitrophes et pour les pays de l’Union européenne qui ont soutenu cette guerre.  Les États-Unis ne seront pas concernés vu qu’ils ont fermé leurs frontières aux ressortissants des pays arabes concernés.

On peut distinguer trois groupes de perdants.  Les groupes rebelles/terroristes, les États qui les ont soutenus et les réfugiés syriens.

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Combattants du groupe terroriste État islamique.

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Le jeune émir du Qatar.

Les vainqueurs.

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Souheil al-Hassan. Un des généraux les plus populaires en Syrie.

 

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La conférence d’Astana : une victoire politique de la Russie à confirmer.

Il est actuellement difficile placer la Turquie dans le camp des gagnants ou des perdants. Son rapprochement avec la Russie lui permettra sans doute de tirer son épingle du jeu ou de limiter les pertes mais elle n’aura pas obtenu beaucoup d’avantages en s’engageant dans cette guerre. [vi] Il ne faut jamais oublier que la principale menace pour son intégrité vient de sa minorité kurde que ses ennemis peuvent à tout moment militairement soutenir.

Deux autres pays limitrophes, le Liban et la Jordanie, n’ont finalement pas été déstabilisés malgré les millions de réfugiés syriens qu’ils ont dû accueillir.

L’Irak, un autre voisin de la Syrie, a aussi vaincu DAECH. La plus importante zone du pays, le sud chiite, n’a pas été touchée par la guerre. L’Irak a les moyens de recouvrer sa totale indépendance et de se libérer de la tutelle étasunienne.

Conclusion.

Depuis 75 ans, les conditions pour gagner une guerre n’ont pas changé.  Il faut une suprématie aérienne et des troupes combattantes au sol.

Seules les forces loyalistes et leurs alliés répondaient à ces deux critères.  La suprématie aérienne était assurée par la Russie et les troupes combattantes, principalement des unités d’élite renforcées par le redoutable Hezbollah libanais ainsi que par des unités iraniennes, ont pu être déployées massivement dans l’ensemble du pays avec un parc de blindés modernisés.  L’AAS a aussi pu compter sur l’aide des experts militaires iraniens et russes.

La Russie avait un objectif stratégique cohérent, la lutte contre le terrorisme islamique, le soutien à un gouvernement légal et la souveraineté du peuple, et elle n’a pas varié dans sa position.

Le résultat est un retour des influences russe et iranienne au Moyen-Orient. [vii]

Cette guerre est une première lourde défaite pour les puissances occidentales, celles qui se sont auto-proclamées « la communauté internationale » depuis la fin de l’URSS.

Avec le recul, nous verrons aussi que ce conflit marquera la naissance d’un monde multipolaire dans lequel le bloc occidental aura un adversaire face à lui.

La guerre peut encore durer des années mais les vainqueurs sont connus.

Connaissant le réalisme de Vladimir Poutine, il laissera une porte de sortie honorable aux perdants pour qu’ils ne perdent pas la face mais lui et ses alliés sont les incontestables gagnants de cette partie de géostratégie et il faut espérer que les Occidentaux retiendront la leçon et qu’ils hésiteront dorénavant à encore se lancer dans une pareille expérience de déstabilisation d’un pays souverain.

Les historiens devront se souvenir de l’étonnante déclaration de Roland Dumas en 2011 avant de faire porter la responsabilité du conflit sur les épaules de Bachar al Assad et de maintenir le mythe d’un peuple opprimé qui se serait spontanément soulevé contre un régime honni.

https://www.youtube.com/watch?v=BH9SHxetO1I

Plus récemment, il y a aussi le document de la BBC avec les révélations de l’ancien Premier ministre qatari Hamad bin Jassen al-Thani qui admet qu’il y a eu des interventions étrangères dès le début de la crise.

https://www.youtube.com/watch?v=lUt7OtcKI64&feature=youtu.be

Pour terminer, il faut en finir avec le mythe du retrait du président Assad pour des raisons morales. Sa légitimité ne peut être remise en cause que par le peuple souverain lors d’élections équitables. L’ONU peut éventuellement les superviser pour garantir l’intégrité du processus électoral. Dans les circonstances actuelles, Bachar al-Assad a toutes les chances de largement l’emporter ce qui délégitimerait les rebelles armés et porterait à faux tous les pays qui les ont soutenus. C’est pour remédier à cela que les Occidentaux demandent le retrait du président Assad ou sa non-présentation aux prochaines élections. Les raisons morales évoquées ne sont que des arguties servant à éviter une lourde déconvenue lorsque le peuple souverain se sera exprimé.

Pierre Van Grunderbeek

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