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Seyni Nafo à  propos de la la COP21/, «On veut un accord inclusif, ambitieux et équitable»

Seyni Nafo, Malien  d’origine est le porte-parole du continent africain à la 21ème  Conférence des Nations unies sur le climat (COP21), qui se tiendra en décembre  prochain à Paris. Il  a la lourde tâche de défendre les intérêts de l’Afrique dans les négociations, qui doivent aboutir à la signature d’un accord international dans lequel les 195 Etats participants prennent des engagements concrets, afin de maintenir le réchauffement climatique de la Terre en-dessous de 2°C. A moins de trois mois de l’échéance – et alors qu’en coulisses les négociations ont commencé depuis des mois -, Seyni Nafo en dévoile les grands enjeux vus du continent africain.

Concrètement qu’est-ce que l’Afrique attend de ces négociations sur le climat de Paris ?

Pour Paris, on veut un accord qui soit inclusif, ambitieux et équitable. Inclusif, il est important que l’on s’assure que les 195 pays sont dans l’accord et prennent le virage. C’est le moment où la communauté internationale joint l’acte à la parole. Deuxièmement, c’est un accord qui doit être ambitieux. Il faut mettre en place un certain nombre de mécanismes qui s’assurent que le niveau d’efforts dont on a besoin, on n’y arrive pas dans cinq ans, pas dans dix ans, mais il faut que les fondations fassent partie de l’accord. Il faut que l’accord soit équitable et que les besoins des pays les plus vulnérables soient pris en compte. Donc, adaptation, financements pour les petits Etats insulaires, pour les pays les moins avancés pour l’Afrique.

Les pays ont jusqu’au 1er octobre pour rédiger leur contribution et présenter les efforts qu’ils sont prêts à consentir. Jusqu’à présent, seuls huit pays africains ont rendu leur copie. C’est peu non ?

C’est peu. Beaucoup ont commencé un peu en retard. Mais en même temps, on voit déjà une Afrique qui est assez ambitieuse dans ses contributions : le Gabon par exemple qui propose une baisse de 50 % de ses émissions ; l’Algérie qui propose de 22 à 27% d’augmentation des énergies renouvelables dans son mix.

Pourquoi est-ce que c’est si long ? Quelles sont les difficultés peut-être rencontrées par les pays pour rédiger ces contributions ?

La difficulté la plus grande, c’est en termes de planification. Ces contributions-là sont entre 2020 et 2030. Quand on sait qu’une grande partie des pays africains ont des cadres de planification pour quatre ans, pour cinq ans. Et donc planifier pour un horizon aussi long, ce n’est tout simplement pas dans la pratique. Et donc le plus difficile, c’est comment rester dans des scénarios qui soient réalistes. Parce que je peux vous assurer que s’il fallait juste faire très vite un travail superficiel, on aurait tous des contributions. Ensuite il faut se rendre compte que cette contribution pourrait être contraignante pour les pays. Il faut s’assurer que les chiffres qu’on met dans ces contributions soient ambitieux, mais en même temps réalistes.

Est-ce que cette exigence d’adapter son développement économique au changement climatique, c’est un fardeau ou c’est une opportunité pour l’Afrique ?

Ce sont les deux en même temps. Premièrement on n’a pas le choix. Les changements climatiques s’imposent à nous, la variabilité de la pluviométrie, l’augmentation du niveau de la mer. Face à ces phénomènes-là, les Etats sont obligés de s’adapter. Par exemple, je vais prendre le potentiel de l’énergie renouvelable : c’est vrai l’Afrique a le plus grand potentiel en termes d’énergie renouvelable. Donc ça c’est une opportunité, mais les développer a un coût. C’est un coût qu’il faut prendre en charge.

Cette question du coût et de l’argent sera au cœur évidemment des négociations qui seront menées à Paris. Où est-ce qu’on va trouver l’argent ?

Par rapport à l’argent, il y a la fameuse question des 100 milliards de dollars par an à partir de 2020.

C’est un engagement prix à Copenhague par les pays industrialisés qui sont engagés à mobiliser 100 milliards de dollars par an ?

Exactement. Aujourd’hui d’après les estimations que nous avons, on est à peu près à 35, 45 milliards de dollars par an de ressources publiques qui vont à l’adaptation et à l’atténuation. D’après, encore une fois, les estimations que nous avons, ces 100 milliards ne vont pas suffire. Alors pour nous, il est important que la communauté internationale commence à réfléchir à une mobilisation substantielle de financements, que ce soit une taxe sur les transactions financières, que ce soit taxer le carbone ou que ce soit même à travers des nouveaux instruments monétaires comme par exemple l’assouplissement quantitatif, c’est-à-dire créer de la monnaie qui va ensuite être utilisée pour investir dans des secteurs productifs. Ce débat-là, il est encore ouvert.

Ça fait de longues années déjà que vous participez à ces négociations. Si on compare à la Conférence de Copenhague sur le climat de 2009 par exemple, qu’est-ce qui change cette année dans la manière dont l’Afrique se positionne dans ces négociations ?

La position du groupe africain n’est certainement pas de se victimiser parce qu’on pourrait juste accepter d’avoir comme position que nous sommes les plus vulnérables puisque nous sommes les plus vulnérables et les moins responsables. De facto on aurait droit à l’ensemble de la panoplie de solutions qui existent. Ça ne peut pas être une position de négociation. Ce n’est pas parce que nous sommes les plus vulnérables et que nous avons le moins de responsabilités que nous ne faisons pas ce travail aujourd’hui de venir avec des propositions qui font avancer les choses.

Et quel type de propositions innovantes allez-vous faire ?

En finance par exemple, on a proposé qu’il y ait un groupe de travail spécifique pour réfléchir à la mobilisation de nouveaux instruments financiers.

Vous voulez dire sortir d’un dispositif où les pays les plus avancés financent pour les autres sur leurs fonds publics ?

Il faut aller au-delà pour plusieurs raisons. Premièrement, les ressources publiques ne suffisent pas. Deuxièmement, tout simplement elles ne sont pas au rendez-vous. Troisièmement, vu l’ampleur des montants dont on parle, il faut obligatoirement qu’on mobilise la finance internationale.

Est-ce qu’il y a du scepticisme en Afrique comme il y en a en Europe sur l’existence même du changement climatique ?

Toutes les populations dans quelque village que ce soit en Afrique se rendent bien compte que le climat est en train de changer, que les pluies n’arrivent plus ou pas au même moment, que le désert est en train d’avancer. Maintenant faire le lien entre ce changement-là et la nature humaine derrière ces changements, c’est là où le lien n’est pas fait.

Quel est le principal impact aujourd’hui sur le continent africain du changement climatique ? Si on prend par exemple le Mali ?

Comme tous les pays qui sont dans le Sahel, la variabilité de la pluviométrie est peut-être la conséquence la plus directe qu’on voit. On a de plus en plus de difficultés à planifier la saison des pluies en termes d’impacts sur les populations, d’impacts sur même l’économie de ces pays pour une majorité qui dépendent quand même de l’agro-pastoralisme. C’est quand même assez sérieux.

source: rfi.fr

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