Le professeur Jean-Jacques Muyembe Tamfun dirige depuis la fin du mois de juillet 2019, le comité d’experts chargé de la « riposte nationale » contre l’épidémie d’Ebola qui sévit dans le Nord-Est de la Rdc et qui a récemment gagné Goma. Le co-découvreur du virus Ebola n’écarte pas l’usage d’un deuxième vaccin, mais explique aujourd’hui que « ce n’est pas la priorité ». Entretien.
L’opinion mondiale parle beaucoup de l’utilisation d’un deuxième vaccin, élaboré par les laboratoires Johnson & Johnson, en complément du vaccin rVSV de Merck pour lutter contre l’épidémie d’Ebola dans l’Est de la RDC. Est-ce qu’une décision a été prise ?
Pour le moment, ce n’est pas notre priorité, nous voulons d’abord contrôler cette épidémie qui est arrivée dans une grande ville de la Rdc (Goma), une plaque tournante pour les voyageurs. Nous utilisons toujours le vaccin rVSV de Merck. Ce deuxième vaccin est une recommandation du groupe d’experts qui conseille l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en matière de vaccination et dans sa réunion du 5 mai dernier, il suggérait d’utiliser celui- ci comme vaccin préventif.
Dans notre institut de recherche, nous avons étudié plusieurs candidats vaccins et il se trouve que le vaccin Johnson & Johnson est celui pour lequel nous avons le plus de données scientifiques. En outre, il permet de fournir le plus grand nombre de doses. Donc, de prime abord, notre choix s’est porté sur ce vaccin, mais il faut souligner que c’est un vaccin en étude, pas encore homologué.
On dit que vous êtes personnellement favorable à l’utilisation de ce vaccin Johnson & Johnson. Est-ce que c’est vrai ?
Je suis le directeur de l’Institutnational de recherche biomédicale et mon équipe l’a étudié. Ce n’est pas moi qui veux imposer un vaccin, mais sur la base des évidences scientifiques, l’équipe de chercheurs a pensé qu’on pouvait utiliser ce deuxième vaccin. D’ailleurs, il est déjà utilisé et testé en Guinée et maintenant en Ouganda.
Qu’est-ce qu’il apporte de plus que le vaccin Merck ?
Son avantage est qu’il est préventif, comme celui de la rougeole. On voulait créer un « rideau » de personnes immunisées entre la zone infectée actuellement, dans le Nord Kivu, et Goma. Géographiquement, il y a toute une région entre les deux qui n’est pas touchée par l’épidémie et si nous agissons là, nous créons une « ceinture » qui arrête l’extension du virus et ainsi nous protégeons la ville de Goma. C’était l’hypothèse.
Ce vaccin nécessite deux injections à cinquante-six(56) jours d’intervalle, est-ce réaliste dans les conditions du Nord Kivu ?
Le problème n’est pas l’effort logistique. D’ailleurs pour le premier vaccin, le « Merck », on disait que ce serait impossible pour des questions de chaîne du froid entre autres, mais on y arrive. A l’Institut, nous avons l’expérience de la vaccination contre la fièvre jaune… Tout cela est une question de méthodologie, de communication avec la population. Si la population accepte, il n’y a plus de problème. Ce qui est encore plus important, c’est de faire des recherches. Pendant cette épidémie, nous devons faire des recherches pour trouver des solutions pour les épidémies à venir. Pas seulement pour l’épidémie d’aujourd’hui.
Selon vous, comment convaincre la population qui a été souvent hostile aux soignants ?
Tous demandent un vaccin, et nous savons qu’avec le premier, le rVSV, nous ne pouvons pas vacciner une grande population du fait que tout le monde le demande, donc pour des raisons de disponibilité. Par ailleurs, il a prouvé son efficacité alors qu’il était encore sous forme expérimentale. C’était lors de l’épidémie la Guinée en 2014, et nous l’avons maintenant confirmé ici en 2018, mais il faut continuer les recherches.
Quant à l’hostilité des populations, c’est la faiblesse de notre riposte dont la communication n’est pas ancrée. Nous devons la renforcer, obtenir l’engagement de la population. Aussi longtemps que nous n’aurons pas cet engagement des communautés, il y a peu de chances que nous puissions réussir à éteindre cette épidémie.
Un autre problème, c’est l’insécurité qui sévit dans la région.
Oui, c’est même le principal problème. C’est pour cela que nous disons que la lutte contre Ebola n’est pas qu’un problème de santé publique. Dans notre stratégie actuelle, nous allons inclure d’autres secteurs responsables. Le problème de l’insécurité concerne le ministère de l’Intérieur, et puis nous devons intégrer le ministère de la Défense pour escorter les équipes, et d’autres encore…
Beaucoup de pays de la région sont inquiets. Est-ce que vous craignez une extension régionale de l’épidémie ?
S’il y a un risque d’extension, il est plus important à l’intérieur de la RDC que dans les pays voisins, mais nous avons des équipes qui surveillent les déplacements et les contacts pour minimiser les risques de propagation vers les pays voisins.
Le Président de la République vous a confié la coordination nationale de la lutte contre l’épidémie. Quel est votre sentiment par rapport à cette charge ?
Il y a trois mois, nous avions dit qu’on pouvait maîtriser cette épidémie en trois mois étant donné notre expérience en la matière. Mais malheureusement cette nomination vient juste d’intervenir et la situation sur le terrain a complétement changé.
Pourtant, nous restons confiants et en trois ou quatre mois, nous pouvons arrêter cette épidémie. Le défi est grand et la responsabilité est lourde, mais nous comptons beaucoup sur l’appui de la population, l’appui de la société civile et de nos partenaires pour réaliser un travail de qualité.
Source : information.tv5monde.com