Honorables, chers frères et sœurs, chers amis. Pour certains d’entre vous, ce sera la grande première des débats parlementaires à partir de vendredi 5 mai 2017. Pour d’autres, ils sont des habitués. Tous, vous avez été élus pour doter la Côte d’Ivoire des textes de loi solides, forts et consensuels, entre autres missions.
Félicitations pour le choix porté sur chacun de vous par les électeurs dans vos circonscriptions respectives. La Côte d’Ivoire urbaine et rurale vous regarde.
L’un des premiers textes sur votre bureau, c’est le projet de loi portant régime juridique de la presse. L’exposé des motifs précise, « La liberté de la presse, liberté fondamentale qui repose sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression, constitue l’un des piliers essentiels de la démocratie. ». La loi du 14 décembre 2004 est considérée par les professionnels de la communication comme une loi avant-gardiste. Elle a eu le mérite d’affirmer clairement la dépénalisation des délits de presse. Mais pas seulement. Les journalistes ivoiriens ont applaudi l’adoption de cette loi des deux mains. Elle était l’aboutissement de leur combat, de leur lobbyng, de leur engagement aussi à exercer leur métier dans le respect du code de déontologie et d’éthique.
L’Union Nationale de Presse de Côte d’Ivoire, l’UNJCI, en avait fait son cheval de bataille. Elle a initié des plateformes d’échanges avec les responsables politiques du pouvoir comme de l’opposition, la société civile pour plaider la cause des journalistes. Elle avait un leitmotiv, responsabiliser les journalistes, mais aussi garantir la sécurité et la liberté des hommes de presse dans l’exercice de leur métier. Le combat des journalistes a fini par payer. En 2004, la loi a été adoptée. Au grand soulagement de tous les professionnels qui ont donné de leur temps, leur énergie, leur engagement.
L’un des acquis des journalistes, la dépénalisation des délits commis par voie de presse. Plus aucun journaliste en prison dans l’exercice de ses fonctions. Depuis 2004, les hommes de presse en Côte d’Ivoire s’arcboutent sur ce gain chaque fois qu’un des leurs est interpellé. La loi du 14 décembre 2004 était « le bébé » de la presse.
Le projet de loi sur votre table note bien, la loi 2004 est aujourd’hui inadaptée… Les exposés de motifs du projet de loi marquent : « En effet, de nouveaux types de médias se sont développés de sorte que leur prise en compte dans le dispositif légal régissant le secteur de la presse s’impose. Il s’agit notamment de l’information numérique, c’est-à-dire celle diffusée par le biais de l’internet ou encore par les réseaux de téléphonie mobile. ».
Normal. La loi ne saurait être figée. Elle vit. Elle s’adapte. Aucun journaliste ne peut s’opposer à cette dynamique. Ce qui par contre dresse les cheveux des journalistes, un article, l’article 90. Il stipule « Est puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 300.000 à 3.000.000 FCFA, quiconque, par voie de presse, ou par tout autre moyen de publication :
Incite au vol et au pillage, au meurtre, à l’incendie, et à la destruction par quelque moyen que ce soit, de biens publics et privés, à toutes formes de violences exercées
Incite à la xénophobie, à la haine tribale, à la haine religieuse, à la haine raciale et à la haine sous ses formes. ».
Emprisonnement ! Le mot avait quitté le jargon des journalistes. Il réapparait. Dangereusement ! Le procureur de la République a averti les journalistes. « Je suis esclave de loi. J’applique la loi. ». Il ne vote pas la loi. Il jettera les journalistes en prison si vous, députés, votez cette loi. Le prédateur, ce ne sera pas le procureur. Ce sera les députés que nous avons élus. En qui les Ivoiriens ont mis leur confiance pour les protéger par l’adoption de lois qui les protègent. Vous serez responsables de la dégradation de l’image de la Côte d’Ivoire à l’intérieur comme à l’extérieur. Mettre un journaliste en prison, pour ses écrits et ses opinions, c’est nuire à la réputation du pays.
La profession se battait déjà pour obtenir l’abrogation des articles 68 et 69 de la loi de décembre 2004 qui renvoient au code pénal. Donc, par glissement sensible, laissaient la porte ouverte à l’emprisonnement des journalistes. Le projet de loi sur votre table vient brûler tous les acquis démocratiques de la presse. Vous avez le devoir de dire non !
Nous ne disons pas que les journalistes sont des surhommes. Non, ils ne sont pas au-dessus de la loi. Nous ne réclamons pas une immunité comme vous. Nous demandons simplement que vous ne donniez pas une ouverture à tous ceux qui nourrissent le secret désir d’intimider ou de faire taire les journalistes.
Vous vous demandez certainement, comment la société peut sanctionner des journalistes qui violent les règles élémentaires du métier ? Tous ceux qui ne respectent pas le code de déontologie et d’éthique ? Nous avons la réponse : laissez les organisations professionnelles de régulation et d’autorégulation et les structures administratives telles que le CNP et la HACA jouer les gendarmes du milieu.
S’il vous plait, messieurs les députés, regardez de près, cette loi. Épurez le texte. Ne mobilisez pas les journalistes contre vous.
Fernand Dédeh – Journaliste professionnel ivoirien