Mr le Président, j’ai honte. Aujourd’hui en Côte d’Ivoire, nul ne sait réellement ce que vous et votre homologue Mr Alassane Ouattara vous êtes dit, lors de votre visite à Abidjan, en fin décembre dernier. Futur métro d’Abidjan, fin du Franc CFA, lutte contre le terrorisme … Les sujets n’ont, à coup sûr, pas manqué.
Mr le Président, votre penchant pour la realpolitik est connu. Vos silences sur les situations au Cameroun, au Congo, ou encore au Togo ont fini de convaincre les plus récalcitrants d’entre nous (car oui j’ai voté pour vous) de votre manque total d’empathie envers les peuples africains. Mais vous n’avez pas été élu pour cela et je suis d’ailleurs totalement d’accord avec vous. Cette maxime selon laquelle les Etats n’auraient pas d’amis, seulement des intérêts, je la comprends. Après tout, c’est aux pays et aux peuples africains, seuls, qu’il incombe aujourd’hui de défendre leurs intérêts. Je suis d’accord avec vous.
Dans le contexte actuel, il apparait clairement, que Mr Ouattara est votre allié, celui qui vous permet de défendre au mieux vos intérêts et ceux de la France. C’est un choix, une stratégie, que je ne critique pas. Je répète : vous avez le droit de choisir Mr Ouattara.
Mais savez-vous Mr le Président, à quoi ressemble aujourd’hui la vie, sous la dictature de votre cher allié ?
J’ai déménagé en Côte d’Ivoire en 2012. Mon mari venait alors d’y décrocher un emploi. La vie d’expatriés, pleine de cocktails acidulés, j’en rêvais. Je l’ai d’ailleurs vécu, pleinement. Mais depuis 2012, j’ai aussi vécu le délitement démocratique d’un pays. Emprisonnement d’opposants, de bloggeurs, atteintes aux libertés publiques et à la liberté de la presse, corruption endémique, tricheries monstres lors des municipales 2018, violences orchestrées, écoutes téléphoniques illégales et massives, manipulation de la justice, etc. Aujourd’hui, plus personne, Ivoirien ou étranger, n’ose donner un avis critique en public, les internautes sont surveillés, les entrepreneurs matraqués fiscalement, surtout lorsqu’ils ont des liens avec certains opposants.
Une désintégration démocratique qui s’est accélérée après le refus des alliés d’hier (Henri Konan Bédié et Guillaume Soro) de se fondre dans la coalition au pouvoir, et qui s’est accélérée encore, devinez-quand ? Après votre visite à vous, à Abidjan, fin 2019. Dans une sorte d’ivresse du pouvoir, complètement irrationnelle, la chasse aux opposants s’organise. Sa violence et sa cruauté inouïe anesthésient une partie des Ivoiriens et des étrangers, nombreux, qui vivent ici.
Depuis, dans un silence, tout aussi inquiétant, les autorités françaises se taisent. Personne, hormis la courageuse ONG, Amnesty International, n’ose dénoncer les dérives dictatoriales d’un homme, que dis-je, d’un allié. Mr le Président, j’ai donc deux questions pour vous : la chappe de plomb qui vient de s’abattre sur le pays, est-elle liée, de près ou de loin, à votre visite ? Si non, comment expliquer le silence des autorités françaises et des médias français, face aux innombrables brutalités de ce régime ?
« Oh ce n’est pas aussi grave que dans des pays comme le Congo », « Ah, mais c’était pire sous Gbagbo ! », « C’est bien fait pour Soro ! Ce n’est pas un ange celui-là », « Dans le contexte régional actuel, on ne peut plus se permettre de jouer avec notre sécurité nationale ! »… Entend-t-on ici et là, de la part d’une minorité, au sein la communauté française. La majorité, elle, reste silencieuse.
La personnalité de Guillaume Soro pose donc un problème à certains. Soit. Comme tout homme politique contemporain, ce dernier est clivant. Mais auriez-vous été plus émus, si la fureur de Ouattara s’était déversée sur un autre de ses dauphins putatifs ? Je ne pense pas. Le problème, c’est notre démission collective et progressive face à nos principes démocratiques. Les principes !
Mr le Président Macron, je ne suis pas une partisane de Guillaume Soro. Je ne suis ni une de ses amies ni une de ses proches. Je ne le connais pas. Et je ne veux pas le connaître.
Toutefois, la vitesse à laquelle il est passé d’acteur convoité à démon, par le pouvoir actuel, m’interpelle … La vitesse à laquelle Mr Ouattara, est lui passé de Président modèle à Président tortionnaire, allant jusqu’à arrêter les membres de la famille biologique d’un opposant politique, son personnel de maison, ses gardiens et autres médecins ou simples stagiaires, sans preuve aucune, me choque. Profondément.
Le combat politique mérite mieux. La Côte d’ivoire mérite mieux. Et surtout, la France, mérite mieux.
Source : yeclo.com