Par Pr. Séraphin Prao*
A l’issue du conseil des ministres du mercredi 26 octobre 2022, il a été annoncé, dans le cadre de l’exécution du Programme social du gouvernement (PSGouv2), l’apurement, en fin novembre 2022, des arriérés de pécule des enseignants contractuels intégrés à la fonction publique par décrets en juin et juillet 2022. Dans cette deuxième et dernière publication, le président du Mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » réitère l’appel à la décrispation des rapports entre le Président Alassane Ouattara et Soro Guillaume.
Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » réitère aussi son appel à la décrispation des rapports entre le Président Alassane Ouattara et l’ancien président de l’Assemblée nationale Soro Guillaume. Le parcours politique du président Ouattara montre, s’il en est besoin, que la fixation sur un opposant politique s’est toujours révélée contre-productive pour son auteur.
Au lieu de le détruire, elle construit plutôt la personnalité combattive et résiliente de ce dernier, lui attire la sympathie populaire et ne l’empêche nullement d’accéder au pouvoir. Elle ne fait juste qu’en retarder l’échéance, le temps que ce dernier achève son parcours initiatique qui conduit à la fonction présidentielle en Côte d’Ivoire.
Il en a été ainsi d’Houphouët-Boigny sous le colon et de Laurent Gbagbo sous le régime PDCI. Le président Alassane Ouattara lui-même n’a pas échappé à cette logique initiatique inconsciemment sacralisée dans sa gouvernance par le personnel politique ivoirien au pouvoir. Pourtant, l’on peut bien se passer de ce chemin en instaurant un jeu politique ouvert et égalitaire.
La génération des Henri Konan Bédié, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara est en train de passer et passera. La passation de pouvoir avec la génération des Jean-Louis Billon, Soro Guillaume, Blé Goudé, Koné Katinan, Damana Pickass, Touré Mamadou, etc. doit se faire sans heurt et dans le respect des us politiques qui préservent la dignité humaine et autour desquels s’est construit, depuis Houphouët-Boigny, le compromis pour une action politique relativement sereine en Côte d’Ivoire.
Briser ces us et codes politiques dans le but de conserver durablement le pouvoir ou d’éloigner de la compétition politique un adversaire dangereux est le meilleur moyen de construire un avenir incertain pour ses propres partisans parce que la loi de Lavoisier s’applique à toute dynamique sociale.
Quand l’on veut se préserver des attaques, de la polémique et de la compétition, l’on recherche le consensus. Le consensus neutralise et vassalise les opposants grâce au jeu des rétributions politiques qui le nourrissent. Il élargit aussi les soutiens et renforce la cohésion sociale. Quand tout le monde est satisfait des conditions d’élection, il ne peut y avoir de violence.
Félix Houphouët-Boigny a emprisonné de nombreux opposants et partisans à travers, parfois, ce qui a été qualifié par les historiens de « faux complots ». Mais, il s’est toujours gardé de les humilier au-delà d’un certain seuil et en a même profité pour réhabiliter certains de ses anciens prisonniers qui sont devenus de grands serviteurs de l’Etat.
La Côte d’Ivoire de l’après Houphouët-Boigny devrait demeurer dans la continuité des us par-delà les changements politiques non partisans. Et, le personnel politique, surtout le parti au pouvoir, devrait mettre ses actions politiques en perspective, dans la temporalité des cinquante années avant sa prise de pouvoir. Celles-ci doivent sortir de la spirale des représailles politiques qu’alimente la peur de l’alternance politique.
La parole « Fais aux autres ce que tu veux qu’ils fassent pour toi » reformulée en « Traite les autres comme tu aimerais être traité » devrait être une maxime appliquée avec bienveillance dans le terrain politique ivoirien. Le président Alassane Ouattara a été frappé en 1999 par un mandat d’arrêt international. Mais il est rentré en Côte d’Ivoire, au cours de la même année, grâce à un concours de circonstances auquel ne s’étaient pas préparés ceux qui avaient lancé contre lui cette fatwa et aucune suite n’a été donnée à cela. Il avait été dit de lui qu’il ne serait jamais président dans ce pays. Mais il l’a été et continue de l’être. L’histoire nous parle.
Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » a joint sa voix à bien d’autres demandant le retour du président Laurent Gbagbo. Cela a été fait. Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » a milité pour le retour du ministre Charles Blé Goudé. Cela est en cours de réalisation. Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » milite aussi pour le retour sécurisé de l’ancien président de l’Assemblée nationale Soro Guillaume. Ce retour sécurisé se décline en ces points suivants :
– suspension des poursuites judiciaires contre Soro Guillaume et ses partisans par la prise d’une amnistie ;
– libération des personnalités proches de Soro Guillaume emprisonnées ;
– cessation des hostilités sur toutes les plateformes numériques par les partisans de Soro Guillaume et établissement d’un pacte de non-agression ;
– restitution des biens confisqués et vendus aux enchères de Soro Guillaume ;
– engagement de Soro Guillaume et de ses partisans à ne participer à aucune manœuvre de déstabilisation que ce soit de la Côte d’Ivoire et de ses institutions ;
– excuses publiques de Soro Guillaume au Président Alassane Ouattara ;
– réhabilitation de Soro Guillaume dans ses droits civiques et politiques ;
Tous les points d’accord qui seront obtenus à l’issue des négociations devraient, pour le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire », faire l’objet d’un engagement écrit signé par toutes les parties. L’opinion publique nationale et internationale sera prise à témoin à cause de la versatilité légendaire du personnel politique ivoirien.
Chaque fois qu’un opposant au régime du Président Alassane Ouattara rentre en Côte d’Ivoire et participe au débat politique et à la construction de la cohésion nationale, c’est la démocratie ivoirienne qui se porte mieux et se renforce.
Mais si tout le monde rentre en Côte d’Ivoire et que le président Soro Guillaume et ses amis restent les seuls condamnés à un exil forcé, la Côte d’Ivoire sera loin d’être démocratique aux yeux de leurs partisans. La situation de Soro Guillaume ressemble étrangement à celle des 46 militaires ivoiriens retenus au Mali. On y perd son latin et on ne sait plus quoi en dire encore sinon tout juste souhaiter que ce qui est soit. La formule consacrée est : « ce qui est sera ».
Un pays parrain du prix international pour la recherche de la paix de l’UNESCO qui a développé une curieuse belligérance atavique
Le présent appartient au père mais l’avenir appartient aux fils. En politique, le père ne peut hypothéquer l’avenir de ses fils par des manœuvres punitives qui n’auront plus de sens ni de valeur après lui parce que la vie politique au sommet est constitutionnellement à durabilité limitée. En politique, la vérité d’aujourd’hui finit toujours par devenir le mensonge de demain. Tout pouvoir politique s’adapte aux contradictions du moment et, les contradictions des pères ne sont jamais celles des fils et des successeurs ; les adversaires d’hier pouvant devenir les partenaires d’aujourd’hui. Rien n’est définitif en politique.
La belligérance perpétuelle n’apporte rien de bon dans l’édification des nations et dans la construction de la cohésion nationale qui est une source de richesse, un bien immatériel, en économie du développement. Il est aussi inutile de superposer les mœurs politiques occidentales aux réalités africaines.
La judiciarisation de l’espace politique, comme les appels à l’insurrection populaire, est une boite de pandore qu’il faut se garder d’ouvrir en politique africaine parce que la démocratie est encore balbutiante et malmenée par moments. Et, nul ne sort gagnant en Afrique d’une logique politique de judiciarisation à cause du possible effet boomerang qu’elle peut engendrer. La victoire qu’on en tire ne dure qu’un temps. Elle est même une victoire à la Pyrrhus. Un seul commence et les autres poursuivent, dans des vendettas interminables pour tenir chaque génération d’opposants en laisse.
« Le renard passe passe … chacun son tour » dit la comptine. L’étendard de la toute-puissance, en politique, passe d’une main à une autre et, cette capacité qui divinise le pouvoir politique doit être manipulée avec circonspection. Les effets collatéraux de la longue stigmatisation subie par un camp sont là aujourd’hui, palpables et, chacun goûte à ses fruits amers et apprécie s’il a fait, bien fait pour son pays ce qu’il devait. Cela devrait inciter à ne plus tenter l’aventure.
En politique africaine, si le père ne fait pas la paix avec ses enfants de son vivant, à sa mort, les enfants feront la paix entre eux et le une seconde fois en lui faisant porter le fardeau de toutes les fautes suivant la logique du bouc-émissaire. L’arène politique est une société qui a ses mœurs et chaque pouvoir et chaque opposition, dans notre continent si instable, si fragile mais aux pouvoirs si forts, doivent faire l’effort de préserver les bonnes mœurs politiques parce que tout passe un jour et les jours ne se ressemblent pas.
Les grandes démocraties occidentales reposent sur des compromis parfois multiséculaires qui sont les régulateurs de leur vie politique. Il est donc plus que nécessaire de respecter les accords tacites des compromis politiques sans lesquels il n’y a pas de vie politique dans un pays. Mais, dans le fond, la démocratie, elle-même, est compromis et s’édifie par le compromis. Si les pays africains renforcent leur ancrage dans la démocratie, les choses iront d’elles-mêmes. Là où il n’y a pas de compromis, il n’y a pas de démocratie.
Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » trouve paradoxal qu’un pays qui est le parrain du prix Félix Houphouët-Boigny de l’UNESCO pour la recherche de la paix entretienne si fortement une belligérance quasi permanente et atavique. Les uns et les autres ont-ils conscience des implications et des enjeux politiques, diplomatiques et sociétaux de ces symboles que sont le prix de l’UNESCO et la présence de la Basilique Notre Dame de la paix de Yamoussoukro ? Ces symboles qui font partie de la richesse immatérielle de la Côte d’Ivoire ne sont appréciés et rentabilisés politiquement à leur juste valeur.
Et pourtant, ils peuvent servir de levain à la diplomatie ivoirienne pour un engagement pour la paix dans le monde. Le jour où les ivoiriens trouveront ce qui a motivé la présence de ces symboles dans leur vie, ils comprendront l’esprit de Félix Houphouët-Boigny.
On se gargarise de ce nom. Mais y a-t-il en Côte d’Ivoire des houphouétistes dignes de ce nom ou a-t-on préféré choisir l’Houphouët-Boigny des premières décennies des indépendances qui avait besoin de consolider son pouvoir tout en lançant une politique de grands travaux au lieu du sage et bélier de Yamoussoukro qui avait, au soir de sa vie, compris que « la paix n’est pas un vain mot mais un comportement » ? Un homme de paix pose des actes de paix et respecte ses engagements en faveur de l’apaisement.
Les Ivoiriens doivent prendre d’Houphouët-Boigny le meilleur, l’homme des grands travaux, certes, qui a su, avec intelligence, transformer des broussailles en villes, à Abidjan mais aussi et, surtout, l’homme de paix et l’homme du vivre-ensemble harmonieux dont le rêve était de réunir des peuples différents en une nation unie, solidaire, travailleuse et prospère et qui a eu besoin de la main laborieuse des voisins pour réaliser ce grand rêve national.
Telles sont les origines profondes de la Côte d’Ivoire sur lesquelles doivent s’élever les murs du développement participatif et solidaire. Il ne faut pas laisser la plongée dans l’abîme du ressentiment détruire notre contribution si précieuse à l’édification d’une Côte d’Ivoire unie dans sa diversité et en paix avec elle-même. Le ressentiment, érigé en stratégie de conquête ou de conservation du pouvoir, est un mauvais conseiller. Ses voies sont sans issue.
L’âme de la nation ivoirienne qui guide toutes les initiatives politiques en interne comme à l’extérieur, des indépendances à nos jours, est marquée par trois concepts, trois piliers fondamentaux mis en place depuis le discours de Félix Houphouët-Boigny au stade Géo-André le 7 septembre 1958 : le compromis, le consensus et la recherche de la paix par toutes les voies possibles. Ces concepts sont quasi mystiques pour l’homme politique ivoirien de premier plan.
Tout pays a son ADN qui explique les rapports entre les acteurs du corps social et ses relations avec le reste du monde. La Côte d’Ivoire ne doit pas perdre son âme. Elle doit sortir de la méfiance et de la belligérance permanente qui s’est installée entre ses hommes politiques et revenir à elle-même pour une vie politique élégante, saine et fructueuse pour la nation.
La dialectique est consubstantielle à la politique mais elle n’est pas belliciste. Pendant que les contradictions se multiplient sur la scène internationale, il n’est pas bon de laisser les contradictions à l’échelle nationale prendre de l’ampleur et ruiner tous les efforts de reconstruction post-crise effectués jusque-là. Pour le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire », ceci n’aura lieu que dans le meilleur des mondes.
Mais le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » est conscient que nous ne sommes pas dans le meilleur des mondes et la lutte pour le pouvoir a engendré beaucoup trop de frustrations et de crocs-en-jambe en Côte d’Ivoire. Les ressentiments demeurent vifs mais refoulés et attendent le moment propice pour exploser en violences.
C’est notre faiblesse commune que l’ennemi, qu’il soit terroriste ou non, n’hésitera pas à exploiter. Les filles et fils de la Côte d’Ivoire peuvent, cependant, transformer cette faiblesse en force pour construire la nation. Le dialogue, la concertation permanente, la compréhension des attentes des uns et des autres, le compromis ainsi que le respect de la parole donnée et de la signature sont les matériaux de cet ouvrage collectif.
*Président du Mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire »