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Peut-on embrasser son enfant sur la bouche ?

La fillette déboule à toutes jambes et se jette dans les bras de son père qu’elle embrasse à pleine bouche. Devant les grilles de l’école primaire, les regards entendus des parents se font majoritairement réprobateurs. Faut-il se garder d’embrasser son enfant sur la bouche ? « N’oublions pas que nous pouvons être porteurs asymptomatiques de maladie et qu’un bisou sur la bouche, innocemment donné, peut être un bon mode de transmission. Vade retro herpès labial ! », pointe, pragmatique, Lili Defrei, maman trentenaire aux manettes du blog Chère famille. Si l’hygiène est à considérer dans cet échange affectif, ce n’est pas le seul problème à prendre en compte.

Symbole d’une intimité amoureuse

« Je suis père de deux garçons, de 1 an et 3 ans, écrit ce « papa tourmenté », sur le fil de discussion « Etre parents » du site Doctissimo.fr. Ma compagne fait un bisou sur la bouche des enfants, ça ne me posait pas de problèmes quand ils étaient tout petits mais maintenant, ça me tracasse. » Flirtant avec le complexe d’Œdipe, sa compagne estime quant à elle que « c’est naturel et il n’y a aucun mal à cela ». Les avis divergent au sein de l’assemblée en ligne. « Si tu n’y vois pas de mal, alors aucune crainte que les enfants le voient différemment », avance Didinana. Pourtant, Stéphanie convient qu’elle a « toujours trouvé ça étrange » et Virginie qu’il y a un âge où « il faut leur apprendre qu’on n’embrasse plus quelqu’un sur la bouche ».

Psychologues, psychopathologues et pédiatres sont majoritairement réfractaires au baiser sur la bouche entre parents et enfants. Dans son ouvrage Le pouvoir de l’imagination enfantine (Perigee Books, 2009), lapsychologue américaine Charlotte Reznick considère qu’« un bisou sur la bouche peut être stimulant. Et potentiellement déroutant pour l’enfant. (…) Si maman embrasse papa sur la bouche et vice versa, qu’est-ce que ça veut dire si moi, fillette ou garçon, j’embrasse aussi mes parents sur la bouche ? »

Sur les pas de la psychanalyste Françoise Dolto, Edwige Antier estime que conformément au sens du baiser sur la bouche dans notre culture, l’enfant l’appréhende comme le symbole d’une intimité amoureuse. Même si cette dimension n’est pas volontairement instaurée par le parent, « il ne s’y trompe pas, écrit la pédiatre française dans Dolto en héritage (Robert Laffont, 2005). Il peut même penser qu’on fait les bébés en s’embrassant sur la bouche. Le baiser sur la bouche est, pour votre enfant, synonyme de relation sexuelle ! » Et ce sentiment peut être lourd de conséquences sur sa construction sexuelle à l’âge adulte, prévient la psychanalyste Claude Halmos.

Des alternatives sans équivoque

« Depuis tout petit, l’enfant a repéré le potentiel érogène de la zone buccale, explique au Monde le pédiatre Aldo Naouri. Il faut savoir que l’enfant a une appétence quasi insatiable au plaisir. Tout son corps est une formidable éponge à plaisir et la bouche tout particulièrement dans la mesure où c’est par elle que, dès le début de sa vie, il s’octroie le plaisir le plus grand qui soit, celui d’assouvir sa faim. » Pour l’auteur d’Eduquerses enfants (Odile Jacob, 2008), l’adulte doit se défendre de satisfaire et de flatter cette appétence.

« Une maman n’embrasse pas son enfant sur la bouche, un père non plus. Et si l’enfant joue avec cette idée ? Il faut l’embrasser sur la joue (…) », défendait Françoise Dolto. Mme Antier préconise le baiser sur le front, plus distancié, « contrairement à la bouche, organe par lequel on dévore, on mange, on parle. Le front, c’est là où l’on pense, ce n’est pas là où l’on communique ». Pour M. Naouri, les parents disposent d’un éventail de « relais affectifs » sans équivoque, parmi lesquels « l’étreinte, la caresse, les manifestations vocales – berceuse et surtout les mots adressés à cet être de langage qui y est considérablement sensible – qui sont infiniment plus efficaces ».

Source: Le Monde

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