Afrique Matin.Net
DECLARATION DU FORSCI SUR LES NOUVEAUX TEXTES DE LOI SUR LA PRESSE
Deux importantes lois ont fait l’objet d’amendements par l’assemblée nationale le vendredi 5 mai 2017. Il s’agit de la loi n°2004-643 du 14 décembre 2004 portant Régime juridique de la Presse et de la loi n°2004-644 du 14 décembre 2004 portant Régime juridique de la Communication audiovisuelle.
Ces deux nouveaux textes sur les médias ivoiriens et la profession de Journaliste et de Professionnel de la Communication en Côte d’Ivoire, adoptés en commission par les députés, porte en eux-mêmes plusieurs dispositions attentatoires à la liberté de la presse mais également mettent en péril la paix et la stabilité sociale.
La dépénalisation des délits de presse a été adoptée par le gouvernement précédent, afin de permettre aux journalistes d’exercer leur profession sans pression.
13 ans après l’adoption de cette loi, nous constatons un recul démocratique en matière des droits de l’homme et du citoyen en côte d’Ivoire.
Outre les atteintes graves aux droits de l’homme dénoncées par les organisations des droits de l’homme eu égard aux centaines de prisonniers politiques détenus sans jugement, l’embastillement de l’opposition par la répression de toute manifestation pacifique, nous assistons à présent et la caporalisation des médias d’état, instituant de facto une justice partiale, le bâillonnement de la presse porte une entorse grave à la démocratie.
En tant que Société Civile, nous FORSCI (Forum des Organisations de la Société Civile Ivoirienne),
Dénonçons le caractère liberticide et gravement attentatoire à la liberté d’expression et à la liberté de la presse de ces deux lois.
De façon concrète, pour ce qui est de la loi sur la communication audiovisuelle l’article 3 est un permis à la censure. En effet, alors que le premier alinéa de cet article proclame que « la communication audiovisuelle est libre », l’alinéa suivant énonce quinze(15) cas dans lesquels cette liberté peut être restreinte. Il s’agit entre autres de formules «fourre-tout» et « passe-partout », à savoir le » non-respect des institutions de la république, de l’atteinte à la souveraineté nationale, de la violation du secret d’Etat, de l’atteinte à la défense nationale, de l’atteinte à la liberté, du non-respect des exigences de service publique ».
Dans ces conditions, il suffira de dénoncer le rattrapage ethnique qui est une réalité reconnue par le chef de l’État lui-même, pour parler d’incitation à la haine ethnique ou même de dénoncer l’incivisme dû au phénomène des « microbes » pour parler d’incitation à la violence. Ce faisant, le législateur introduit dans le corpus législatif des concepts mouvants qui n’ont de sens que leur imprécision afin d’ouvrir l’opportunité d’épingler et de casser à tout moment les journalistes les plus audacieux.
Nous dénonçons également la surreprésentation de l’exécutif au sein de l’organe de régulation, notamment la Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA). Ce déséquilibre de représentation peut impacter indépendance de cette institution. A titre de comparaison, alors que l’exécutif n’a que deux représentants au Conseil National de la Presse (CNP), l’organe de régulation de la presse écrite et numérique, ils sont six(06) représentants du président de la république et du gouvernement au sein de la HACA. Et si on y ajoute le représentant du conseil économique et social, celui de la magistrature et de l’assemblée nationale, ce sont au total neuf(09) membres sur treize(13), qui sont redevables au gouvernement.
En ce qui concerne la loi sur la presse écrite, nous dénonçons l’article 90 qui prévoit une peine d’emprisonnement de un à cinq ans, alors que l’article 89 du même texte dit clairement que la peine privative de liberté est exclue. Nous interrogeons ce paradoxe, sans y trouver de réponse cohérente.
Nous dénonçons aussi l’article 99 de la loi qui dit qu’un journaliste peut être accusé de diffamation si les faits dont il parle « mêmes vrais » se rapportent à la vie privée, à une affaire vieille de plus de dix ans ou sont relatifs à un fait amnistié. Ces dispositions contreviennent au caractère impersonnel de la loi et semblent tailler sur mesure pour mettre à l’abri des critiques des journalistes une catégorie de personnes. C’est un non-sens : Où commence et où s’arrête la vie privée d’une personnalité publique ? Les journalistes n’ont-ils plus le droit de situer le contexte historique des faits qu’ils évoquent ?
Nous dénonçons également la lourdeur des amendes pécuniaires qui, si elles sont appliquées, conduiront à l’assassinat programmé des entreprises de presse.
Plus grave, ces nouvelles lois conduisent à des reculs inacceptables des acquis sociaux. En effet les entreprises de presse ont l’obligation d’aligner les traitements salariaux des journalistes sur les indices de la convention collectives. Cette disposition a été retirée, exposant ainsi les journalistes à la précarité et à la mendicité en même temps qu’il est exigé d’eux de faire preuve de professionnalisme.
Nous saisissons l’occasion de rappeler que la liberté d’expression est la première règle élémentaire d’un état respectueux des principes démocratiques. Elle se définit comme le droit pour toute personne de penser comme elle le souhaite et de pouvoir exprimer ses opinions par tous les moyens qu’elle juge opportun, dans les domaines de la politique, de la philosophie, de la religion, de la morale, etc.
Considérée comme une liberté fondamentale, la liberté d’expression est inscrite dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, en son article 19 : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. »
La liberté d’expression a comme corollaire la liberté de la presse, la liberté d’association, la liberté de réunion, la liberté de manifestation mais aussi le respect d’autrui.
Elle est souvent restreinte par certaines conditions particulières qui interdisent l’incitation à la haine raciale, nationale ou religieuse ou l’appel à la violence physique contre les individus. Il en est de même pour la diffamation, la calomnie, le négationnisme, l’atteinte à la propriété intellectuelle, l’atteinte au secret professionnel.
Par conséquent, le FORSCI tire la sonnette d’alarme et interpelle la communauté nationale et internationale, l’association « REPORTERS SANS FRONTIERE » et toutes les organisations de défense des droits de l’homme pour des réactions de rejet de ces nouvelles lois, demande instamment au gouvernement de retirer sans autre forme de procès ces textes, susceptibles de conduire pernicieusement toute la presse privée au silence et de faire reculer gravement la démocratie.
Le FORSCI, la Voie du Peuple.
Fait à Abidjan le, 08 Mai 2017
La Présidente
Pulchérie GBALET