Par Geoffroy-Julien Kouao – Juriste-Constitutionnaliste et Analyste Politique.
A la lecture du projet de constitution, présenté au parlement par l’exécutif, je fais les observations suivantes relativement à la forme et au fond.
I-De la forme.
A l’observation, il ya un vice dans la procédure d’établissement de la constitution (A) qui en fait une révision constitutionnelle (B)
A-Du vice de procédure
L’établissement d’une constitution est un acte de fondation juridico-politique (création d’un nouvel Etat) ou de refondation politico-juridique (Lorsque l’Etat existe déjà). L’organe compétent, habilité, pour doter l’Etat d’une constitution, est le pouvoir constituant originaire : Le peuple. Du moins, dans une république démocratique. De ce qui précède, ni l’exécutif, ni le parlement n’ont pas compétence pour intervenir dans le processus d’établissement d’une constitution. Le faisant, ils s’érigent, de facto, en pouvoirs constituants originaires s’attribuant ainsi, de fait, les attributs de la souveraineté.
L’exécutif et le parlement, n’interviennent, selon notre droit positif, que dans la procédure d’une révision constitutionnelle.
B-De la révision constitutionnelle.
L’article 124 de la constitution donne compétence à l’exécutif ou aux députés de rédiger, d’écrire, le projet ou la proposition de révision constitutionnelle. L’article 125 exige sa prise en considération par l’Assemblée nationale. Et l’article 126 dispose que la révision n’est définitive qu’après avoir été adoptée par référendum ou par voie parlementaire.
C’est exactement cette procédure qui est suivie actuellement et à laquelle nous assistons. De ce qui précède, sauf à renoncer à la rigueur analytique et aux fondamentaux du droit constitutionnel, le 30 octobre 2016 on assistera (si le oui l’emporte) à la révision de la constitution du 1er aout 2000 et non à l’avènement d’une nouvelle république. Nuance. Et mes affirmations sont confirmées par le fond du projet de constitution.
II-Du fond
Mes analyses factuelles portent sur les réformes institutionnelles (A) et la procédure de révision constitutionnelle (B).
A-Des Institutions
1-De l’exécutif
L’article 53 du projet de constitution dispose « l’exécutif est composé du président de la république, du vice président et du gouvernement » et l’art 81 dispose que le premier ministre est le chef du gouvernement. Je propose la suppression de la primature pour les raisons suivantes. D’abord, dans un régime présidentiel, il n’y a pas de premier ministre mais un vice président. C’est le cas au Etats-Unis, au Ghana, au Nigeria etc. Ensuite, l’art 63 dispose que « le president de la république est le détenteur exclusif du pouvoir exécutif » et l’art 64 d’ajouter « le président de la république conduit et détermine la politique nationale.» De ce qui précède, le président de la république est le seul entrepreneur politique de l’Etat ivoirien. Et mieux, il est le détenteur du pouvoir réglementaire (Art 65). A quoi donc sert le premier ministre ? Constitutionnellement, à rien. C’est un prince nu.
2-Du Parlement.
Le mode de désignation des députés et des sénateurs peut être amélioré.
-relativement aux députés, l’article 86 dispose qu’ils sont élus au suffrage universel direct. C’est bien. Mais on pourrait ajouter « au scrutin majoritaire et à la proportionnelle ». Cet ajout permettra une bonne représentation des courants politiques surtout dans les circonscriptions à plusieurs sièges. Exemple. Abobo a 6 députés. Ils sont tous du RDR. Avec le scrutin proportionnel, si le RDR gagne l’élection, il aura 3 députés. Les 3 autres qui restent seront repartis entre le PDCI, le Fpi et l’Udpci, par exemple. Au final, à Abobo, sur les 6 sièges, on a RDR : 3 députés ; PDCI : 1 député ; Fpi : 1 député ; Udpci : 1 député.
-relativement à la désignation des sénateurs. Je ne comprends pas la nomination de certains sénateurs par le président de la république. D’abord, selon l’article 87 « le sénat assure la représentation des collectivités locales et des ivoiriens établis hors de côte d’ivoire. » Question : les sénateurs nommés par le president de la république représentent qui ? Si les auteurs du projet de constitution voulaient s’inspirer du model canadien comme je l’ai lu dans un journal, alors la méprise est grande. Le Canada est une monarchie dont le chef de l’Etat est la reine Elisabeth II d’Angleterre. Les senateurs nommés par le gouverneur (le représentant de la reine) représentent la couronne britannique comme la chambre des lords en Angleterre. La côte d’ivoire n’est pas une monarchie mais une république. Et dans la république, seul le peuple est représenté. Nuance. Par ailleurs, en nommant les sénateurs, le président de la république remet en cause le principe sacro-saint de la séparation des pouvoirs affirmé au préambule du présent projet de constitution. Question. Est-ce que le président du sénat peut-il nommer une partie des ministres ? Si non, pourquoi le président de la république, lui, aurait-il le droit de nommer des sénateurs ?
3-Du pouvoir judiciaire
-l’article 139 du projet de constitution comporte une forte charge d’ambigüité juridique. En effet, alors qu’il affirme l’indépendance du pouvoir judiciaire, il confie sa garantie au chef du pouvoir exécutif : le président de la république. « Il en est ainsi en France » m’a rétorqué un juriste proche du pouvoir. Mais non, en France le titre VIII de la constitution du 4 octobre 1958 parle « d’autorité judiciaire » et non de « pouvoir judiciaire », et tout étudiant de première année de droit sait que la première a des compétences limitées, le second non. Question. Qui est le garant de l’indépendance du parlement ? De ce qui précède, l’alinéa 2 de l’article 139 est surabondant, de trop.
-l’article 148 dispose que la cour de cassation est la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire. L’article 149 confère le même statut au conseil d’Etat dans l’ordre administratif. Le problème, c’est que ces deux juridictions suprêmes sont les composantes de la cour suprême dont le rôle, à la lecture de l’article 147, se résume à celui d’un tribunal des conflits. De ce qui précède, il faut simplement supprimer la cour suprême et créer un tribunal des conflits. Ainsi, on aura trois juridictions suprêmes : la cour de cassation ; le conseil d’Etat et la cour des comptes.
4-Du Conseil Constitutionnel.
Je pense que la modernisation de nos institutions exige que les membres du conseil constitutionnel soient élus au suffrage universel indirect par les parlementaires et les conseillers régionaux.
B-De la révision constitutionnelle.
Je l’affirme d’emblée et façon sonore. L’article 177 est un recul démocratique. En effet, il dispose. « L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République et aux membres du Parlement.
Le projet ou la proposition de loi portant révision de la Constitution est déposé simultanément devant les deux chambres du Parlement.
Pour être pris en considération, le projet ou la proposition de révision doit être voté à la majorité absolue des membres du Congrès.
La révision de la Constitution n’est définitive qu’après avoir été approuvée par référendum à la majorité absolue des suffrages exprimés.
Toutefois, le projet ou la proposition de révision n’est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement. Dans ce cas, le projet ou la proposition de révision n’est adopté que s’il réunit la majorité des deux tiers des membres du Congrès effectivement en fonction.
Le texte portant révision constitutionnelle, approuvé par référendum ou par voie parlementaire, est promulgué par le Président de la République et publié au Journal officiel de la République de Côte d’Ivoire. »
L’alinéa 5 de cet article donne la possibilité au président de la république de contourner la sanction du peuple pour confier aux seuls parlementaires l’adoption de la révision constitutionnelle.
Pourquoi c’est un recul ? Parce que l’article 126 alinéa 2 de l’actuelle constitution dispose « ….est obligatoirement soumis au référendum, le projet ou la proposition de loi ayant pour objet l’élection du président de la république, l’exercice du mandat présidentiel, la vacance de la présidence et la procédure de révision de la présente constitution… »
Pour faire simple, avec la nouvelle constitution (si elle est adoptée), un député par exemple, fait une proposition portant révision de l’article 55 relatif à la limitation du mandat présidentiel. Le président de la république n’est pas obligé (comme l’y oblige l’actuelle constitution) de soumettre cette révision au référendum. Les seuls sénateurs et députés peuvent se prononcer sur la question si telle est la volonté du chef de l’exécutif.
Cas pratique. En 2018, un député, un sénateur ou lé président de la république veut que le mandat présidentiel ne soit plus limité à 2, et que le président puisse faire, désormais, 3, 4 voire 10 mandats. Il formule sa proposition ou son projet de révision. Si les députés et sénateurs sont d’accord, le président en exercice devient, automatiquement, éligible en 2020. C’est clair. Indiscutable.
Que faut-il faire donc ? C’est simple. Le mandat présidentiel doit être frappé du sceau de l’intangibilité constitutionnelle au même titre que la forme républicaine du gouvernement et la laïcité de l’Etat, c’est-à-dire que la limitation du mandat présidentiel à 2 ne peut faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle. A défaut, sa révision est obligatoirement soumise par voie du référendum.
Geoffroy-Julien Kouao
Juriste-Constitutionnaliste et Analyste Politique.
Auteur de « Droit constitutionnel et institutions Politiques »
Et « Côte d’ivoire : La troisième république est mal partie »
Geoffroykouao@gmail.com