Par Guillaume Ahi/afriquematin.net
Pour la première fois depuis l’apparition du phénomène en 2011, des bandits « lourdement armés » ont abattu dimanche 18 juillet un avion de chasse de l’armée nigériane. L’incident a eu lieu au nord-ouest du Nigeria, nouveau foyer d’insécurité dans la région.
« Cet incident montre que le conflit, le banditisme et le terrorisme ont pris une nouvelle dimension », déclare Shehu Sani, ancien sénateur, après l’attaque des bandits, comme les Nigérians les qualifient, contre un avion de chasse. « Les bandits sont parvenus à amasser des armes capables de détruire d’importantes cibles », poursuit cet ancien législateur de l’État de Kaduna, l’un des cinq États en proie au banditisme. « Certains d’entre eux paradent même fièrement avec leurs missiles anti-aériens », a-t-il expliqué à RFI. Lourdement armés, ces hommes – des trafiquants, kidnappeurs et voleurs de bétail pour la plupart – ont fait pleuvoir des tirs « intenses » contre l’avion militaire dimanche dans l’État de Zamfara. Le pilote a réchappé à l’attaque.
Des armes de la Libye
Si on ignore les modèles d’armes utilisées, leur provenance serait libyenne.
« Ces groupes ont profité de la prolifération d’armes durant le conflit en Libye, » explique Ikemesit Effiong, directeur du groupe de renseignement SBM Intelligence à Lagos.
Selon l’expert, l’arsenal serait acheminé par la même route que les migrants et les marchandises. Il transiterait à travers le Sahara, passant notamment par le Mali, le Burkina Faso et le Niger.
C’est la première fois que des « bandits » s’en prennent à l’aviation nigériane et la première fois aussi que les autorités l’avouent.
Nouvelle transparence
« Il est rare que les autorités communiquent sur ce genre d’attaque », poursuit Effiong. Durant la guerre contre Boko Haram, le gouvernement avait toujours nié toute attaque contre des forces de l’ordre, malgré les tirs des jihadistes sur des avions et des hélicoptères.
Cette fois-ci, difficile d’imposer le silence. « Les circonstances de l’attaque du dimanche étaient telles qu’elles laissent peu de place au doute », rajoute Effiong.
« Nous avons des preuves tangibles. La nouveauté aussi, c’est que l’incident a eu lieu dans le nord-ouest du Nigeria ». Non pas au Nord-Est, sur les terres de Boko Haram.
Exploitation de ressources minières
Depuis dix ans, des bandits pullulent dans la région, essentiellement dans les États de Katsina – ville du président Muhammadu Buhari -, Kaduna, Zamfara, Kebbi et Sokoto.
« Ils contrôlent des lieux d’où ils peuvent accéder facilement aux ressources minières et s’en servent pour acheter des armes », continue Effiong.
Les États de Zamfara, du Sokoto et du Katsina sont le centre de l’exploitation minière où les bandits peuvent exploiter facilement l’or et le plomb.
« On voit beaucoup de groupes prêts à contrôler des opérations minières et les utiliser ensuite pour alimenter leurs activités criminelles », ajoute l’analyste. Ces activités criminelles ne cessent de se propager depuis un conflit entre éleveurs et agriculteurs commencé en 2011, et qui serait à l’origine du banditisme d’après l’ONG Northwest Banditry, spécialisée dans le traitement des racines du banditisme.
Au moins 2 000 personnes ont été enlevées depuis janvier 2021 selon le cabinet d’analyse SBM Intelligence dirigé par Effiong, et le montant des rançons payées s’élèverait à 18,43 millions de Nairas, la devise locale.
Des attaques en hausse
« Les bandits réinvestissent les profits des rançons dans les armes et ces profits servent à renforcer leur force de frappe et à commettre d’autres attaques », explique Effiong.
Si les autorités nigérianes ont intensifié leurs efforts ces derniers mois pour sécuriser le nord du pays, une partie de la population leur reproche d’avoir laissé filer les bandits, pourtant connus de tous.
« Tant que la justice ne rattrapera pas les chefs des gangs notoires que sont Dan Karami, Karchallah Turji et Dogo Gide, ces atrocités ne cesseront pas », avait écrit Shehu Sani dimanche dans un post Twitter, à propos du massacre des 13 policiers dans le nord-ouest, juste avant que l’avion de chasse ne soit abattu.
Qui dirige les bandits ?
Dogo Gide aurait des liens avec ISWAP, l’État islamique en Afrique de l’Ouest. Cette branche de Boko Haram a fait sa percée dans le nord-ouest du pays ces dernières années.
Dan Karami, deuxième chef des bandits, aurait quant à lui des liens étroits avec des autorités religieuses dont il aurait même assuré la sécurité.
Enfin, Kachallah Turji est soupçonné de complicité avec certains hommes politiques dans des bourrages d’urnes lors des élections. Un moyen pour lui et Karami d’assurer leur impunité, selon les analystes.