Trente (30) ans que des milliers de personnes hommes, femmes et enfants ont été expulsés de leur propre pays par le régime du général Ould Taya. Depuis cette date, plusieurs sont rentrées avec l’aide du HCR mais sans récupérer tout ce qu’ils avaient perdu, loin de là. Et les autres sont toujours au Sénégal et au Mali. Ibrahima Aly Dia est l’un de ces déportés. Il est membre des Forces de libération africaine de Mauritanie (Flam) et témoigne.
Des milliers de Négro-Mauritaniens étaient expulsés de leur propre pays par le régime du président Ould Taya. Vous étiez à l’époque enseignant dans la ville mauritanienne de Tidjikdja. Qu’est-ce qui s’est réellement passé?
Nous étions presque une quarantaine de Tidjikdja. Nous étions tous, presque, des fonctionnaires. Et un beau matin, nous avons été, d’abord, convoqués au commissariat pour être entendus. Ils nous ont tous réunis au commissariat pour dire qu’on allait à Aleg devant une commission d’enquête pour vraiment prouver notre « mauritanité ».
A quinze kilomètres, ils nous ont arrêtés. Il y avait le gouverneur, le commandant de la gendarmerie, le commissaire de police, le lieutenant de la garde. Ils nous ont mis en rang et ont commencé à palper les gens et à demander des papiers. Ils ont commencé à déchirer les pièces d’identité de certains camarades et aussi à fouiller et à prendre tout ce que nous avions comme biens, argent et tout.
C’est à cet instant précis là que vous avez réalisé qu’on voulait vous expulser ?
Ils nous ont mis dans un camion et à Boghé, ils nous ont amenés dans un hangar. La mauvaise surprise a été de trouver beaucoup de Noirs, beaucoup de Mauritaniens, de fonctionnaires. Nous nous sommes tous retrouvés dans un hangar. Et puis, même les habits qu’on avait… Ils ont commencé à nous déshabiller.
Je ne sais pas, pour nous humilier. Parce que, quelqu’un qui est un fonctionnaire… Nous étions avec des ex-gouverneurs, même des ex-commissaires de police. Déshabiller un commissaire de police et le laisser partir pieds nus, juste avec son pantalon, ou bien lui donner un habit, un boubou de femme, pour le faire traverser… Ce n’est pas des scènes à raconter.
Et le calvaire a continué ?
Le calvaire a continué. Après, nous sommes partis au bord du fleuve. Ils ne nous ont même pas embarqués. Ils nous ont amenés jusqu’à la berge. Ils nous ont poussés et ont dit : « Bon… Allez ! Il faut nous saluer Abdou Diouf ». Comme pour nous ridiculiser.
Oui, Abdou Diouf qui était le président du Sénégal…
Voilà, le président du Sénégal.
C’est-à-dire que, pour eux, vous étiez des Sénégalais ?
Ils savaient que nous n’étions pas des Sénégalais, dans la mesure où, même dans les commissions où ils nous avaient reçus – le commissaire et certaines personnalités arabo-berbères – il y avait des promotionnaires de classe qui nous ont reconnus. J’en ai eu un qui est venu me dire : « Ah ! Ibrahima… Yaya Mabel ? » J’ai répondu oui, parce qu’on m’appelle Yaya Mabel. « Mais, qu’est-ce que vous faites ici ? »J’ai dit : « Demandez au gouverneur… ». Il m’a dit : « Bon… On est juste en train de mener des enquêtes ».
Et tout cela, c’est une conséquence logique de ce qui s’est passé depuis les années 1966 pour l’arabisation à outrance en Mauritanie. Il fallait dégager tout ce qui est négro-mauritanien. Donc, c’était très bien planifié pour « dénégrifier » la Mauritanie et essayer de créer une Mauritanie blanche, arabo-berbère.
Le président mauritanien Maaouiya Ould Taya disait à l’époque : « Je refuse de diviser mon peuple en Blancs et en Noirs ». Mais jusqu’à la chute de son régime, la Mauritanie a refusé de reconnaître la réalité de cette grande déportation de 1989. Cela dit, avec le président démocratiquement élu, Sidi Ould Cheikh Abdallahi, il y a eu une véritable ouverture, non ? Là, nous sommes en 2007.
Sidi Ould Cheikh Abdallahi était, d’ailleurs, l’espoir pour nous, Mauritaniens, parce qu’il avait été démocratiquement élu et qu’il avait engagé sa promesse. C’est-à-dire de régler ce problème de déportation.
Aziz est l’homme aux promesses non tenues. Parce que cela paraît bizarre que, concernant les déportés qui sont rentrés au pays, sur plus de 25 000, personne n’a retrouvé, ni son travail, ni ses biens, ni sa maison. Aujourd’hui, ces maisons, ces champs, sont occupés par des Haratins. C’est-à-dire des Maures noirs que le gouvernement a mis juste pour allumer, aussi, une tension entre les populations haratines et les populations négro-mauritaniennes. Donc, Aziz, qu’est-ce qu’il a fait ?
Il y a tout de même plus de 25 000 de vos compatriotes déportés qui sont rentrés au pays. Ce n’est pas rien, ça !
Effectivement, mais ce sont des Mauritaniens que l’on a trompés. Aujourd’hui, ces déportés n’ont pas de papiers. Ils n’ont pas retrouvé, ni leurs champs, ni leurs comptes bancaires, ni leurs maisons. Déjà, certains commencent à retourner au Sénégal, parce qu’ils sont redevenus des réfugiés dans leur propre pays. Aujourd’hui, si on vous déporte, vous rentrez chez vous et vous êtes là, à l’orée de votre village – sous une tente -, et votre maison, que vous avez construite pendant des dizaines d’années, est là, occupée par un Haratin… Vos champs – que vous avez cultivés – sont là et occupés par ces derniers… Et Vous croyez que ça, aujourd’hui, ça peut racheter une âme ?
Le gouvernement mauritanien dit tout à fait le contraire ! Il affirme avoir indemnisé ceux qui ont perdu leurs biens et réintégré les anciens fonctionnaires qui avaient été déportés.
Réintégrés… Oui, mais quelqu’un qui, pendant vingt-sept ans, a été déporté, a perdu tous ses biens, qui a erré de village en village… Vous croyez que 2 000 ou 4 000 euros, c’est ce que l’on appelle indemnité ? Et d’abord, il fallait reconnaître ces déportations et créer un tribunal pour juger ceux qui ont déporté, ceux qui ont tué ! D’abord, parce qu’il ne peut pas y avoir de pardon sans coupable ! Comment le peuple peut pardonner si un président dit : « OK, vous avez été déporté. Votre déportation coûte 4 000 euros. On vous donne 4 000 euros et vous vous taisez. C’est fini. Vous signez un papier comme quoi vous n’allez plus porter plainte ». C’est très facile !
Le 22 juin prochain aura lieu la présidentielle. Qu’attendez-vous du prochain chef de l’État mauritanien ?
Nous attendons, d’abord, qu’il soit un président pour tous les Mauritaniens, sans distinction de race, de religion, de région… Qu’il règle ces problèmes qui gangrènent la Mauritanie, dont le problème de la cohabitation, le problème des terres, de l’état civil… Et que les tortionnaires ou ceux qui ont commis les exactions pendant les années de braise soient traduits devant les tribunaux. Qu’ils soient jugés. Que ceux qui peuvent pardonner pardonnent, mais que ceux qui ne peuvent pas pardonner demandent justice.
Source: rfi.fr