Emmanuel Macron honorera-t-il de sa présence le Forum économique russe en mai prochain? Le ministre des Affaires étrangères l’a confirmé ce 28 mars, en laissant tout de même planer une incertitude. Emmanuel Macron stratégique, pragmatique ou simplement incohérent? Si Paris s’annonce et Moscou salue, Macron s’y rendra-t-il vraiment?
Viendra? Ne viendra pas? D’après les dernières déclarations du ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, Emmanuel Macron se rendra bien en Russie les 24 et 25 mai prochains au Forum Économique de Saint-Pétersbourg. Malgré le statut d’invité d’honneur du Président Macron, sa présence pose question depuis que Paris a rejoint la position antirusse dans l’affaire Skripal et semble vouloir imposer sa vision à Moscou sur la Syrie et l’Ukraine.
Mais, tout en ajoutant une incertitude, Jean-Yves le Drian a déclaré le 29 mars:
«Pour l’instant, le voyage est indiqué, oui, le voyage est prévu. […] Nous voulons avoir avec Moscou un dialogue franc, un dialogue sans ambiguïté, un dialogue exigeant, et nous demandons à Moscou de respecter le droit international».
à l’instar de Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin, André Filler, maître de conférences à Paris 8 et à l’Institut Français de Géopolitique salue cette décision:
«C’est une nouvelle dont on doit se réjouir. C’est tout à fait important que les liens perdurent, que les engagements diplomatiques soient maintenus des deux côtés, c’est le seul moyen de venir à bout de cette crise, donc je ne peux que féliciter la diplomatie française notamment […] et le Président Macron d’avoir maintenu ce cap.»
Il ajoute que Paris n’aurait pu faire autrement:
«Du point de vue strictement pragmatique du côté français, négliger cette occasion de promouvoir nos contacts bilatéraux, y compris économiques, auraient été une erreur extrêmement grave et nuisible, y compris à court terme, sans parler à moyen et long terme, à la France, et à la politique annoncée et conduite jusqu’à présent par le Président Macron.»
Mais si le débat de sa présence est clos «pour l’instant», la solidarité du président Macron avec ses homologues britanniques et de manière plus large, avec ses partenaires européens, pourrait empêcher fortement de bonnes relations franco-russes, spécialement dans sur le volet économique, qui sera en lien direct avec le sommet de mai prochain. Mais André Filler rappelle malgré tout que la France et ses entreprises ont un statut particulier en Russie:
«Il ne faut pas oublier que l’agenda européen et l’agenda français ne sont pas nécessairement les mêmes. Il y a des États, au sein de l’UE, surtout dans le camp « antirusse » qui n’ont pas spécialement de lien autre que la dépendance énergétique par rapport à la Russie, tandis que la France reste l’investisseur majeur. Il est absolument crucial pour l’économie française de maintenir ce marché.»
En effet, malgré la concurrence certaine de l’Allemagne, les entreprises françaises et notamment nos fleurons ont largement investi en Russie. Et, nonobstant la communication brutale et le jeu de dupes diplomatique, André Filler n’imagine pas une cassure entre Paris et Moscou, bien au contraire:
«N’oublions pas de projets tels que, le Grand Moscou fait par Wilmotte & associés, le train pendulaire fait par Alstom, Vinci qui construit l’autoroute Moscou-Saint-Pétersbourg, le problème d’Auchan qui a acheté tout son immobilier en Russie, qui a créé 300.000 emplois et qui se retrouve sur le coup des contre-sanctions […] tout ceci nécessite un coup d’accélérateur.»
Précisons que même si Alstom ne plus vraiment être classé parmi les fleurons français depuis son absorption par l’allemand Siemens, les projets sont bien réels et semblent d’importance.
Et le cas de l’entreprise de distribution Auchan laisse à penser, pour André Filler, qu’au-delà de l’intérêt direct de Paris de défendre ce groupe à l’international, Emmanuel Macron aurait tout intérêt à profiter de ce Forum Économique pour réduire d’une façon ou d’une autre les contraintes et les barrières entre Moscou et Paris:
«Il y a évidemment le régime des sanctions et des contre-sanctions qui ne va pas disparaître du jour au lendemain. Mais il peut être contourné ou plutôt, des modes d’adaptation, des deux côtés à ce régime-là, peuvent être élaborés. Mais cela implique la bonne volonté des deux parties au plus haut niveau.»
Mais alors que comprendre de tout ce «cirque» diplomatique actuel? Emmanuel Macron joue-t-il avec «trois pas en avant, deux pas en arrière»? N’est-ce que l’application de son credo du «en même temps»?
C’est ce qu’exprimait Pierre Lorrain, journaliste et spécialiste de l’URSS et de la Russie dans l’émission le Clash du 29 mars:
«Je pense que pour la France il y a également le fait de prendre aujourd’hui une position ferme de manière à faire apparaître la position d’Emmanuel Macron lorsqu’il se rendra en mai à Saint-Pétersbourg au Forum Économique, si c’est confirmé, je pense que cela sera confirmé, un peu plus dur à l’égard de Vladimir Poutine qu’on ne veut bien le présenter.»
Claude Blanchemaison, ancien ambassadeur de la France en Russie, qui répondait à Pierre Lorrain, acquiesce et développe cette idée:
«Je pense que Macron […] fera un discours fondateur sur la place de la Russie dans la mondialisation, sur la coopération dans beaucoup de domaines entre la France et la Russie et sur la coopération qu’il faut restaurer entre la Russie et l’UE. Et c’est très important qu’il aille faire ce discours en présence de Monsieur Poutine, qui fera lui-même son propre discours et ils parleront par conséquent de la suite des évènements.»
Il explique toutefois l’approche du locataire de l’Élysée par le prisme de la solidarité européenne:
«Donc, c’est tout à fait cohérent. On signifie à la Russie que nous avons un certain degré de solidarité européenne, l’Europe n’est pas morte, contrairement à ce que disent de mauvais augures, elle existe, la preuve elle peut prendre des décisions.»
Ces experts de la Russie et de la politique internationale semblent donc considérer qu’Emmanuel Macron utilise et profite de tous ces dossiers complexes (Skripal, Ukraine et Syrie) pour se positionner à bon escient au sein de la communauté européenne, de ses alliés du bloc occidental, probablement pour apparaître fort face à Poutine en mai prochain. André Filler le laisse sous-entendre en rappelant la dernière rencontre entre les deux hommes:
«Lors de la rencontre à Versailles, on a vu comment le Président Macron, encore novice en politique internationale, se faisait la main en s’affrontant au Président Poutine, qui est l’acteur majeur depuis près de deux décennies de la politique internationale.»
Sputniknews