Va-t-on vers un report du second tour de la présidentielle au Liberia ? C’est la question que l’on pourrait se poser, eu égard à sa suspension pour examen d’une requête en annulation pour fraude introduite par Charles Brumskine, arrivé troisième à l’issue du premier tour tenu le 10 octobre dernier. En rappel, les résultats du premier tour avaient désigné Georges Weah, ex-star du football devenu sénateur, arrivé en première position avec 39% des voix, et Joseph Boakai, vice-président sortant et candidat du parti au pouvoir arrivé second avec 29,1%, comme les deux challengers à départager par un second tour le 7 novembre prochain, en raison de dispositions constitutionnelles qui fixent le second tour au deuxième mardi qui suit la proclamation des résultats définitifs du premier tour. Mais pour tenir compte de la requête du plaignant qui devrait initialement être entendu le 2 novembre, c’est finalement ce 3 novembre que Charles Brumskine est invité à faire valoir ses arguments devant la Cour suprême, en présence des membres de la Commission électorale nationale (NEC). Cette dernière sera sur le banc des accusés pour répondre des allégations d’irrégularités à elle reprochées.
Il y a lieu de nourrir des inquiétudes pour le Liberia
Que sortira-t-il de ces « auditions » ? Avec ses 9,8% des voix, Charles Brumskine que d’aucuns donnent pour un mauvais perdant, obtiendra-t-il l’annulation des élections ? Bien malin qui saurait répondre à ces questions. Mais en attendant, quand on voit où mènent souvent les contestations électorales en Afrique, l’on ne peut que tirer la sonnette d’alarme, en mettant en garde les acteurs politiques libériens sur un éventuel retour des vieux démons. Le dernier exemple en date étant la présidentielle kényane qui n’a pas encore fini ses soubresauts, après l’annulation et la reprise du scrutin dans les conditions que l’on sait. C’est pourquoi l’on peut déjà se réjouir que les acteurs politiques aient choisi la voie des textes pour régler leur différend. Reste maintenant à espérer que la Cour suprême se montera à la hauteur des enjeux pour trancher en toute impartialité, sans céder à aucune pression, d’où qu’elle vienne. Cela, d’autant plus Charles Brumskine n’est pas le seul à se plaindre. Même le parti au pouvoir dont le candidat est pourtant arrivé en seconde position, s’est mis dans la danse de la contestation en dénonçant, selon les termes d’un communiqué, « des fraudes systématiques et à grande échelle » tout en accusant la présidente sortante, Ellen Johnson Sirleaf, d’«ingérence » dans le processus électoral. C’est à n’y rien comprendre. C’est pourquoi il y a lieu de nourrir des inquiétudes pour le Liberia, devant le scénario de l’imbroglio électoral qui est en train de se dessiner dans ce pays et qui pourrait le conduire au chaos. Peut-être est-ce la raison pour laquelle, chose rarissime pour être soulignée et saluée, l’UA a-t-elle voulu prendre les devants en s’empressant d’envoyer des émissaires au Liberia dès ce 2 novembre pour rencontrer les acteurs de l’élection présidentielle à l’effet de ne pas laisser l’incendie se déclencher avant de venir jouer les pompiers. Reste à souhaiter que les membres de cette délégation africaine aient suffisamment de tact pour rapprocher les vues des protagonistes afin d’éviter au pays de basculer dans une crise postélectorale dont nul ne saurait prédire l’issue.
Il appartient à la classe politique de faire preuve de retenue et de hauteur de vue
Car, ne l’oublions pas, le Liberia revient de loin, avec une guerre civile parmi les plus atroces, qui l’a déchiré, il n’y a pas longtemps. C’est pourquoi il faut éviter à tout prix que les démons de la violence envahissent à nouveau le pays, pour quelque raison que ce soit. Il appartient donc à la classe politique de faire preuve de retenue et de hauteur de vue, en mettant l’intérêt supérieur de la nation au-dessus de tout intérêt égoïste. C’est à ce prix qu’elle pourra épargner au pays, les affres de la violence et les années d’incertitudes consécutives aux contentieux électoraux qui sont en passe de devenir la mode sur le continent, avec son cortège de violences, de morts et de déplacés. Sans oublier la fracture sociale qui met bien souvent à mal, et pour longtemps, le vivre-ensemble dans un environnement où les rancours et autres désirs de vengeance ont toutes les peines du monde à s’estomper. En tout état de cause, même si à l’étape actuelle des choses elle est peu probable, une éventuelle annulation du scrutin n’est pas à écarter totalement. Mais, pour sûr, elle remettrait en cause tout le processus électoral. Car, outre la crédibilité de la Commission électorale qui pourrait être fortement entamée, l’intérêt des électeurs pour la suite du processus pourrait s’en ressentir, sans oublier les conséquences en termes d’incidences financières pour la reprise du scrutin. Autant de faits qui devraient interpeller la Commission électorale sur l’importance de sa responsabilité et lui commander de rompre définitivement avec les tâtonnements répétés, qui ne sont ni plus moins qu’un refus de grandir qui ne l’honore pas. En tout état de cause, il appartient à la Cour suprême de se montrer à la hauteur des événements et de prendre la bonne décision pour ne pas rater son rendez-vous avec l’histoire. Question de saisir la perche pour que l’expérience se termine de la façon la plus élégante possible. Il y va de sa crédibilité et de l’avenir de la nation.
Source : Le Pays