À l’ensemble de la classe politique ivoirienne, aux acteurs de la société civile, à vous, Ivoiriennes, Ivoiriens, nos chers compatriotes,
Depuis le début de l’année 2017, la Côte d’Ivoire est rentrée dans une zone de turbulences du fait de mutineries à répétition doublées d’une fronde sociale. Les Ivoiriens, et les habitants de notre beau pays, après des années de relative accalmie, se retrouvent de nouveau confrontés aux démons d’une crise politico-militaire.
Au-delà des revendications financières affichées, ces mutineries ont été révélatrices d’une profonde fracture au sein de la société ivoirienne dont l’armée est le reflet. Cette situation déplorable est désormais impossible à nier. Il nous a donc semblé légitime, impératif, de nous interroger sur les causes de cette fracture.
Sur le plan politique, elle est due à la négation de la démocratie et de ses exigences pour accéder au pouvoir d’Etat, à l’introduction de thèses identitaires, à l’absence de débat constructif entre le pouvoir et l’opposition, ainsi qu’à la déconnexion des élites politiques des réalités des populations.
Sur le plan économique et social, ce sont des aventures sans lendemain qui sont proposées aux jeunes. Ces derniers sont rendus vulnérables par le chômage qui les touche de plein fouet et par l’absence d’une sérieuse formation dont Mandela dit si justement « qu’elle est la meilleure arme pour changer le Monde ». De plus, la paupérisation et le manque de civisme viennent amplifier cette fracture.
Sur le plan militaire, enfin, le coup d’État de 1999, la tentative de coup d’État de 2001, la rébellion de 2002, la crise postélectorale de 2011 et la mauvaise conduite du DDR ont eu pour conséquence de compromettre gravement et durablement la cohésion et la discipline au sein de nos forces armées.
Dialogue national inclusif
C’est pourquoi : nous, jeunes Ivoiriens, nous, enfants du multipartisme, aspirant et croyant en la démocratie, nous, bercés par le crépitement des armes, nous, élevés aux récits du passé glorieux de notre pays, nous, animés d’une vive conscience patriotique, proposons, un dialogue national inclusif.
Le dialogue inclusif tel que nous le concevons répond à une logique simple. Il s’agit d’un processus participatif qui s’inscrit dans une perspective de long terme. Il consiste à mettre en place un cadre permanent de concertation afin de créer une atmosphère propice à un apaisement du climat politique et social, condition sine qua non à tout développement durable.
Il convient avant tout de saluer les différentes initiatives (Forum de Réconciliation Nationale, CDVR, etc.), des gouvernements successifs depuis 2000. Les leaders politiques ivoiriens ont compris que le dialogue était la solution aux divisions engendrées par nos désaccords.
Cependant, force est de constater que ces tentatives n’ont pas eu les effets escomptés. Pourquoi ? Parce que nous ne nous parlons qu’en temps de crise, parce que toutes les sphères civiles et politiques n’ont pas été représentées et parce que les résolutions qui ont découlé de ces processus ont souffert d’un manque de suivi. En d’autres termes, nous avons assisté à des processus ponctuels, sélectifs et instrumentalisés.
Le Dialogue national inclusif auquel nous appelons veut pallier aux insuffisances des tentatives antérieures et se définit comme un mécanisme de prévention, de médiation, et de résolution des conflits. Il se veut permanent (les échanges se dérouleront sous l’égide d’une institution nationale et suivant une périodicité bien établie), ouvert et transparent (toutes les obédiences civiles, coutumières, religieuses, politiques et militaires y prendront part et les échanges seront publics et médiatisés), doté de mécanismes de suivi et d’évaluation (les discussions aboutiront à une feuille de route dont l’exécution fera l’objet d’un contrôle).
Un mécanisme interne permettra de s’assurer que toutes les décisions arrêtées sont exécutées et un mécanisme d’évaluation externe sera également mis en place avec un compte rendu régulier à la Nation. Ce dispositif, par ses résultats concrets, convaincra assurément nos compatriotes susceptibles d’être gagnés par le sentiment de lassitude du dialogue. De plus, il contribuera au renforcement de notre jeune démocratie.
À la coalition au pouvoir, aux forces de l’opposition, à la société civile
Dans l’intérêt supérieur de la nation, il vous revient d’aller au-delà des clivages et de prendre activement part à la reconstruction de l’unité nationale perdue. La Côte d’ivoire qui nous unit est plus forte que ce qui nous divise.
Au chef de l’État, son Excellence Monsieur Alassane Ouattara
Vous qui présidez aux destinées de la nation ivoirienne dans une période charnière de notre histoire, l’année 2020 marquera, non seulement la fin de votre second mandat, mais également celle de la deuxième génération d’hommes d’État en Côte d’Ivoire. Ainsi, au-delà de votre histoire personnelle, se joue l’histoire de l’ensemble de notre Nation. Il pèse alors sur vos épaules, une responsabilité morale et historique, celle de ramener les Ivoiriens au dialogue dans un climat de confiance et d’œuvrer à ressouder le tissu social et politique.
La place d’un homme d’Etat dans la mémoire collective est d’autant plus grande qu’il pose des actes historiques. Monsieur le Président, la Côte d’Ivoire vous regarde, la jeunesse ivoirienne vous interpelle et l’histoire vous convoque.
Cheick Coulibaly, Paul-Alexandre Dagry et Aimé Lago
Conscience Citoyenne