Donald Trump envisage de retirer une grande partie des forces américaines en Afghanistan, selon des responsables américains.
Le Pentagone prévoit de retirer jusqu’à la moitié des quelque 14 000 troupes américaines présentes en Afghanistan, ont annoncé plusieurs officiels, cités par la presse sous couvert d’anonymat, vendredi 21 décembre. Ce revirement soudain intervient alors que des représentants des Etats-Unis négocient avec les talibans pour préparer, à marche forcée, un accord de réconciliation nationale. Selon l’un de ces officiels, cité par l’agence Associated Press (AP), les troupes pourraient quitter le pays d’ici à l’été, après la date prévue de l’élection présidentielle afghane, le 20 avril.
L’annonce de ce retrait, initialement révélé par le Wall Street Journal, intervient juste après la décision du président Trump de retirer les quelque 2 000 forces américaines stationnées dans le nord-est de la Syrie, et quelques heures après la démission du secrétaire à la défense, James Mattis. Ce dernier avait joué un rôle-clé, en 2017, pour convaincre le président Trump d’étoffer de 4 000 hommes le contingent américain en Afghanistan, malgré sa méfiance face à une guerre entamée en 2001 qu’il jugeait perdue de longue date.
Les troupes américaines entraînent les forces afghanes, aux côtés de 8 000 troupes de l’OTAN, et luttent contre Al-Qaida et pour empêcher l’organisation Etat islamique (EI) de développer sa présence dans l’est et le nord du pays. Elles ont relancé depuis un an leurs opérations de combat et de soutien aérien, malgré leur fin annoncée dès 2014 pour l’OTAN. Cette couverture aérienne avait atteint ces derniers mois un niveau inégalé depuis le pic des opérations américaines, au début des années 2010, lorsque l’OTAN comptait quelque 140 000 personnels dans le pays, dont 100 000 Américains.
Vendredi, la présidence afghane a affirmé qu’un retrait « n’aura [it] pas d’impact sur la sécurité » du pays, sur laquelle l’armée afghane exerce déjà son « contrôle ». Elle demeure pourtant sur la défensive, face à l’insurrection qui exerce son autorité sur environ la moitié du pays. Etablis aux abords de plusieurs capitales de province du sud-est et du nord, les talibans en menacent régulièrement le centre-ville. Ils avaient poussé, en 2017, les maigres forces d’assaut de choc et l’aviation afghanes à sauter sans repos d’une crise à l’autre. Malgré l’aide américaine, ces forces ont enregistré, en 2018, des pertes difficiles à soutenir, et reculent sur le terrain.
Plus de 25 000 soldats et policiers afghans ont été tués depuis que les forces de l’OTAN ont annoncé la fin de leurs opérations de combat en 2014. Au moins 8 050 civils ont, par ailleurs, été victimes de cette guerre au cours des neuf premiers mois de 2018, selon l’ONU, dont 313 morts imputables aux frappes américano-afghanes, soit une augmentation de 39 % par rapport à 2017.
Le général des marines Kenneth McKenzie, qui s’apprête à prendre la direction du commandement central des forces américaines dans la région (Centcom), avait récemment déclaré au Congrès, lors de son audition de confirmation, que l’armée afghane s’écroulerait sans le soutien américain :
« Si nous partions précipitamment maintenant, je ne crois pas qu’ils seraient capables de défendre leur pays avec succès. Je ne sais pas combien de temps cela va prendre. Je pense que l’une des choses qui seraient les plus dommageables pour eux serait que nous posions un calendrier là-dessus, et que nous disions que nous partons à un moment précis. »
L’armée américaine s’est abstenue à plusieurs reprises, cette année, de frapper de fortes concentrations de combattants talibans, comme dans le nord, lorsque ceux-ci affrontaient des groupes armés rivaux locaux affiliés à l’EI. Dans le même temps, Washington a multiplié les contacts et engagé, en mai, des pourparlers publics directs avec les insurgés. C’était franchir sa propre ligne rouge, dans l’espoir de placer une réconciliation avec les talibans au centre de la campagne pour la présidentielle d’avril. Quitte à forcer la main, voire à laisser de côté dans ce processus le gouvernement du président Ashraf Ghani.
Lundi encore, le représentant spécial américain, Zalmay Khalilzad, nommé en septembre, a rencontré une délégation de talibans aux Emirats arabes unis. Ces derniers avaient alors de nouveau refusé de rencontrer les représentants du gouvernement. Ils exigent de fixer avec les Américains un cadre pour le retrait de leurs troupes, de négocier le sort des talibans emprisonnés et la levée des sanctions qui pèsent sur leurs commandants, avant tout échange politique avec Kaboul. Le doute demeure sur la volonté du mouvement de s’engager dans un réel partage du pouvoir.
Les représentants de trois pays sur lesquels Washington a appuyé ces négociations, le Pakistan (pays le plus proche de l’insurrection talibane, qui héberge une partie de sa direction), l’Arabie saoudite et les Emirats, ont proposé un cessez-le-feu de trois mois, pour permettre des négociations de fond. Le conseiller à la sécurité nationale du président Ghani, Hamdullah Mohib, avait critiqué sur Twitter, après ces échanges aux Emirats, des négociations abordant une forme de partage du pouvoir en l’absence des représentants de Kaboul.
Le gouvernement central, affaibli, divisé et défié par des barons de province, s’inquiète de voir des candidats présumés à la présidentielle faire le voyage au bureau de représentation des talibans à Doha, au Qatar, à l’image de représentants de l’ONU et des grandes organisations humanitaires. Les talibans, comme d’anciens leaders du djihad antisoviétique, ont par ailleurs renforcé des relations autonomes depuis 2014 avec leur grand voisin iranien et la Russie, une façon de prendre de l’autonomie face à leur parrain traditionnel pakistanais.