Par Léon SAKI – Afrique Matin.Net
Après plusieurs années de détention et un procès marqué par un intérêt particulier, le verdict vient de tomber. L’ancien président Tchadien, Hissen Habré prend une condamnation à perpétuité. C’est le premier procès d’un dirigeant africain jugé par les africains. Ce défi relevé contribuera-t-il à mettre fin à l’impunité en Afrique ? Ce dénouement ne posera-t-il pas la question de l’opportunité de la CPI ? Geoffroy-Julien Kouao, juriste et enseignant de droit constitutionnel apporte des éléments de réponse.
Hissen Habré vient d’être condamné à la prison à vie par les chambres africaines exceptionnelles, votre impression ?
Cette condamnation prend une double valeur : symbolique et pédagogique. Symbolique parce que c’est la première fois qu’un ancien chef d’Etat Africain est jugé en Afrique par une juridiction africaine. Pédagogique, parce que c’est un message sonore envoyé aux autres chefs d’Etat pour leur dire que désormais ils ne bénéficient plus de l’immunité de fait.
C’est donc la fin de l’impunité pour les dirigeants en Afrique ?
La jurisprudence Habré est une décision importante pour la protection des populations africaines contre les tyrans, mais il faut éviter d’être trop euphorique car il n’existe pas encore une juridiction pénale africaine permanente pour juger les ennemis des droits de l’homme et des peuples sur le continent. Je pense que c’est l’occasion pour l’Union Africaine de penser à la mise en place d’une juridiction pénale africaine permanente.
La solution n’est-elle pas de juger les chefs d’Etat dans leur propre pays, est-ce que les juger ailleurs ne porte atteinte à la souveraineté et à l’honneur de leur pays ?
Je n’ai pas de réponse tranchée. Dans l’espèce Habré, il a été condamné par contumax par les juridictions tchadiennes. Un peu d’histoire. Moussa Traoré a été jugé au Mali. Hosni Moubarak en Egypte. C’est vrai que ce sont des cas isolés mais notables.
Mais vous savez que dans l’ordre interne, les présidents bénéficient de l’immunité et de privilège de juridiction. Prenons l’exemple de notre pays. Le president de la république ne peut être jugé qu’en cas de haute trahison que par la haute cour de justice. Mais cette juridiction d’exception n’a jamais existée. Et la Côte d’ivoire n’est pas, en Afrique, un cas isolé, d’où la pertinence de l’existence des juridictions pénales internationales.
Est-ce que le cas Hissen Habré ne va encourager les chefs d’Etat à rester éternellement au pouvoir, car on voit bien que ce sont les anciens chefs d’Etat qui sont jugés ?
Je pense à l’effet inverse. La jurisprudence Habré doit amener les présidents en exercice à la bonne gouvernance. Et n’oublier pas que les sociétés civiles sont de plus en plus dynamiques sur le continent et le cas de Blaise Compaoré au Burkina Faso est révélateur de l’hostilité des populations africaines envers les chefs imbus de présidence à vie.
Avec le cas Habré on voit que la CPI devient obsolète ?
Obsolète? Je ne sais pas. Vous savez, la CPI fonctionne sur le principe de la complémentarité, c’est-à-dire, qu’on y a recours lorsque les juridictions nationales ne veulent pas juger, pour des raisons diverses, leurs ressortissants présumés violateurs des droits humains. Si l’Etat de droit, c’est-à-dire la soumission des gouvernants et des gouvernés au droit, devient effectif dans tous les Etats y compris ceux d’Afrique, oui la CPI deviendra alors Obsolète.