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Isto Kéira : « Il faut toujours  partir des réalités du passé pour entrevoir le futur »

Par Justin  Kassy à Conakry

Ex-ministre des Arts et de la Culture, du Sport de la Guinée, auparavant opérateur culturel, aujourd’hui Secrétaire Général de la culture, du Sport et du patrimoine historique, Isto  Fodéba Kéira est plus indiqué pour parler de culture en Guinée. Il est aussi celui qu’on aime écouter. Parce que l’Art  vit en lui. Nous avons rencontré à Conakry l’homme, l’opérateur culturel, le ministre qu’il a été, le Secrétaire général qu’il est aujourd’hui.

*Mr Isto Kéira! Vous êtes le Secrétaire général de la culture, du sport et du patrimoine historique de la Guinée. Le gouvernement vient de donner son aval pour une nouvelle politique culturelle nationale et du sport en Guinée. Pourriez-vous nous en dire davantage sur cette importante décision?

La nouvelle politique  culturelle nationale validée le mois dernier par le gouvernement guinéen  à travers le ministère du sport de la culture et du patrimoine historique fait un diagnostique  sans complaisance des politiques culturelles  précédentes. Parce qu’il faut toujours  partir des réalités du passé pour entrevoir le futur. Ce diagnostique sans complaisance nous a permis de tomber sur des nouvelles réalités du monde  culturel. Au niveau d’abord  des Arts vivants, des Arts  plastiques au niveau du cinéma, du patrimoine  historique pour la musique, qu’elle soit populaire  ou urbaine. Tous les acteurs de cette  « machine » ont été interpellés. D’abord à travers des ateliers régionaux organisés dans les capitales régionales du pays et la zone spéciale de Conakry. Tout cela couronné par la validation de cette politique nouvelle nationale, qui est une boussole susceptible d’orienter dorénavant, les hommes de culture. Il faut dire que les acteurs  culturels ne sont pas en reste. Parce que, c’est tout une industrie. Aujourd’hui, la culture  s’inscrit dans ce qu’on appelle l’économie-créative. Nous créons de l’emploi. Nous donnons une plus value, qui a une forte influence sur le produit- intérieur brut du pays. Je crois que la vision que nous avons à travers cette politique culturelle nationale qui est un livre de plus de 128 pages, permettra à toutes les familles d’acteurs intervenant dans le domaine des secteurs que je viens de citer, d’avoir  une visibilité, et surtout, une trajectoire sur laquelle il faut appesantir ses activités.

*Avec cette nouvelle politique culturelle nationale, peut-on affirmer que la Guinée va certainement reprendre son titre de leader culturel africain au niveau de l’Afrique de l’Ouest comme par le passé?

Ah oui ! Comme je l’ai dit tantôt, nous avons passé au peigne fin les insuffisances, les acquis de la première République, les insuffisances actuelles de notre culture. Parce qu’il y a plus de vingt cinq à vingt six ans, nous faisions de la validation à vue. Mais aujourd’hui, avec cette nouvelle politique culturelle nationale, nous avons une boussole qui nous oriente et va nous permettre de sortir notre musique de la léthargie dans laquelle elle se retrouve. Il y a aussi un autre aspect non moins important. Parce que, qui parle de promotion culturelle, parle de trois choses essentielles : la production, la promotion et la diffusion. Pour que tout cela soit, il faut commencer par la première étape : la production, c’est la construction des infrastructures qui peuvent nous permettre, à nos artistes surtout, toute catégorie confondue, de faire des productions. Quand on fait la production, il faut qu’il y ait des outils de promotion qui ne sont autres que les journalistes, les nouvelles techniques de l’information qui sont un outil important aujourd’hui. Maintenant, la diffusion et la promotion, ce sont les infrastructures. Ces trois éléments sont contenus et bien pris en compte par cette nouvelle politique culturelle nationale. Nous pensons que les infrastructures aujourd’hui, qu’elles soient sportives ou culturelles qui manquent de façon criarde dans notre pays, vont être rétablies, vont être instaurées, vont être construites, pour permettre à toutes les familles d’acteurs intervenant dans le domaine  des Arts, de la culture et du patrimoine historique de faire en sorte que notre pays  puisse reprendre sa place. Il y a un aspect non moins important. C’est celui du patrimoine historique. Nous avons aujourd’hui, grâce à la nouvelle politique culturelle nationale fait valider une loi sur le patrimoine historique. Celle-là nous permet aujourd’hui, de préserver les acquis de notre Histoire. Retenez, pour la petite histoire, que les derniers travaux effectués par des archéologues à Kamzar, à Sangareni par exemple, qui est un des sites de la Compagnie des Bauxites de Guinée, a révélé l’existence de matériaux qui datent de l’âge de la pierre taillée. L’interrogation se pose aujourd’hui au niveau des Archéologues, à travers les nouvelles méthodes d’adaptation, de cotation Argonne et le carbone 14. Les gens s’interrogent aujourd’hui est-ce que la Guinée ne serait pas le berceau de l’humanité ? Aujourd’hui, vous ne pouvez plus permettre aux sociétés minières de faire des investigations, de faire des recherches minières sans l’aval, en amont, du ministère à charge de la culture. Il y a des sites saboliens, des sites de l’Empire du Mali comme les sites de Soundiata  Kéita dans la Préfecture de Mandiana qui fait frontière  avec la République  sœur du Mali. Il y a beaucoup de prestiges  que nous pouvons explorer. Aujourd’hui, grâce à la nouvelle  politique  culturelle, nous avons engagé une vaste campagne d’inventaires exhaustifs de tout ce que nous avons comme sites et monuments  historiques. Ensuite l’inventaire  exhaustif de tout ce que nous avons comme rythmes et percussions. Parce que les rythmes sont estimés à plus de 550 rythmes en République de Guinée. Voyez l’immensité, la diversité et la richesse de cette culture ! Nous pensons qu’avec ce nouveau  Bouquet, qui n’est autre que le livre de politique culturelle nationale, nous pourrons, très rapidement, faire en sorte que la Guinée reprenne sa place sur le plan africain et pourquoi pas, parmi les attractions mondiales. Parce que les Ballets Africains, vous le savez,  c’est depuis 1947. Ils restent et demeurent l’une des plus grandes Compagnies de percussions et de danses au Monde.

*Parlez-nous de la « Quinzaine  artistique » ?

La « Quinzaine artistique » vient de prendre fin. Elle a précédé le « festival  national des Arts et de la culture ». La « Quinzaine », c’est comme une sorte de préliminaire au niveau du football. Ca permet de faire une présélection au niveau des Préfectures, les trente trois préfectures qui sont en compétition dans plusieurs disciplines. Huit, cette  année ont été retenues. Suite  à cette quinzaine, il y a eu les meilleurs  groupes des trente trois  Préfectures  qui se sont retrouvées à Conakry. Au mois de novembre dernier, nous avons pu organiser  le seizième festival national des Arts et de la culture qui permet de faire un bilan de tout ce que nous avons comme créations artistiques, littéraires et cinématographiques. Parce qu’il faut mettre tout cela dans un seul et grand ensemble qu’on appelle : la Culture  nationale. Le Festival  national des Arts et de la culture est organisé dans l’optique d’encourager la créativité et de stimuler la culture de l’excellence. Aujourd’hui, vu, les résultats obtenus par les différentes disciplines et les différentes  Préfectures à travers ce festival national des Arts  et de la culture, les différents Ensembles  nationaux,  à travers leurs directions techniques,  des castings ont pu être faits qui leur permettrons désormais de sélectionner les meilleurs  artistes dans toutes les disciplines en compétition, pour que nos Ensembles  nationaux puissent reprendre leur place comme : le Ballet Djoliba, l’Ensemble Instrumental national , les Percussions de Guinée, le Bembeya-Jazz national, le Horoya-band, le Balla et ses Baladins et beaucoup d’orchestres qui ont disparu ; mais qui restent  et demeurent  dans le casting  des grandes nations de culture.

*Un bilan au sortir de ce seizième  Festival ?

 Il faut reconnaître qu’il y a eu un manque de mobilisation au niveau du public. Cela est dû au fait que depuis 32 ans, cette pratique avait été abandonnée. Nous sommes en train de travailler avec un Cabinet privé  actuellement. Pour davantage mobiliser les masses populaires autour  des thèmes qui sont retenus. Nous avons aussi noté le fait que le niveau des artistes dans la créativité  est bas. Nous avons aujourd’hui un Institut Supérieur des Arts. Des jeunes sortis de cet Institut savent lire et écrire la musique. Ce sont des Structures sur lesquelles nous nous appesantissons pour que notre culture  puisse reprendre sa place. Il y a aussi ce qu’il faut saluer. C’est la renaissance des orchestres préfectoraux. Dans certaines  Préfectures  comme : Yomou. Lelouma, Télé bêlé, on a vu que ces localités-là ont aujourd’hui des orchestres modernes. Notre ambition au niveau du ministère en charge du sport, de la culture et du patrimoine historique, c’est de faire  en sorte qu’il y ait un développement horizontal au niveau de toutes les Préfectures, et surtout dans l’équipement et la promotion de ces orchestres et de ces Ensembles traditionnels.

*La politique qui encourage la pratique des instruments est toujours de mise en Guinée ?

 Absolument ! Vous savez ! La première  génération d’instrumentistes a considérablement diminué. Quand je prends les sections vent comme : Momo Wandel, Kèlètiki Traoré qui ne sont plus. Le seul aujourd’hui qui est sur scène, c’est Maître Barry. Mais c’est vrai qu’aujourd’hui, grâce à notre  vision que nous avions lorsque j’étais ministre des Arts et de la Culture, j’ai proposé au Bembeya-jazz de recruter des jeunes. Aujourd’hui, nous avons une nouvelle génération de ventistes issus de l’Armée. Ils ont l’avantage de solfier la musique, de la lire et de l’écrire. Cette transition peut se faire aujourd’hui. Mais il faut du temps pour le faire. Parce que ; ce n’est pas donné à tout le monde de lire et d’écrire la musique. Au niveau des instruments traditionnels, c’est vrai que nous avons aimé des instruments de percussion comme le « doundouni », instrument qui a inspiré la grosse caisse au niveau de la Batterie. Ce sont des choses qui sont originaires de l’Empire du Mandingue, donc de la Guinée. Il y a aussi d’autres instruments comme le Carignan qui ont inspiré  les afro-caribéens avec des instruments comme la Guiorche. Ce sont des instruments de percussion qui existent ici : le Carignan, le Daro, les instruments polyphoniques de la forêt. L’intérieur du pays est une source intarissable. Ce qui fait que l’année prochaine, le Président de la République a décidé de mettre quatre cents millions de francs guinéens comme Grand Prix du Festival national des ARTS et de la culture. Cette année,  c’est deux cents millions de franscguinéens. Parce qu’il est conscient de l’ampleur et de la richesse, surtout de la qualité de ce que nous pouvons avoir comme instruments et artistes au niveau de la base. Nos Préfectures en sont conscientes. Nous travaillons d’ailleurs dans cette optique-là.

*Quels sont les projets du ministère ?

C’est la construction, en fin, de notre Palais de la Culture. Nous avons un accord formel avec le gouvernement de la République Populaire de Chine. Qui nous donne un Palais de la Culture de Cinq mille places, clef en main, avec deux salles de mille cinq cents places chacune, un Théâtre de verdure, des Studios d’enregistrement, des boxes de répétition, beaucoup de commodités, des Bureaux. Nous sommes en train de boucler l’obtention, à travers le ministère de l’Urbanisme et de l’habitat, d’un terrain d’une superficie de sept hectares. La construction de ce Palais de la Culture  va prendre dix- huit mois. Quant au cinéma, très bientôt, ce sera la réhabilitation du « Cinéma  Liberté » et d’autres salles de cinéma. Il faut aussi le savoir. La Guinée est le berceau du cinéma africain.

*Ah bon !

Ah oui ! Le Cinéma africain pour la première fois a été réalisé en Guinée en 1952. Le film s’intitule : Mouramani. L’auteur se nomme : Mamady Touré. C’est pour dire que la Guinée est le berceau du Cinéma africain. Le « Fespaco » a été mis sur ses fonds baptismaux par des cinéastes guinéens comme : Moussa Tiémoko Diakité, Diagne  Costa Despe, paix à son âme, le doyen  Barry qui a fait le film « Event la Liberté ». Ce sont eux qui sont allés mettre en place le « Fespaco ». Comme on le voit, les pères fondateurs du Cinéma africain sont des Guinéens. Nous sommes fiers de cette identité-là. Nous pensons qu’à partir de deux ou trois ans, nous allons reprendre notre place. Nous la méritons.

*Un mot sur le show-biz guinéen ?

Malgré l’amateurisme dilettant qui le caractérise, se porte assez bien. Malgré aussi le manque d’appui d’accompagnement au sens strict du terme du gouvernement guinéen, mais nous sommes heureux parce qu’il  y a aujourd’hui un décret que le Président de la République a signé. C’est le décret créant le « Fonds d’Aide à l’Action culturelle ». Nous pensons qu’avec ce fonds-là, désormais les projets culturels pertinents vont être accompagnés et soutenus par notre Département. C’est le lieu pour moi de féliciter et d’encourager tous ces jeunes-là, qui s’investissent aujourd’hui dans la promotion des Arts et de la culture, en organisant des grands événements culturels dans notre pays. Il faut le dire qu’ils le font avec beaucoup d’amour, beaucoup d’abnégation. Malgré les difficultés, il y a des structures qui se détachent du lot. Je souhaite que ces structures continuent à s’améliorer, à surtout cultiver la formation qui est extrêmement importante. Le critérium de la connaissance, c’est la pratique. Vous pouvez pratiquer lorsque vous êtes formé.

*Quel est ton combat ?

Faire rayonner la Guinée. Faire revenir la Guinée sur le plan politique, culturel. Faire en sorte que comme ma source d’inspiration qui  n’est autre que Kéita  Fodéba, mon homonyme, C’est le père des Ballets Africains  depuis 1947. Le « Théâtre Africain » de Kéita  Fodéba. Je suis dans cette dynamique. Faire rayonner la Guinée. Que les jeunes qui s’inspirent de moi puissent boire, s’abreuver à la source, une très bonne source, et qu’ils soient des jeunes bien formés. Capables de défendre la Guinée sur l’échiquier international. Parce qu’aujourd’hui, il faut avoir une jeunesse compétitive sur le plan international.

 

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