Par Tiburce Koffi
Octobre 2020, ce sera exactement dans trois ans. Et trois ans font 144 semaines. Cela paraît beaucoup, sauf que 144 semaines ne font que trente six (36) mois, donc seize (16) semestres (vérifie l’évaluation. J’étais nul en arithmétique). On se rend compte alors que 2020 est à la fois loin et proche, selon la qualité des ambitions et l’acuité des besoins que l’on couve. Pour le monde politique ivoirien, 2020 se prépare maintenant car 2018 sera déjà l’année des interrogations majeures et des options tactiques : aller ou non à la compétition ? Avec qui y aller, et comment le faire ? Et avec quels moyens en hommes, en finances et logistique ? Par-delà tout, l’accent sera mis sur les alliances utiles car une évidence s’impose aujourd’hui à tous les partis : aucun d’entre eux, pas même chacune des trois grandes formations politiques que sont le Rdr, le Fpi et le Pdci-Rda, ne peut remporter une présidentielle, sans alliance. La donne, déjà expérimentée, est donc connue. Elle nous a livré les résultats suivants :
- 1995-1999 : Front républicain (Fpi + Rdr) = chute du Pdci-Rda ;
- 2000 : Régime de transition militaro civile : junte + Fpi = chute du Rdr (évincé du gouvernement en mai 2000) et du Pdci-Rda (écarté, comme le Rdr, de la course électorale) ;
- 2010 : Rhdp (Pdci, Rdr, Mfa, Upci, Udpci) / Lmp = chute du Fpi, matrice de la Lmp ;
- 2015 : Rdr + les autres partis du Rhdp = victoire du Rdr.
Faisons remarquer que les quatre rendez-vous électoraux (1990, 1995, 2000 et 2015) au cours desquels l’opposition est allée au scrutin en rangs dispersés, ont vu les victoires sans faille du Pdci-Rda (1990, 1995) et du Rdr (2015 – grâce à l’alliance Rhdp). Les résultats du scrutin de 2000 sont non crédibles compte tenu du caractère conflictuel de leur proclamation : jusqu’à son exécution, en 2002, par les hommes du régime au pouvoir, le Gl Robert Guéi a soutenu que c’était lui le vainqueur de ce scrutin. Et Gbagbo, nous ne cesserons de le rappeler (car c’est utile), a accédé à l’Exécutif à l’issue d’une insurrection populaire, et avec les manigances de la gauche française conduite par Josselin – une autre facette de cette françafrique qui est bonne ou mauvaise quand cela sert ou non nos intérêts singuliers. Ah ! L’élite politique ivoirienne ! Saurons-nous jamais la vérité sur cet autre scrutin de la mascarade électorale et de la haute tricherie ?
Or il nous faudra nécessairement revisiter notre passé politique. Il nous faudra bien, un jour, ouvrir les dossiers sales ou douteux, de la république : Assabou, le Sanwi, le Guébié, les soutiens de la Côte d’Ivoire à la rébellion biafraise conduite par le Gl Ojukwu, et à la rébellion menée par Jonas Savimbi, en Angola, le boycott actif, le coup d’État, la gestion de la transition militaro-civile (Fpi et la junte), le scrutin scandaleux d’octobre 2000, l’affaire du cheval blanc, de la Mercedes noire, le putsch manqué de septembre 2002, la rébellion (les massacres à Bouaké, Man, Duékoué), le scrutin d’octobre 2010 (quels furent les vrais vainqueurs du 1er tour, et celui du 2è tour ?), l’affaire de la cache d’armes, celle des attaques récurrentes des camps militaires, des postes de police et de gendarmerie, en 2017, etc. Ouf ! Comme on le voit, c’est d’une longue liste de dossiers sales ou obscurs de notre jeune État, qu’il s’agira d’épousseter et de convoquer à l’examen de l’actualité, afin que nous puissions mieux comprendre notre histoire et mieux appréhender la trajectoire nouvelle à suivre.
Inévitable « Conférence nationale » (thèse chère au Pr Wodié), ou « Consultation nationale » ou « Conseil national » (style Houphouët-Boigny) ? Qu’importe l’appellation que l’on donnera à ces nécessaires retrouvailles pour s’asseoir et « discuter, discuter et discuter » (recette Laurent Gbagbo) de la Côte d’Ivoire. Au total, le Pr Wodié aura (encore) eu raison : c’est un passage inévitable. Et Laurent Gbagbo l’avait bien perçu ; d’où le bons sens qu’il a eu d’avoir créé le « Forum de la Réconciliation nationale. » Hélas, la félonie de nos politiciens a transformé cette belle occasion en forum de la comédie nationale ! Il nous faudra donc reprendre l’expérience. Mais le faisant, ayons à l’esprit que l’Histoire a toujours mis chacun de ses agents et acteurs face à des choix qui se sont déclinés en compromis et compromissions souvent nécessaires et inévitables. C’est pourquoi il ne s’agira pas de traduire les acteurs politiques ivoiriens (dont les disparus) devant un tribunal, mais d’instruire à fond les actes qu’ils ont posés, afin de nous permettre de savoir et donc, de mieux comprendre les raisons de leurs options.
Rendre ces faits à la connaissance du peuple. Telle est la tâche dévolue à l’intelligentsia politique du pays. Cette tâche incombe aussi aux historiens et à la presse (écrite, audio et audio-visuelle.) Malheureusement, dans nos républiques du « Silence on développe », la presse n’a qu’une seule vocation : dire les louanges du chef régnant ! Et les livres d’Histoire ne sont lus que par une élite. Toujours est-il que voilà le tableau des alliances d’hier ; et elles ont donné les résultats que nous avons exposés. Le scrutin de 2020 n’échappera pas à la règle. Pour l’heure, les forces en présence sont : le Rdr, le Pdci-Rda et, potentiellement, le Fpi, sous réserve qu’il retrouve son unité.
Rdr, Pdci, Fpi : trois grandes formations politiques, trois forces, trois pôles d’influences. Nous avons déjà montré (édition précédente) les rapports, hautement conflictuels, entre ces trois partis. Seul l’avènement d’une quatrième force politique, pourrait donc susciter une perspective chargée d’espoirs. Celle-ci (la quatrième force) pourrait être constituée d’un bloc composé de partis politiques comme : le Parti ivoirien des Travailleurs (PIT), le Mouvement des Forces d’Avenir (celui d’Anaky la figure historique, tutélaire, légitime et représentative de ce parti), l’Union des Socio-démocrates d’Henri Niava (Usd), l’Union pour la Côte d’Ivoire (Upci), l’Union démocratique pour la Côte d’Ivoire (Udpci), l’Union pour la Nouvelle Nation (UNN) d’Ernest Tigori, le Rassemblement Pour la Paix et la Concorde (RPC-Paix) d’Henriette Lagou, etc. Des figures comme Anaky Kobéna, Gnamien Konan, Mabri Toikeuse, Henriette Lagou seraient les visages les plus en vue de cette probable et salutaire quatrième force.
Les trois premiers, surtout, ont indiscutablement marqué la Côte d’Ivoire par les notes qualitatives des actes politiques ou simplement citoyens qu’ils ont signés. Tous les trois, mais surtout Anaky Kobéna – homme d’une rare générosité et humilité frisant souvent la naïveté, fervent croyant et bosseur -, ont fait montre de leur sens de l’intérêt général tout au long de leurs différentes trajectoires sociales et politiques. Gnamien Konan reste un technocrate et une personnalité politique accomplis, qui a su donner de lui, l’image hautement qualitative d’un dirigeant performant. Mabri Toikeuse est outre un haut cadre riche d’expériences dans l’administration, un politique au langage mesuré et structuré. Et il demeure un homme très attaché aux valeurs de respect de la personne humaine, et de la paix. Chose rassurante : sa lecture de la scène politique a souvent été juste.
Toutes ces personnes sont, à mon avis, des chefs politiques sérieux et crédibles, encore porteurs d’un idéal national et patriotique salubre et salutaire. Pacifistes, anti tribalistes, politiques au langage modéré, ils représentent un véritable vivier de militants de bonne qualité pour la Côte d’Ivoire de demain qu’il nous faudra bâtir avec du matériau, sinon neuf, du moins pas trop usé. Leurs faiblesses : le manque cruel de moyens financiers. Or une campagne présidentielle mobilise des fonds colossaux, faute de quoi, le résultat du candidat reflétera la hauteur des moyens dégagés. Les scores que ces chefs politiques ont réalisés, chacun, lors des campagnes 2010 et 2015, sont suffisamment indicateurs du poids électoral dont ils ont pesé, dans le contexte précis de ces scrutins : aucun d’entre eux n’a pu atteindre 3% des suffrages exprimés ! Pas même l’illustre Pr Wodié (2010), un homme si précieux, une intelligence de classe ! Ces scores, à la limite de l’humiliation, n’ôtent toutefois rien à la qualité et à la représentativité virtuelle et nationale de ces leaders, car les chiffres officiellement déclarés ne reflètent pas leur véritable audience : on sait dans quelles conditions (de vaste tricherie et de mascarade électorale) s’est déroulé le scrutin de 2010 et notamment celui de 2015, faussé avant le départ, par le scélérat « Appel de Daoukro » qui a brouillé le sismogramme électoral.
En réalité, au contraire des grandes structures politiques que sont le Rdr, le Pdci et le Fpi, ce sont ces « petits » partis politiques qui ont un spectre démographique national plus avéré ; car leurs militants ne se recrutent pas sur la base ethnique, mais bien plutôt dans les différentes couches de la société ivoirienne. Leurs militants sont donc de vrais opposants ; c’est-à-dire des gens conscients de leur condition d’exploités, et qui ont décidé de changer le cours de leur injuste sort en soutenant l’action de ces partis politiques d’opposition, porteurs d’un langage rassurant : celui du changement.
Or tous ces déçus, ces mécontents et ces révoltés de la société sont plus nombreux que ceux qui sont satisfaits de ces régences peu généreuses, claniques, festives et fermées à la masse. Le Mfa, ni le Pit (Parti d’intellectuels avérés), ni l’Updci, encore moins le RPC-P ne peuvent donc être des partis tribalo-ethniques ; bien au contraire, leurs leaders (que je connais bien), sont des gens modernes, ouverts à l’altérité ; et leurs bases militantes ont une couleur nationale vérifiable. Unis, ils formeront, à coup sûr, un pôle politique de poids électoral à ne pas sous-estimer. Pourvu qu’ils comprennent la nécessité de s’unir – une incertitude certaine !
Guillaume Soro le joker
Une autre formule de la quatrième force consisterait à réunir ces mêmes partis politiques (d’obédience nationale mais malheureusement sans grands moyens financiers et matériels), autour de la figure, déjà charismatique, de Guillaume Soro. Ce dernier est, de tout le bataillon de prétendants virtuels à l’Exécutif, celui qui a servi aux postes les plus avancés de l’administration ivoirienne. Il est aussi celui dont le nom a le plus de résonnance dans la psyché des Ivoiriens. C’est lui qui signe, finalement, l’amorce de (la nécessaire) révolution de la société ivoirienne que la rébellion aurait dû se donner pour vocation de faire, plutôt que d’être restée l’histoire d’une insurrection qui aurait pu être convertie en une Révolution chargée de promesses des fleurs. Nous reviendrons un jour, et au besoin, sur cet aspect de la rébellion, car il faut bien que cette tranche cruciale de notre histoire récente passe au tamis d’analyses dépassionnées : la rébellion ivoirienne ne peut s’autoriser à faire, elle-même, l’économie d’un inventaire lucide et critique de son action. Bref.
Guillaume Soro, c’est, enfin, le leader générationnel incontestable. Un protagoniste politique d’envergure notable, et ayant une sérieuse longueur d’avance sur tous les autres acteurs de la scène politique du pays, dans la course au pouvoir. Une alliance autour de lui serait donc justifiée et pourrait s’avérer option opératoire judicieuse et prometteuse. Pour sûr, elle aurait du poids. Elle (cette alliance) serait même à recommander, car tous ces partis que je viens de citer ont été des victimes du binôme Rdr-Pdci, partis majeurs du Rhdp. À l’instar de Gnamien Konan, Anaky, Mabri et Henriette Lagou, Guillaume Soro (surtout lui) est dans leur ligne de mire ! Il est le brochet que ces hérons se proposent de manger un peu plus tard ; un repas que le dégustateur et fin gourmet qu’est un parti comme le Pdci-Rda compte s’offrir en temps et lieux opportuns ! Mian ! Mian ! Il s’agit donc, comme dirait Banny-le-Bouddha de Yam-la-jolie, d’éviter d’être naïf !
Au total, l’alternative productive et efficace que l’actualité et l’histoire offrent à l’opposition ivoirienne est la suivante :
– regrouper, en une seule entité, les partis politiques sabordés et arraisonnés par le Rhdp, pour en faire une véritable force politique conquérante conduite par un leader ou un collège de leaders ;
– ou bien, réunir ces partis autour d’une personnalité politique réellement charismatique ; ce qu’incarne Guillaume Soro.
Il faut éviter de faire ici étalage d’egos inutiles et improductifs. « La politique, c’est la saine appréciation des réalités », nous l’a enseigné le patriarche Houphouët-Boigny. Et, à l’analyse lucide et réaliste, le PANCI s’avère offre politique de qualité. Il faut que ces partis aient à l’esprit que 2020 ne sera pas un classique rendez-vous électoral ; il sera surtout, outre l’occasion d’exigences financières très élevées et de déploiement d’une logistique lourde, le lieu de choix décisifs pour l’avenir du pays : continuer de confier la Côte d’Ivoire aux forces réactionnaires et rétrogrades qui la figent en ce moment ; ou bien opter résolument pour l’avenir en renouvelant à fond la classe dirigeante. Dans ce dernier cas, place revient forcément à la jeunesse, symbole d’avenir et de progrès car seul « le sang nouveau fait la société nouvelle » – une formule presque incantatoire dans la phraséologie de la révolution.
RÉVOLU-TION, ai-je donc dit ! Ce mot indique bel et bien un processus de mise à mort de pratiques révolues, désuètes, anachroniques, obsolètes et inopérantes. Oui, ce pays, notre pays, a besoin d’une révolution, car la classe dirigeante actuelle a braqué son destin et l’étouffe dans le traquenard d’une succession de gouvernances malhabiles (notamment depuis 1994 à aujourd’hui), qui ont achevé de nous convaincre de leur inefficacité. Notre pays va mal. Et ne pas tenter d’inverser la tendance reviendrait à le condamner à plus de souffrances et à le livrer à la fureur dévastatrice d’une immense révolte populaire, sourde au bon sens et animée d’instincts meurtriers et cannibales !
Voilà, à mon avis, outre les deux conditions à satisfaire pour que la Côte d’Ivoire puisse négocier une gouvernance vraiment républicaine, la solution maximale (la révolution) à appliquer à cette fin. Dans la perspective d’un renoncement du Président sortant Alassane Ouattara à briguer un nouveau mandat, et vu la qualité (qui reste à désirer) du personnel politique en place, il nous faut accepter de confier les destinées de notre pays à une équipe dirigeante nouvelle, sérieuse, qui ouvrerait résolument dans le sens de l’intérêt général, et non s’occuper à satisfaire la voracité d’une ethnie ou celle d’un groupe d’alliances tribalo-ethnique, ou clanique, comme nous le fait subir aujourd’hui le binôme Rdr-Pdci sous l’emblème Rhdp.
Rhdp ! Disons-le nettement : ce rassemblement hétéroclite d’houphouétistes (?) ne fait pas vraiment honneur à la mémoire de Félix Houphouët-Boigny, un unioniste avéré. À l’exercice du pouvoir, le Rhdp s’est plus montré comme un club de tribalistes notoires et de satrapes qui ruinent et divisent la Côte d’Ivoire, qu’un groupe politique désireux de servir le pays en peine et en manque de leaders généreux dans l’effort de redressement national, et dans le partage de la richesse nationale. Le Rdr et le Pdci, les deux mamelles nourricières et gourmandes du Rhdp, sont des produits d’une culture de « l’avoir et de la possession » matérielle, et non du devoir patriotique et du don de soi. Le Pdci, c’est l’autre face du Rdr. L’un ou l’autre au pouvoir, ce sera le même pouvoir, la même gestion, les mêmes pratiques scandaleuses et inacceptables de la conduite des affaires publiques, la même vision, squelettique et parcellaire, de la Côte d’Ivoire. Non, le Rhdp et ses leaders, tous des octogénaires ou en voie de le devenir, ne saurait être une offre politique encore crédible, ni un symbole d’avenir pour la Côte d’Ivoire ! Il n’est plus qu’une mémoire politique, imparfaite, de Félix Houphouët-Boigny, le père de tous, le père à tous. Il avait (encore) raison, le patriarche : « Le vrai bonheur, on ne l’apprécie que lorsqu’on l’a perdu » ! Vive donc le Mouvement pour le Néo-houphouétisme (MN.-H) ! Camarades, à vous de jouer ! Réveillez-vous. Pour demain. Ce demain si proche, si présent. Ce demain qui est au seuil de vos portes !
Source: lebanco.net tiburce_koffi@yahoo.fr