Par Jean-Yves Esso Essis*
Dans quelques jours les Ivoiriens connaitront les noms des membres du nouveau gouvernement qui verra participation de l’opposition. Qu’en est-il exactement des supputations ? Dans cette publication, un analyste politique interpelle cette opposition ivoirienne par une lettre ouverte.
Chères Elites de l’Opposition Ivoirienne
«Permettez-nous de vous donner notre humble lecture de la situation sociopolitique actuelle de notre pays et, par la même occasion, vous donner notre avis sur la participation éventuelle de certains membres des partis d’opposition à ce nouveau gouvernement dit “d’ouverture”.
Pour une meilleure compréhension de notre analyse par nos lecteurs, nous allons, avant tout propos, faire un bref rappel des faits marquants en 10 points importants. Il est important que ces points clés soient imprimés quelque part dans le subconscient de chacun, afin de ne jamais perdre cela de vue lors de nos différentes analyses individuelles respectives. Nous nous appuierons sur ce petit rappel pour vous donner notre avis.
Rappel des faits :
- En 2016, adoption d’une nouvelle constitution précisant très clairement qu’aucun ivoirien n’a le droit de briguer 3 mandats présidentiels consécutifs. En mars 2020, annonce de la non candidature d’Alassane Ouattara pour un troisième mandat par l’intéressé “himself”.
- En août 2020, reniement de la parole donnée par Ouattara après le décès du 1er ministre Gon Coulibaly, par l’annonce “himself” de sa candidature pour un 3eme mandat à la Présidence de la République. Le décès de Gon Coulibaly était certes un événement tragique pour notre pays mais demeurait un problème interne au Rhdp qui ne devait en aucun cas servir de prétexte pour violer notre Loi Fondamentale.
- Mise en branle de tous les constitutionnalistes du Rhdp qui sont chargés, dès lors, de rouler le peuple ivoirien dans une gigantesque “farine” en expliquant qu’il s’agit tout simplement d’un 1er mandat d’une soudaine “3eme république”.
- Rejet des dossiers de candidatures de 40 prétendants à la Magistrature Suprême sur 44 par un Conseil Constitutionnel d’une évidente partialité et aux ordres. Boycott immédiat des deux candidats de l’opposition, Henri Konan Bédié et Pascal Affi N’guessan afin d’obliger le Conseil Constitutionnel à faire respecter la Constitution.
- Maintien, contre promesse de poste ministériel et forte récompense pécuniaire, de la candidature du candidat Kouadio Konan Bertin dit “KKB” validant ainsi la mascarade électorale se profilant au 31 octobre 2021.
- Lancement par l’Opposition du mot d’ordre de Désobéissance Civile suivi d’un large boycott actif le jour du scrutin pour faire barrage à la violation de la Constitution par le clan Ouattara. Elections présidentielles organisées dans des conditions antidémocratiques avec un taux de participation de la population ivoirienne inférieur à 10%.
- Création, après la date butoir du 31 octobre 2020, du Conseil National de Transition (CNT) pour pallier la vacance du pouvoir. Arrestation immédiate d’un grand nombre de responsables politiques de l’opposition dont les principaux leaders du Cnt.
- Multiples exactions en tout genre envers la population. Des milliers de blessés dénombrés et plusieurs arrestations arbitraires. Près d’une centaine de morts dont celle de Toussaint Koffi, décapité à Daoukro par des pro-Ouattara.
- Main tendue par le pouvoir en place pour initier un Dialogue National et calmer la population, prête à en découdre.
- Investiture le 14 décembre 2021 en catimini et à huis clos sans la participation d’aucun membre de l’Opposition. Organisation, dans la foulée, des législatives de façon précipitée pour ne pas laisser le temps à l’Opposition de se réorganiser.
Chères sœurs, chers frères,
Permettez-nous de vous donner maintenant notre analyse personnelle de la situation socio politique du pays au regard de ce qui précède.
Le pouvoir illégitime Rhdp ne fait rien, n’a jamais rien fait et ne fera jamais rien pour faire plaisir à son opposition. Tout ce qui est proposé par ce pouvoir doit être scrupuleusement analysé, scruté avec la meilleure expertise et conditionné avant un éventuel accord. Par respect pour nos morts, nos blessés et nos emprisonnés.
Ce pouvoir qu’on se le dise une bonne fois pour toutes, cherche encore sa légitimité, nous le savons tous. La participation aux législatives, contrairement à ce que pensent certains, n’a en aucun cas légitimé la forfaiture du 31 octobre 2021. Le Pouvoir Exécutif ayant été spolié au peuple ivoirien, il était impératif pour une opposition responsable, d’essayer de récupérer le Pouvoir Législatif, malgré des conditions calamiteuses et une tricherie organisée à grande échelle dont nous même avons été victimes à Dabou ou nous étions candidats, entre autres.
Participer donc à un quelconque gouvernement de ce pouvoir illégitime serait, de toute évidence, le chemin royal pour le légitimer.
Chers élites de l’opposition significative,
La question essentielle à se poser est la suivante : Décidons-nous de légitimer ce pouvoir ou pas ? Si oui à quelles conditions ?
La réponse à cette question est éminemment complexe…
Les questions subsidiaires à se poser pour les membres de l’opposition sont, à notre humble avis, les suivantes :
– Sommes-nous assez solides pour tenir une mandature complète hors du système et revenir en force lors des prochaines échéances électorales pour la reconquête du pouvoir d’état.
– Sommes-nous prêts à sensibiliser les masses populaires et à communiquer très largement auprès de nos bases militantes sur nos choix d’intégrer le gouvernement afin quelles ne se sentent pas trahies ?
– Sommes-nous capables de mettre en place une cellule de “vrais négociateurs” qui au-delà des postes ministériels sauront négocier les différents autres postes de direction des nombreuses sociétés d’état ?
L’opposition serait bien inspirée de mettre un Comité Ad’hoc Stratégique sur pied dans les 24h pour répondre à cette question en explorant de manière approfondie et sans émotions les avantages et inconvénients de la décision de légitimer ou non ce pouvoir jusqu’à ce jour illégitime.
La participation au gouvernement, si cela était décidé par ce Comité Ad’hoc Stratégique, devrait être conditionnée par un chronogramme “clair et publié” d’actes de décrispation de l’atmosphère politique et sociétale exigés par l’opposition et acceptés par le pouvoir en place, tels que :
– la libération immédiate et sans conditions des jeunes manifestants.
– la libération de tous les prisonniers politiques.
– le jugement immédiat des prisonniers incarcérés depuis un certain temps sans procès au mépris des règles élémentaires de justice et de droits de l’Homme.
– le retour des exilés politiques dont les plus célèbres, le président Gbagbo, le ministre Charles Blé Goudé et l’ex-premier ministre Guillaume Soro, pour ne citer que ceux-là.
Convaincus que vous saurez imposer votre rythme dans cette démarche d’ouverture que semble vouloir entreprendre le pouvoir en place et que vous saurez prendre les meilleures décisions pour le bien-être des populations qui vous ont soutenues dans les moments chauds de la désobéissance civile,
Nous vous prions d’agréer nos salutations distinguées ».
*Inspecteur et membre du Bureau politique et Président des Cadres Dynamiques du Pdci-Rda.