C’est un destin qu’il n’avait pas vraiment imaginé. Reconverti avec succès et patience en tant qu’entraîneur des équipes jeunes de l’OGC Nice, l’ancien milieu de terrain des Aiglons Emerse Faé a vu sa carrière prendre prématurément fin en 2012 pour cause de phlébites à répétition. Un moment douloureux que l’ex-international ivoirien a accepté d’évoquer pour Onze Mondial. De sa formation au FC Nantes à la Coupe du Monde 2006 en passant par sa maladie rare dans le monde du foot, Emerse Faé aborde sans détour et avec humilité les instants forts de sa vie professionnelle et personnelle. Découvrez la première partie de l’interview consacrée au prometteur entraîneur des U19 Nationaux de Nice.
Emerse, comment en es-tu venu au foot étant jeune ?
Le foot, c’est le sport populaire par excellence. Quand tu viens d’un quartier, c’est le sport que tout le monde pratique, auquel tout le monde joue. Dans mon quartier, c’est ce que je mangeais matin, midi et soir. Dès que je sortais de l’école, je jetais mon cartable et avant même de penser à faire mes devoirs, je filais tout de suite au gymnase pour faire un foot avec mes copains. Donc au fur et à mesure, tu es dans le jeu, tu joues, tu joues … Au début pour le plaisir, avec tes potes. Puis tu te rends compte que tu as des capacités, que tu peux aller plus loin, plus haut. Donc tu essayes de tout mettre en œuvre pour y arriver.
Devenir footballeur, était-il un objectif pour toi?
Non, non … Franchement non ! Je jouais vraiment pour le plaisir. Le foot, c’était ma passion. J’étais un peu (il cherche ses mots) … Pas naïf, mais je ne connaissais pas du tout le milieu du foot. Je jouais, je voyais du foot à la télévision. À l’époque, il y avait Paris qui était au top niveau. Je suivais tout ça. Mais à aucun moment en fait je pouvais m’imaginer que j’allais en faire mon métier. C’est vraiment quand je suis arrivé au centre de formation du FC Nantes en U17, que j’ai pu goûter aux équipes de France, que j’ai commencé à me rendre compte que le foot, je pouvais en faire mon métier et que je me suis fixé cet objectif.
Tu avais une idole, un exemple ?
Jeune, j’aimais bien Edgar Davids. J’avais des problèmes de vue et lui, c’était le seul qui jouait avec des lunettes. J’étais milieu de terrain comme lui, j’étais également très agressif donc c’est vrai que c’était un peu un joueur que je suivais et que j’adorais.
Comment as-tu intégré le centre de formation des Canaris ?
Par hasard en fait. C’était un mercredi, je me souviens encore. Comme j’ai dit tout à l’heure, on avait l’habitude de se retrouver sur les terrains pour faire un foot avec mes potes, surtout le mercredi. Moi, j’habitais au 10e étage de mon immeuble et je voyais tout le quartier. Et ce mercredi-là, je me mets à la fenêtre et je ne vois personne sur le terrain Je me dis « merdre, il y a un problème. »
Pas de téléphone portable à l’époque, pas de moyen de communiquer avec les potes … Je fais les cent pas, je fais les cent pas, je fais les cent pas, … Toutes les deux ou trois minutes je retourne à la fenêtre, et je ne vois toujours personne. Je me dis que c’est bizarre, je me demande ce qu’il se passe.
Et à un moment donné, je regarde vers l’arrêt de bus et je vois tous mes potes avec un sac à dos. Je ne me pose pas 36.000 questions, je prends mon sac, je fonce à l’arrêt de bus même si je ne savais pas où ils allaient. Je me dis que s’il y a un foot ailleurs, pas grave ! J’irais faire un foot ailleurs avec mes potes. J’arrive à l’arrêt de bus et ils me disent que le FC Nantes organise des détections et qu’on va aller tenter notre chance. Je me dis : « Bon bah allons-y ! » Mais vraiment sans rien attendre.
Moi je suivais les potes pour aller faire un foot, et si ce n’était pas au quartier, j’allais avec eux même si c’était une détection. Je suis arrivé là-bas, on était plein de jeunes ! Au moins 100 … Et à la fin de la détection, ils (les éducateurs) viennent vers moi et me disent : « Tu reviendras la semaine prochaine. » Puis je suis revenu comme ça pendant trois-quatre mercredis et à la fin, ils m’ont proposé d’intégrer le club.
Vous remportez la Coupe Gambardella en 2002, ton premier titre avec le FC Nantes. Ça a été un tournant dans ton objectif de devenir professionnel, un tremplin ?
Oui, un tremplin ! Ça a même été une saison tremplin pour moi en fait. Je l’ai commencé en gagnant un titre avec l’équipe de France (la Coupe du Monde des moins de 17 ans) et à la fin, je remporte la Gambardella avec le FC Nantes donc c’est sûr que ça a été un gros plus de glaner ces deux titres et d’être un peu plus vu, reconnu. D’avoir un statut différent, ça m’a permis d’accélérer un peu le processus pour devenir pro.
Un an plus tard, tu joues ton premier en Ligue 1 face à Bordeaux à seulement 19 ans. Qu’est-ce qu’on ressent à ce moment-là ?
C’est particulier. Particulier en plus quand tu es chez toi, dans ta ville de cœur, là où tu as été formé, là où tu es né, là où tu as tout tes potes et ta famille, … Bien évidemment que tout le monde était au stade. Les amis, la famille, … Donc c’est vrai que c’est particulier. Je me souviens de mon entrée : j’étais tellement excité que je courrais partout, je voulais tout faire. Et finalement je n’ai pas fait grand-chose (sourire). Mais c’est vrai que c’est particulier, une émotion très forte, qui est difficile à gérer parce qu’on a peur de décevoir le coach qui nous a fait confiance. On joue devant 30.000 spectateurs aussi, on a envie d’être à la hauteur. Et puis on est le petit jeune qui vient du centre, qui vient de gagner la Gambardella et dont on parle depuis maintenant un an, un an et demi. C’est plein d’émotions, mais c’est dur à gérer.
C’est une pression supplémentaire d’être le petit gars du coin ?
On est regardé différemment, mais je n’irais pas jusqu’à dire que c’est une pression supplémentaire. Déjà, c’est une fierté (de porter le maillot de sa ville). Et au contraire, je pense qu’on a plus de soutien quand on est un local qu’un petit qui vient de l’extérieur. Il n’y a pas une différence énorme mais on sent quand même un peu plus de soutien.
En 2004, vous êtes battus en finale de la Coupe de la Ligue par Sochaux. C’est un regret de ne pas avoir offert de titre en professionnel à ton club formateur ?
Ouais, c’est un gros gros regret. Là, j’avais l’opportunité d’en remporter un dès ma première saison en professionnel donc ouais, c’est un gros gros gros regret. Surtout quand on regarde la physionomie (le FC Nantes est battu aux tirs au but), on avait fait un très bon match. Je pense qu’on aurait mérité de gagner la partie dans le temps réglementaire. Ensuite on arrive aux tirs au but et voilà (sourire) … On connaît la suite de l’histoire. C’est un regret parce que je pense que ça a aussi été un tournant pour le club. En gagnant cette Coupe de la Ligue, on aurait fait une Coupe d’Europe la saison d’après et beaucoup de choses auraient été différentes selon moi. Ça aurait permis au FC Nantes de rester dans le bon wagon.
En 2007, le FC Nantes est relégué. Tu décides alors de rejoindre Reading en Premier League. La Ligue 2, c’était inenvisageable ?
Ce n’est pas que c’était inenvisageable. En 2006, j’avais demandé à partir pour connaître un club plus ambitieux, avec une Coupe d’Europe. À l’époque, Japhet N’Doram (alors directeur sportif du FC Nantes) m’avait demandé de rester une saison de plus parce qu’il allait faire une équipe justement taillée pour retrouver les sommets. Et effectivement, il avait recruté pas mal de joueurs dont des internationaux : il y avait le gardien serbe (Vladimir Stojkovic), ils avaient recruté (Éric) Cubilier, ils avaient recruté (Alioum) Saïdou au milieu, (Nourdin) Boukhari qui venait de l’Ajax Amsterdam, … Donc effectivement, il avait fait un recrutement ambitieux et c’est vrai que dans son projet, il comptait vraiment sur moi. On s’était arrangé pour que je fasse une saison et qu’on me laisse une lettre de sortie à l’été 2007. Donc c’était prévu. Malheureusement, partir sur une descente, ça a été difficile. Mais déjà en 2006, j’avais demandé à partir et on m’a demandé de rester une saison de plus pour ce projet.
Qu’est-ce qui t’a attiré à Reading ?
On va dire que ça a été un mercato difficile pour moi, parce que juste avant, au mois de mars, j’ai fait ma première phlébite. Trois mois d’arrêt, l’équipe qui descend en Ligue 2, une maladie pas du tout connue dans le monde du foot, … C’est vrai que pas mal de clubs intéressés par moi en 2006 se sont retirés quand j’ai fait ma première phlébite. Je me suis alors retrouvé sur le marché des transferts avec très très peu de sollicitations. Et quand est venu Reading, on était à la fin du mercato. Ça aurait été difficile pour moi psychologiquement de rester à Nantes … Pas parce que le club était descendu en Ligue 2, mais parce que dans ma tête j’étais parti pour partir. Ce n’est pas le club avec le standing que j’espérais mais je voulais m’en servir comme tremplin. Je savais que j’arrivais dans un très bon championnat, très médiatisé, et que j’allais avoir une opportunité de rebondir en passant par Reading en fait.
En Angleterre tu te retrouves dans un nouvel environnement donc. Comment s’est passée ton acclimatation ?
Bien ! Franchement, bien. Tout s’est bien passé, tant sur le plan sportif que personnel. Ma femme s’est bien intégrée aussi à la vie anglaise. Donc franchement oui, tout s’est bien passé. À part le temps de jeu malheureusement. Mais j’ai vraiment apprécié cette expérience anglaise.
Tu es prêté à l’OGC Nice dès ta deuxième saison. Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné finalement à Reading ?
Je suis arrivé dans une équipe qui était remonté de troisième division anglaise à la Premier League, qui venait de faire leur première saison à ce niveau, durant laquelle ils ont terminé huitième je crois. Ils avaient fait un très bon championnat. Ils avaient le meilleur gardien, enfin celui qui avait été élu meilleur gardien de la saison précédente. Le meilleur entraîneur aussi. Donc c’était un peu une famille. Quand moi je suis arrivé … (il se reprend) Je ne faisais pas tâche, mais c’est vrai que ça a été difficile pour moi de m’imposer dans cette équipe parce que le coach avait ses joueurs, ses habitudes depuis plusieurs années. Il n’a pas voulu changer, entre guillemets, ses habitudes.
La malaria que tu contractes à la Coupe d’Afrique 2008 a-t-elle joué également sur ton rendement ?
Oui, parce qu’avant de partir à la CAN je me souviens qu’on avait fait un match de Coupe contre Tottenham. On avait fait un super match, on avait fait 4-4. Et à Reading, les matches de Coupe, c’étaient pour ceux qui n’avaient pas de temps de jeu en championnat. Trois jours avant, on avait déjà joué Tottenham en championnat. Et ils (les titulaires de Reading) avaient perdu 7-2 ou 7-3 là-bas (en réalité, 6-4).
Il n’y avait pas eu de match quoi ! Et nous, on est arrivé trois-quatre jours après en Coupe avec l’équipe bis entre guillemets, alors que Tottenham avait aligné tout le monde, dont Dimitar Berbatov. On fait 4-4, mais on avait mené tout le long, on aurait mérité de gagner. On avait vraiment fait un super match.
Ça, c’était juste avant de partir à la CAN. Et c’est vrai que mon statut, la vision qu’ils avaient sur moi, commençaient déjà à changer. Donc je suis parti à la CAN, j’ai fait une très bonne compétition aussi. Pareil, ils m’ont vu jouer, et quand je suis rentré, leur regard était encore différent par rapport à moi.
Malheureusement, deux semaines après, je tombe malade de la malaria et je suis écarté des terrains pendant un mois. Le temps de retrouver la forme, on était déjà aux mois d’avril-mai, la saison était quasiment finie. Donc on va dire qu’il y a eu de la malchance aussi sur cette saison, ce qui fait que je n’ai pas eu beaucoup de temps de jeu.
C’est un regret aussi de ne pas t’être imposé en Angleterre ?
Ouais, c’est toujours un regret d’échouer de toute façon. Quand on est un joueur, on s’engage dans des clubs pour des challenges, des missions. C’est difficile d’échouer, donc oui c’est un regret. Cela étant, je considère que j’ai donné le maximum pour réussir et que ça n’a pas fonctionné on va dire. Des regrets oui, mais ce n’est pas non plus insurmontable ni invivable.
Si c’était à refaire, tu choisirais Reading ?
Je pense que oui. Car comme je t’ai dit, en 2006, je voulais partir et je ne suis pas parti. En 2007, ça aurait été difficile de rester une saison de plus (au FC Nantes) donc il me fallait un nouveau challenge. Ce n’est pas celui que j’espérais, c’est vrai. Il y a aussi eu ce problème de phlébite mais j’avais besoin d’un nouveau challenge, donc je pense que j’aurais dit oui une nouvelle fois.
Tu as donc été prêté à Nice. Ça a été difficile de t’imposer et de convaincre tes dirigeants et ton entraîneur de te garder ?
Non, tout s’est fait naturellement. J’avais besoin d’un club qui me fasse confiance, qui me ressemble vraiment dans son projet et c’est ce que j’ai tout de suite senti avec Nice. Donc c’est pour ça que j’ai foncé sans hésiter, je me suis toujours senti bien ici, avec ma femme, ainsi que ma fille à l’époque, je n’en avais qu’une. On s’est toujours bien senti ici, que ce soit dans la vie ou dans le club, donc ça a toujours été naturel. Il n’y a jamais eu besoin de négocier ou de convaincre quoi que ce soit. Ça s’est toujours fait naturellement.
Tu as retrouvé du plaisir à Nice ?
Ouais, du plaisir dans le football. Et puis quand tu vois que ta famille est bien ici, ça te donne du plaisir. C’est un club qui était ambitieux, qui s’était mis en tête de grandir, donc tout était réuni pour que je m’épanouisse à Nice.
Tu es parvenu à t’imposer comme un joueur important de l’effectif ?
Je pense que sur la première saison, oui. Malheureusement lors de la deuxième saison, j’ai rechuté au niveau médical. C’était plus compliqué, mais je considère que j’ai fait ce qu’il faillait, j’ai toujours fait le travail.
Et le décembre 2010, Nice-Marseille.
(Il sourit) Ouais, ça, tout le monde m’en reparle. Même mes filles ! Pour se moquer de moi, elles mettent la vidéo avec le son très fort. Encore hier, ma plus grande fille l’a fait. Elle faisait un exposé sur le foot, car elle fait du foot aussi, et elle a mis ce but contre Marseille. C’est vrai que tout le monde m’en parle. Moi qui n’ai pas de mémoire, ce serait vraiment difficile de ne pas retenir cette date.
C’est le but le plus marquant de ta carrière ?
Le plus marquant, oui ! Bientôt ça va faire dix ans, et on m’en reparle encore comme si c’était hier. Avec tous les buts qu’on a mis à Marseille, toutes les victoires qu’on a eues contre eux entre-temps, on en reparle encore aujourd’hui. Donc oui, c’est mon but le plus marquant.
Tu mets un terme à ta carrière à cause de phlébites à répétition au mois février 2012 Est-ce une décision personnelle d’arrêter ?
Ouais, Ça a été une décision logique on va dire. Je pense qu’à un moment donné il fallait venir à l’évidence. J’en ai fait quatre en trois ou quatre ans. Il ne fallait pas se voiler la face, c’est une maladie dangereuse. Il faut se poser les bonnes questions. On a des enfants … Oui le foot c’est ma passion, c’est toute ma vie mais bon, ça ne vaut pas la peine de risquer ma vie pour le foot.
Tu es alors âgé de 28 ans à ce moment-là. Comment fait-on pour accepter de terminer sa carrière aussi tôt ?
On ne l’accepte pas vraiment en fait. On vit avec, mais on n’accepte pas vraiment. En tout cas on essaye de se dire « Oui, on va accepter », mais bon … C’est difficile, surtout au début. Et puis après, quand on passe à autre chose, à d’autres projets, quand on s’investit sur une nouvelle histoire, ça facilite la digestion on va dire.
Quel a été le rôle joué par ton entourage, et notamment celui de ta femme ?
Important. Si vous n’êtes pas bien entouré, je pense que vous ne pouvez pas (Il coupe) … C’est vrai qu’elle (sa femme) a été importante, qu’elle a été forte parce que pour elle, ça a aussi été un choc. Sachant que moi ma vie, ça a toujours été le foot et ça elle le savait. Pour elle, ça n’a pas toujours été évident à vivre tous les jours. Mais elle a toujours été là pour faire face et aujourd’hui, si j’en suis là, c’est en grande partie grâce à elle.
On en vient à être dégoûté du foot ?
Ouais au début, mais ça ne dure pas longtemps. Je ne voulais pas rester dans le milieu du foot. Mais ça a duré deux-trois jours.
Tu considères ce passage comme le plus dur de ta vie ?
De ma vie, non. Parce que j’ai perdu ma mère juste avant. De ma carrière, oui. Mais de ma vie, il y a eu le décès de ma mère juste avant qui a été encore plus dur que la fin de ma carrière.
Aujourd’hui, tu parles facilement de tout ça ?
Pas de moi-même. Je ne me cache pas de ça, ce n’est pas une honte, ce n’est pas un boulet. Mais en parler de moi-même, non. Ce n’est pas un sujet que je vais aborder (il coupe) … Ce n’est pas comme si on parlait de foot avec des potes. Mais si on me pose des questions, sur ma maladie ou quoi que ce soit, j’y réponds avec plaisir.
Source : onzemondial.com