Alors que les engueulades vaudevillesques d’une comédie ridicule fusent dans l’aile ouest de la Maison Blanche, entre le président Donald Trump et ses principaux conseillers d’une part, et entre le secrétaire de presse de la Maison Blanche et divers assistants présidentiels d’autre part, les dirigeants mondiaux se sont réunis à Beijing pour discuter de la création, sur terre et sur mer, de Routes de la Soie pour améliorer les conditions économiques des pays du monde entier. Rien ne pouvait mieux illustrer le fossé énorme entre les préoccupations de la plupart des nations du monde et celles des États-Unis, qui sombraient rapidement dans l’état d’une puissance de second ordre, avec ses alliés de l’OTAN, la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne.
Alors que M. Trump menaçait de virer des hauts fonctionnaires de la Maison Blanche, reprenant son ancien rôle dans son émission de télé-réalité « The Apprentice », le président chinois Xi Jinping, le président russe Vladimir Poutine, et les présidents et premiers ministres du monde entier se sont assis à la même table pour discuter de la création de nouvelles routes internationales et intercontinentales, de chemins de fer et de routes maritimes, en vertu du projet chinois de Routes de la Soie, terrestre et maritime, du XXIe siècle.
Même les pays réticents à l’initiative chinoise, y compris l’Inde et le Japon, ont envoyé des représentants au sommet, qui pesaient un peu plus lourd que le pathétique représentant des États-Unis, Matt Pottinger, un assistant spécial de Trump, totalement inconnu, et le directeur principal pour l’Asie orientale du Conseil national de sécurité. En fait, la seule raison pour laquelle Trump a envoyé quelqu’un pour représenter les États-Unis à la réunion de Beijing, était une demande spéciale faite par le Président Xi au cours de sa récente rencontre avec Trump à la station privée Mar-a-Lago, Club du président à Palm Beach, en Floride.
La Corée du Sud, qui a vu ses relations avec la Chine aigrir, au sujet de la mise en place par l’Amérique, sur son sol, du système de missiles THAAD (Terminal High Altitude Area Defense), a envoyé une délégation à Beijing, conduite par un législateur vétéran du Parti démocrate, après un appel téléphonique entre le nouveau président libéral de la Corée du Sud, Moon-Jae-in, et le président Xi.
Même la Corée du Nord, qui a ulcéré la Corée du Sud, le Japon et les États-Unis en tirant un missile balistique dans des eaux proches de la Russie, a envoyé une délégation à la réunion de Beijing dirigée par Kim Yong Jae, ministre des Relations économiques extérieures de Corée du Nord. L’administration Trump, qui a envoyé un inconnu fantôme à Beijing, se plaint haut et fort au sujet de la représentation de la Corée du Nord au sommet des Routes de la Soie. Mais la plainte de Washington était accompagnée par quelqu’un d’aussi inconnu que M. Pottinger, et par Anna Richey-Allen, un porte-parole de bas niveau du Département d’État américain en charge de l’Asie de l’Est. La raison pour laquelle les États-Unis sont représentés par des bureaucrates de niveau moyen, est que la nation qui croit encore être la seule superpuissance du reste du monde est maintenant gouvernée par une administration en proie au plus haut niveau à des postes vacants, des chamailleries inter-agences et des joueurs de ligue amateurs.
Même si les grands États membres de l’Union européenne à Beijing ne sont pas représentés par leurs chefs de gouvernement, l’Allemagne a envoyé son ministre de l’Économie, Brigitte Zypries. Elle a averti, cependant, que l’Union européenne ne signerait pas d’accord avec la Chine sur les Routes de la Soie, à moins que certaines exigences sur le libre-échange et les conditions de travail ne soient garanties. Les réticences de l’Allemagne ne semblent pas gêner les autres pays de l’UE, qui ont été représentés à Beijing par leurs chefs de gouvernement et semblent être plus passionnés dans leur soutien à l’initiative chinoise. Ces membres de l’UE, chefs d’État, incluaient le Premier ministre italien Paolo Gentiloni, le Premier ministre espagnol Mariano Rajoy, le Premier ministre polonais Beata Szydło, le Premier ministre grec Alexis Tsipras, le président tchèque Milos Zeman, et le Premier ministre hongrois Viktor Orban. Par ailleurs, si le Premier ministre britannique, Theresa May, n’avait pas été en pleine campagne électorale, elle se serait rendue à Beijing. Néanmoins, elle a envoyé le chancelier britannique de l’Échiquier, Philip Hammond, à sa place.
Si l’administration Trump espérait convaincre les dirigeants du monde de rester loin de Beijing, elle a été très déçue. Le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, était là, ainsi que le président de la Banque mondiale Jim Yong Kim et le Fonds monétaire international en la personne de Christine Lagarde, directrice générale. Étaient également présents à Beijing les présidents de la Turquie, des Philippines, de l’Argentine, du Chili, de l’Indonésie, du Kirghizistan, de la Biélorussie, du Kazakhstan, de la Suisse, du Kenya, de l’Ouzbékistan et du Laos, ainsi que les premiers ministres du Vietnam, du Pakistan, du Sri Lanka, de Serbie, de Malaisie, de Mongolie, des Fidji, d’Éthiopie, du Cambodge et du Myanmar.
Les délégations ministérielles de l’Afghanistan, d’Australie, d’Azerbaïdjan, du Bangladesh, du Brésil, d’Égypte, de Finlande, d’Iran, du Koweït, du Liban, des Maldives, de Roumanie, du Népal, de Nouvelle-Zélande, d’Arabie saoudite, de Singapour, du Soudan du Sud, du Soudan, de Syrie, de Tanzanie, de Thaïlande, de Tunisie, d’Ouganda et des Émirats arabes unis étaient au sommet de Beijing. Le Japon a été représenté par le principal conseiller du Premier ministre Shinzo Abe et le secrétaire général du Parti libéral démocrate Toshihiro Nikai. La France, qui était confrontée à un changement de président, a envoyé l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin.
L’initiative des Routes de la Soie a des projets dans tous les pays dont les gouvernements étaient représentés à Beijing, à l’exception des États-Unis et Israël. En plus des nations représentées par leurs chefs de gouvernement et leurs ministres, des accords au sujet des Routes de la soie ont été signés entre la Chine et la Palestine, la Géorgie, l’Arménie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro, l’Albanie, le Tadjikistan, le Brunei, la Croatie et Timor-Est.
Le message clair envoyé au monde par la réunion de Beijing était que la vision unipolaire du monde de l’Amérique était morte et enterrée. Même parmi les amis de longue date et les alliés de Washington, on n’a pas entendu désigner Donald Trump comme le « leader du monde libre ». Cette expression a disparu dans la poubelle de l’Histoire, en même temps que l’insistance de l’Amérique à se présenter comme la seule superpuissance du monde. Les États-Unis sont une puissance de second ordre, qui se trouve posséder un arsenal nucléaire de premier ordre. Mais les armes nucléaires n’étaient pas un sujet de discussion à Beijing. De grands projets étaient à l’ordre du jour, qui une fois terminés, laisseront les États-Unis au large, dans les remous de l’hélice.
Le Président Xi, dans son discours fondamental d’ouverture de la conférence, a déclaré que l’initiative « Une Ceinture une Route » (One Belt One Road) est « le projet de siècle », dont le monde entier profitera. Et pour concrétiser ses paroles, Xi a dit que la Chine contribuerait à hauteur de 80 milliards de yuans ($113 milliards ) supplémentaires, comme impulsion financière pour créer un réseau mondial de routes, chemins de fer et liaisons maritimes dans une renaissance de l’ancienne Route de la soie, qui reliait la Chine à l’Occident. Pendant ce temps, à Washington, Trump disait posséder des enregistrements de conversations avec le directeur du FBI James Comey, qu’il a viré, déclenchant une tempête politique. Une nouvelle infrastructure mondiale était discutée à Beijing, pendant que les coups politiques fumants faisaient l’essentiel des conversations à Washington. Les États-Unis ont sombré dans un statut mondial de second ordre et sont gravement menacés en tant qu’État-nation cohérent, mais ne le réalisent même pas.
La Chine et la Russie ont profité du sommet de Beijing pour présenter plusieurs initiatives eurasiennes, y compris l’Union économique eurasienne (EEU) d’inspiration russe et la Banque pour l’investissement dans l’infrastructure asiatique à l’initiative de la Chine (AIIB). Les deux chefs d’État ont fait savoir que l’alliance des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) était encore une entité mondiale puissante, même si l’Afrique du Sud n’était pas représentée à Beijing par son président et que l’Inde avait choisi ne pas envoyer de représentant à la réunion.
Les propos du président Poutine à la conférence, sur le nouveau statut géopolitique dans le monde, sont remarquables : « Une Eurasie plus grande n’est pas un arrangement géopolitique abstrait, mais, sans exagération, un véritable projet de civilisation tourné vers l’avenir. » En d’autres termes, l’Union européenne, qui est en train de perdre le Royaume-Uni en tant que membre et ne verra jamais l’adhésion de la Turquie, est un organisme international à l’agonie. D’autres initiatives internationales, comme l’EEU, les BRICS, l’AIIB et les Routes de la Soie, laissent l’UE et les États-Unis à la traîne. C’était évident, à la vue du choix du représentant des États-Unis à Beijing, un employé de bureau surfait, et celui de l’Union européenne, un eurocrate bruxellois, vice-président de la Commission européenne, Jyrki Katainen.
Wayne Madsen
Source Strategic Culture