La première étape du procès de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé devant la Cour pénale internationale qui a duré deux ans, (CPI) a pris fin hier vendredi19 janvier 2018. Le Procureur a bouclé la présentation de ses preuves contre les accusés. La parole est désormais donnée à la défense.
Répression violente ou attaque délibérée de civils ?
Les faits reprochés à Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé reposent sur quatre événements clés : la répression d’une manifestation destinée à s’emparer de la Radiotélévision ivoirienne (RTI) le 16 décembre 2010, celle d’une marche de femmes à Abobo le 3 mars 2011 et le bombardement du quartier quinze jours plus tard, et les tueries dans le quartier de Yopougon le 12 avril, au lendemain de l’arrestation de Laurent Gbagbo dans la résidence présidentielle par les troupes d’Alassane Ouattara, avec le soutien décisif des forces françaises. Mais dans cette affaire, le procureur doit, partie la plus difficile, prouver qu’il s’agit de « crimes contre l’humanité ». Il doit donc prouver que les meurtres, les viols et les actes inhumains qu’il reproche à l’ancien président ivoirien et au chef des Jeunes patriotes, ont été commis dans le cadre d’une « politique ». Selon le procureur, Laurent Gbagbo aurait, avec ses proches dont son coaccusé et son épouse, Simone Gbagbo – elle aussi poursuivie par la Cour mais jamais transférée à La Haye – élaboré un plan devant lui permettre de conserver le pouvoir, en ciblant des civils pro-Ouattara.
De nombreuses victimes sont venues à La Haye, depuis deux ans, raconter la mort d’un proche ou leurs propres blessures. Un poissonnier, le patron de deux débits de boissons, un électricien, un camionneur, un couturier, un éducateur, d’autres civils, qui ont raconté à la barre la mort d’un frère sur la route de la RTI, le neveu devenu fou, la perte d’une fille à Abobo, dont le père n’a pu participer aux obsèques parce que « j’étais traumatisé, je n’arrivais pas… Je pensais au suicide » car « quand on bombarde votre enfant avec un char de combat, c’est atroce ». Hormis les victimes, plusieurs membres du Rassemblement des républicains (RDR), le parti du pourfendeur de Laurent Gbagbo et actuel chef d’Etat Alassane Ouattara, sont venus à La Haye. Quelques experts se sont succédé à la barre, des journalistes, un représentant de Human Rights Watch et une employée de l’Onuci, la mission de l’ONU en Côte d’Ivoire. Au-delà de l’horreur décrite à la barre de la Cour, ces morts sont-elles le résultat d’une répression sanglante par les forces ivoiriennes, ou d’une « politique » ciblant délibérément les civils pro-Ouattara ? C’est l’une des questions clés de l’issue de ce procès.
Selon la thèse du procureur, Laurent Gbagbo aurait, pour rester au pouvoir, ciblé des civils ivoiriens en mettant sur pied un réseau parallèle au sein des Forces de défense et de sécurité (FDS), qui regroupent armée, gendarmerie, police et milice pro-Gbagbo. Pour tenter de le démontrer, le substitut du procureur, Eric McDonald, a appelé plusieurs officiers supérieurs à la barre, dont le chef d’état-major, Philippe Mangou, le chef de la police, Brindou M’Bia, le chef des forces terrestres, Firmin Detho Letho, celui de la gendarmerie, Edouard Kassarate et le général Guai Bi Poin, le patron du Cecos, une cellule spéciale censée, à l’origine, lutter contre le grand banditisme.
Les décideurs politiques
A plusieurs étapes de leurs dépositions, les officiers ivoiriens ont rejeté la responsabilité des décisions sur les politiques. Ceux que le procureur décrit comme le cercle rapproché de Laurent Gbagbo. Mais les deux premières années de ce procès n’en disent pas beaucoup sur leur rôle, leurs interactions, la teneur de leurs décisions, ni si les ordres donnés visaient spécifiquement à tuer les civils pro-Ouattara.
Depuis le début du procès, Laurent Gbagbo, souvent emmitouflé dans une écharpe nouée autour du cou, suit attentivement les débats, mais garde le silence tandis que ses avocats dénoncent inlassablement l’implication de la France dans sa chute. La parole est désormais à la défense. Les avocats peuvent appeler leurs propres témoins à la barre, ou décider d’en rester là et demander aux juges de rendre leur verdict. La question n’a pas encore été tranchée.
Source : rfi.fr avec afriquematin.net