Par Nazaire Kadia, (analyste politique)
L’Afrique francophone est véritablement un champ d’expérimentation de tous les modes de gouvernance sortis des officines de la France.
Au sortir de la période coloniale, il y eut l’ère des pères fondateurs, des pères de la nation, encadrés et soutenus par l’ancien colonisateur, adossés à des partis uniques et qui avaient droit de vie ou de mort sur le citoyen lambda. Ils étaient l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin.
Puis advint la période faste des hommes en treillis. C’était la période des coups d’état sanglants, et l’irruption sur la scène politique, des généraux, des colonels et même des sergents.
Mais depuis trois décennies, la tendance est de vendre à l’Afrique (francophone), une génération d’hommes politiques sortis de la sphère de la haute finance et des banques, plus précisément des institutions financières internationales. Ce sont les fameux technocrates. La méthode d’approche et d’imposition de ces hommes sur l’échiquier politique n’a guère varié. La presse française commence par présenter leurs parcours professionnels impressionnants, et leurs performances dans les institutions qui les emploient. Puis par des reportages bien orientés, on fait de ces hommes, les seuls à être et à avoir des solutions aux nombreux problèmes existentiels qui assaillent les populations.
Il s’agit d’envoyer des messages subliminaux aux populations, en majorité analphabètes pour leur faire adopter et intérioriser le fait que le nouvel arrivant est le seul à même de les sortir de la misère. Ces technocrates seraient des hommes riches comme Crésus, disposeraient d’un carnet d’adresses important, et déjeunent avec tous les grands qui régentent ce monde, avec lesquels ils sont à « tu et à moi », photos d’illustration à l’appui, pour convaincre.
Mais l’expérience vécue ici ailleurs, n’incite en réalité guère à l’optimisme quant à la capacité réelle de ces technocrates à changer le quotidien de nos peuples.
Ils sont en général déconnectés du pays, méconnaissent les populations et ignorent les réalités sociologiques du peuples qu’ils veulent diriger.
C’est en fin de carrière à l’extérieur, qu’ils se découvrent ou qu’on leur découvre des talents et des qualités d’hommes politiques et d’hommes d’Etat.
La situation qu’a vécue le Bénin est une leçon qui doit instruire.
Sorti du FMI, M. Nicéphore Soglo était l’homme qu’il fallait, quand il s’était agi de se débarrasser de M. Mathieu Kérékou. Mais la déception de la gouvernance de Soglo, fut à la dimension des espérances et des illusions qu’on a vendues aux béninois. Très peu de personnes gardent aujourd’hui un souvenir impérissable de son passage à la tête du Bénin. Sa médiocrité fit d’ailleurs revenir M. Mathieu Kérékou au pouvoir. Un autre président lui aussi sorti de la sphère de la finance et de la banque n’a non plus laissé de traces indélébiles à la tête de ce pays frère : M. Yayi Boni.
Forts de ces expériences, les béninois ont renvoyé M. Lionel Zinsou d’où il est venu, en ne lui confiant pas les rênes du Bénin.
En Côte d’Ivoire, l’actuel Chef d’Etat fut lui aussi précédé d’une réputation de technocrate de haut vol, qui allait apporter bonheur et richesse au peuple ivoirien. Mais après deux mandats, et à l’entame d’un troisième, les Ivoiriens n’ont pas connu le bonheur promis, et ne sont pas plus riches qu’ils ne l’étaient auparavant, bien au contraire…
Aujourd’hui la presse française et des groupes organisés sur les réseaux sociaux, tentent de vendre aux Ivoiriens, M.Tidjane Thiam, Directeur démissionnaire du Crédit Suisse, comme un technocrate émérite, qui peut sauver le pays. Il serait l’alternative crédible aux hommes politiques présents sur le champ politique actuel. Son curriculum vitae (très riche) est publié à souhait, comme un message suggestif que les Ivoiriens doivent intérioriser. Dans un récent reportage, France 24 affirmait déjà que l’homme est très populaire en Côte d’Ivoire.
Depuis quelques temps, ce dernier, par dose homéopathique, se prononce sur l’actualité nationale, en émettant des critiques sur la conduite de certaines affaires du pays qui laisseraient transparaître des intentions. Ses partisans sur les réseaux sociaux, s’appuyant sur ses déclarations qu’ils considèrent comme un signe annonciateur de ses ambitions, tablent sur sa virginité politique, le distinguant ainsi des autres protagonistes, pour le porter à la tête du pays.
Mais la sagesse africaine nous enseigne que si tu as été mordu par un serpent, tu te méfies du ver de terre. Alors demain nous situera.
Demain est certes un autre jour, mais demain arrive toujours, et l’ivraie sera séparée du vrai.