Par Nazaire Kadia*
Le dialogue politique maintes fois initié en Côte d’Ivoire, mais jamais achevé et conclu par un « gentlemen agreement » entre les différentes parties en vue d’aboutir à la réconciliation et surtout à des élections sans heurts, est assurément une œuvre de longue haleine. Ses « sessions » se suivent et se ressemblent, et les sujets débattus n’ont guère changé et reviennent chaque fois sur la table.
La « session » actuelle qui a démarré le 16 décembre dernier, est la troisième du genre en moins de trois ans, avec à chaque fois un Premier ministre différent.
Pour rappel, avant l’élection présidentielle d’octobre 2020, les partis politiques de l’opposition, avaient appelé le gouvernement au dialogue politique, pour débattre d’un certain nombre de sujets pouvant permettre l’organisation de l’élection, dans une atmosphère apaisée et éviter les pertes en vies humaines, devenus familières aux joutes électorales organisées depuis 2011.
Le premier dialogue politique du pouvoir Rhdp, initié début 2019 par feu le Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, dans une atmosphère pré-électorale tendue, avait duré six mois sans réellement aboutir à un accord qui satisfasse les deux parties, surtout l’opposition. Des points de convergence ont certes été trouvés, mais les divergences demeuraient sur l’essentiel. Droit dans ses bottes, le premier ministre, lors d’une rencontre, avait, en moins de cinq minutes, annoncé la clôture des discussions à la grande surprise de l’opposition.
A l’approche de l’échéance de la présidentielle de 2020, l’opposition relancera sa demande de dialogue politique, fortement soutenue par des Organisations non gouvernementales, des membres de la société civile ivoirienne et même par certains gouvernements étrangers. Pour l’opposition, il urgeait d’arriver à un minimum de consensus sur les sujets qui fâchent avant la tenue du scrutin.
A cette requête, le pouvoir Rhdp répondait par un silence méprisant ; et quand il veut donner une esquisse de réponse, c’est pour tourner l’opposition en dérision. L’on a encore en mémoire cette question : « …on me demande de dialoguer avec l’opposition…mais pour leur dire quoi ? ».
En réalité, cette fin de non-recevoir aux demandes de l’opposition, obéissait à un schéma de passage en force savamment préparé pour occulter les demandes de réforme de certaines institutions, dont la forme du moment et la « technologie » étaient nécessaires à la réussite de l’opération.
Après l’élection présidentielle avec des morts à la clé, le dialogue politique qui était impossible, devint par miracle, possible. Etant entendu que le pouvoir Rhdp pouvait désormais entamer sereinement son troisième mandat ou son premier mandat de la troisième République (c’est selon).
Fort du soutien de nombreux pays et des organisations sous régionales pour le passage en force opéré, en position de force face à une opposition en panne de stratégie, qui n’est pas allée au bout de ses actions, le Rhdp pouvait donner le change à l’extérieur qu’il était ouvert au dialogue dans un premier temps, et dans un deuxième temps, pousser l’opposition dans un dilemme cornélien.
En effet, tout refus de cette dernière d’aller au dialogue politique, ferait d’elle la partie qui ne voulait pas la paix. Or, aller au dialogue puis aux élections législatives dans les conditions de ce moment, équivaudrait à une reconnaissance de l’élection présidentielle contestée, et partant, du pouvoir qui en est issu.
A son corps défendant, l’opposition prendra part au dialogue politique, piloté par feu Hamed Bakayoko, passé entre temps, premier ministre suite à la disparition brutale de M. Gon Coulibaly.
Les sujets mis sur la table de discussion n’ont guère varié ; ce sont les mêmes qui ont été discutés sous la houlette du défunt Amadou Gon Coulibaly, avant l’élection présidentielle d’octobre 2020. Pour rappel, ce sont entre autres :
-La recomposition de la Commission Electorale Indépendante, conformément aux recommandations de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, et pour laquelle, le Chef de l’Etat avait donné des instructions au premier ministre.
-Le découpage électoral et la révision de la liste électorale.
-La libération des prisonniers politiques et militaires et le retour de tous les exilés, y compris le président Laurent Gbagbo, le ministre Charles Blé Goudé et l’ancien président de l’Assemblée nationale, M. Soro Guillaume.
Les discussions entamées n’étaient pas encore arrivées à terme, que la CEI, dont on devait discuter la recomposition, ouvrait déjà la période de dépôt de candidatures pour les élections législatives. Cette décision sonna le glas du dialogue politique. La CEI ne fut donc pas recomposée, la liste électorale, nullement revue, encore moins le découpage électoral. Rien de concret ne sortit de ce dialogue politique, sinon qu’une fois de plus, l’opposition fut prise de vitesse pour aller à des élections.
Une année plus tard, voilà que s’ouvre à nouveau le dialogue politique, avec pratiquement les mêmes acteurs, le pouvoir Rhdp et l’opposition ivoirienne dans son entièreté, mais avec un nouveau premier ministre, M. Patrick Achy et la présence au pays du président Laurent Gbagbo.
Les problèmes évoqués ci-dessus n’ont pas trouvé de solutions et reviendront certainement sur la table de discussions. Tout cela ressemble fort à un éternel recommencement, du fait de petits calculs politiciens qui ont jusque-là présidé aux actions du pouvoir.
En effet, ces sessions du dialogue politique, à relents de symphonie inachevée, ressemblent fort à des opérations de charme et de communication, destinées plutôt à l’extérieur et non pour trouver des solutions définitives aux problèmes soulevés.
Espérons seulement que pour cette fois, la praxis donnera tort à ceux qui ont encore des doutes, et que chacun mettra sincèrement du sien pour sereinement voir venir demain.
Demain est certes un autre jour, mais demain arrive toujours. Et s’il y a eu un matin en Eburnie, il y aura assurément un soir et l’ivraie sera séparée du vrai.
*Analyse politique