Jusque-là silencieux dans la guerre entre Guillaume Soro et les dirigeants du RHDP d’Alassane Ouattara, Hamed Bakayoko est passé à la contre-attaque. Objectif : stopper l’influence politique nationale et internationale de l’ex-président de l’Assemblée nationale.
C’est à Abobo, immense commune d’Abidjan, dont il est maire depuis les élections locales d’octobre 2018, qu’Hamed Bakayoko, 54 ans, a décidé de passer à la contre-offensive. Jusque-là, il s’était gardé d’attaquer frontalement Guillaume Soro, 47 ans, et ce dernier prenait, à son tour, bien soin de lui porter l’estocade. Cette sorte de paix des braves entre les deux hommes a d’ailleurs alimenté certains soupçons chez des fidèles du président Alassane Ouattara et les a portés à envisager un accord secret de non-agression entre deux hommes qui se connaissent depuis de longues années et qui ont même entretenu des relations amicales.
De fait, la stratégie du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) face à Guillaume Soro a vite évolué, alors qu’elle présentait ses limites après chaque coup porté par l’ex-président de l’Assemblée nationale.
Au départ, la tâche de la riposte avait été laissée à Ibrahim Khalil Konaté, président du conseil régional du Hambol (Nord) – un inconnu de la scène politique ivoirienne (que les médias avaient découvert lors de l’éviction de son prédécesseur Jean-Louis Billon, proche d’Henri Konan Bédié, à la tête dudit conseil -, d’organiser la riposte, alors que Soro entamait une tournée politique dans sa région, la première après sa démission en février.
Moins rompu à la stratégie politique, Konaté s’est vite mélangé les pinceaux et a dû céder la place au ministre Ally Coulibaly, natif de la région mais plus connu dans les sphères politiques à Abidjan, que dans les campements du Nord. Une campagne médiatique particulièrement ciblée menée par des activistes pro-Soro a vite réduit à néant les efforts du ministre de l’Intégration. Un échec qui a obligé le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly à monter lui-même au créneau, invitant Soro à mettre un terme à ses « injonctions ». Sans plus de résultats.
« Alors que Soro multipliait les attaques depuis Rabat, dans le pays du roi Mohammed VI, un ami commun aux deux hommes, et qu’Amadou Soumahoro, le nouveau président de l’Assemblée nationale, peinait à convaincre l’opinion dans la guerre de l’Assemblée parlementaire francophone (APF), Bakayoko ne pouvait plus rester silencieux, au risque de passer pour être de connivence avec l’ennemi », explique l’analyste politique Innocent Gnelbin. « Tu es le plus petit, tu n’es pas plus fort que le plus grand. Tu n’as plus de légitimité et tu veux le dépasser. Quand tu fais ça, tu veux désorganiser la famille. Tu as été ministre et président d’institution et tu dis que tu es frustré. Et ceux qui n’ont rien, ceux qui ont perdu leurs parents ? », a attaqué Bakayoko, depuis son fief électoral d’Abobo. Objectif : se dresser en rempart filial, dans une guerre de générations entre le « père » et le « fils».
Le choix d’Abobo n’est pas non plus fortuit. En se décidant enfin d’entrer dans le conflit, Bakayoko vise une cible que courtise Soro depuis de longs mois : les jeunes. De fait, dans la course à l’électorat jeune, Soro a pris de l’avance sur tous ses potentiels adversaires et partenaires. Avec ses presque 2 millions de fans sur Facebook, il multiplie les vidéos prisées par un public jeune sur les réseaux sociaux.
Mais au-delà de l’enjeu politique du contrôle du Nord et virtuel à l’endroit des internautes, se cache l’enjeu le plus crucial : les finances. C’est ici qu’intervient Le Patriote, journal fondé par Bakayoko, qui a barré à sa grande « Une », la semaine dernière : « En connexion avec Moustapha Chafi et des groupes djihadistes : Soro prépare un mauvais coup contre la Côte d’Ivoire ».
L’objectif du journal, connu davantage pour ses combats politiques controversés que pour ses prouesses professionnelles, est moins de faire peur à Soro – il en faut sans doute plus que ça, pour un homme qui a dirigé une rébellion sanglante -, en vue de le contraindre à ne plus retourner à Abidjan (une stratégie qui a marché avec l’ex-maire du Plateau, Noël Akossi Bendjo), que d’envoyer un signal à Chafi, un homme d’affaires et/ou diplomate mauritanien, ainsi qu’aux chefs d’État africains chez qui il a ses entrées.
En effet, Chafi est bien connu du palais présidentiel ivoirien et Ouattara, plus que quiconque, sait sans doute ce dont il est capable en matière de mobilisation de fonds, pour une campagne politique qui nécessitera d’énormes moyens financiers.
L’argent, c’est connu, est le nerf principal de la guerre. Cependant, un seul article pourra-t-il suffire à décourager Soro et ses « connexions » extérieures et les contraindre à mettre un terme à leur entreprise de mobilisation de fonds pour la campagne électorale de la présidentielle d’octobre 2020 ? Rien n’est moins sûr.
Source : jeune Afrique