Probablement la deuxième semaine du mois de Novembre, Daniel Kablan Duncan deviendra le premier vice-président de la Côte d’Ivoire ; il sera remplacé à son poste par Amadou Gon Coulibaly et Thierry Tanoh occupera le poste de secrétaire général de la présidence.
En 2020, Duncan, du PDCI, adoubé par Bédié, sera le candidat de l’alternance sur le même ticket que Gon, qui deviendra l’homme fort du régime (probablement plus que son patron). Ici la justification de la suppression de la limite d’âge. Ce scénario donne une visibilité de 10 à 15 ans au régime RHDP à moins que.
La logique ADO
Cette analyse m’amène à trouver une logique à la logique de la politique du président Ouattara stabilité et paix pour dérouler son programme de développement économique sur un temps assez long comme l’avait fait le président Houphouët-Boigny.
Méthode que je résume en : Houphouëtisme modernisé et actualisé aux réalités d’aujourd’hui.
C’est quoi l’Houphouetisme ? Je le décline en 2 mouvements concomitants et complémentaires :
Délimitation de son territoire de 1959 aux années 1966
Politique de la carotte et du bâton avec la distribution des « arachides » aux grilleurs et le harcèlement des insoumis et des insatisfaits tout le long de son pouvoir
1er mouvement :
Création d’un grand mouvement de rassemblement autour du PDCI-RDA avec l’appel du 6/10/1951 au stade Géo André
De 1959 à 1963, signal fort à tous les opposants et partisans qui affichent des signes d’indépendance et donc constitue une potentielle menace ; arrestations et incarcérations massives. Les grosses têtes tombent les unes après les autres (Fetigué Coulibaly, Biaka Boda, JB. Mockey, Dr Koné Mamadou, Gris Camille, Alloh Jerome, etc) ; au total 96 personnes sont arrêtées uniquement en 1963 après les premières vagues de 1959 à 1961. Résultat : silence radio.
Après la tempête, le calme : libération de tous les prisonniers en 1967 ; le message est bien saisi aussi bien par les partisans que les opposants, c’était l’objectif de toute la tempête.
2ème mouvement
Promotion à des postes de responsabilité de tous les jeunes cadres dans l’administration publique et para-publique avec la création de plusieurs Etablissements Publics Nationaux (EPN) et de très nombreuses Sociétés d’État dans les secteurs économiques.
Multiplication de la participation de l’État dans les entreprises privées, ce qui donne un levier à l’État pour la promotion des barons du pouvoir sous la couverture d’Ivoirisation des postes (ex : Joseph Aka Angui DG de Blohorn, Abou Doumbia à la SIB, Richmond à la BICICI, Yadé Coulibaly à la SGBCI etc ). Cette politique permet de trouver un point de chute à tous les cadres ; (il faut néanmoins souligner que la plupart avait le profil du poste).
Le bonus est qu’il n’y a pas de contrôle dans le secteur public et para-public; s’en suit un laisser-aller. Cependant gare à quiconque ose élever un brin de critique. Un audit immédiat et intéressé le ramera gentiment à l’ordre. Trop zélé ou trop ambitieux, le couperet tombe. Lamine Fadiga et Emmanuel Dioulo en savent quelque chose.
Avec ce mélange de la grillade d’arachide et du harcèlement, Houphouët a régné 33 ans (en réalité un peu plus) et a pu réaliser grâce à cette paix et la stabilité qu’elle a engendrée la Côte d’Ivoire qu’il nous a légué à sa mort : première place économique de l’espace Francophone et même de toute l’Afrique de l’Ouest, mais aussi une société divisée, incapable de trouver le levier approprié pour résoudre les antagonismes ; le résultat : une instabilité politique débouchant sur guerre civile.
L’Allassanisme, vise le même but : stabilité et paix dans la durée.
A chaque époque sa méthode ; ADO, le premier ministre technocrate sait le prix qu’il a payé pour s’être attaqué à la méthode Houphouët. Revenu au pouvoir, il choisit sa voie : ménager ceux qui peuvent créer un obstacle à sa vision ; manœuvre en 2 mouvements (comme Houphouët).
D’un :
Création d’une force politique : le RHDP, parti unifié servira à cette fin (le parti unique, c’est caduc) ; quand 2 des trois centres géopolitiques se mettent ensemble en Côte d’Ivoire, ils sont sûrs de rester longtemps au pouvoir.
Neutralisation des opposants (ceux dont la gouvernance a ruiné le pays : Gbagbo à la Haye, les autres sous étroite surveillance); ils ne peuvent mobiliser une population encore sous le choc de leur gestion politique; leur incompétence notoire et leur immaturité politique a facilité la fragilisation de leurs partis politiques avec des fractures internes encouragées, si elles ne sont pas commanditées.
De deux :
Organiser un laisser faire balisé ; ancien de la BCEAO et du FMI, ADO connaît et maîtrise les arènes des finances internationales : pas de structures étatiques budgétivores et inefficaces, mise en place de procédures internes rendant difficiles de puiser directement dans les caisses de l’État ou de faire des sur-facturations aberrantes, ce qui rassure les partenaires au développement. Celui qui veut participer à la grillade d’arachide doit se bâtir un champ : les société écran servent de moyen. L’usage des marchés de gré à gré, les pots de vin pour accéder au marché public, les ristournes, etc ; c’est la nouvelle méthode. Tout le pouvoir est aux affaires.
Rôle de la nouvelle constitution
Pour que la méthode tienne, il faut d’une part assurer la continuité du système (la présidence à vie n’est plus à la mode) et d’autre part trouver les moyens de satisfaire beaucoup de monde. La solution :
Création d’un poste de « prince héritier » ; la vice-présidence vise d’abord et avant tout à assurer la stabilité en piégeant les trop ambitieux Multiplication des institutions avec en clé des postes à pourvoir avec la création d’un sénat qui comprendra des sénateurs et des haut-fonctionnaires aux postes administratifs.
La plus grande critique de la nouvelle constitution sont les charges générées par ces nombreuses institutions. J’imagine les charges du sénat et de la vice-présidence entre 10 et 15 milliards par an (c’est juste mon estimation, non basée sur aucun élément). En 5 ans, il coûtera aux contribuables entre 50 et 75 milliards de nos francs.
Je pense que pour ADO qui a fait toute sa carrière à des postes où il a eu recourt aux indicateurs macro-économiques, le calcul est simple : le Plan National de Développement 2015 – 2020 prévoit 30 mille milliards d’investissement (dont 40 % par l’État). Que valent 75 milliards (soit 0.625 % sur la base 12 000 milliards d’investissement de l’État) si cela lui permet de se payer la paix et la stabilité !
C’est le propre de ceux qui regardent par le haut et par les chiffres. Nous pouvons vociférer, crier, il avancera, sauf cas d’imprévu.
C’est ma lecture, ce n’est pas ma vision. A chacun d’en faire la sienne.
Abahebou Kamagate
Ingénieur à la retraite
Analyste socio-politique