Le 23 octobre 2019, au bord de la mer Noire, dans la ville russe de Sotchi, Vladimir Poutine se retrouvait face à un parterre de dirigeants africains. Cette grand-messe était le premier sommet Russie-Afrique. L’occasion pour le président russe de vanter les relations historiques que son pays entretient avec plusieurs États africains.
Depuis cette rencontre, copiée sur le modèle des sommets Afrique-France, Chine-Afrique, Japon-Afrique, États-Unis-Afrique, ou encore Turquie-Afrique, les experts en géopolitique ont commenté à de nombreuses reprises ce qu’ils nomment désormais « le grand retour de la Russie en Afrique ».
Dans les années 1960-1970, en pleine période de guerre froide, l’Union soviétique était l’une des plus grandes puissances d’influence en Afrique. Une partie de l’élite du continent, qui évolue aujourd’hui dans les sphères du pouvoir, a d’ailleurs été formée en ex-URSS. Le Mali, qui adopta un régime socialiste au lendemain de son indépendance, symbolise bien cette emprise d’antan.
À la suite de l’éclatement de l’URSS, l’influence russe s’est considérablement réduite, mais depuis une dizaine d’années, Vladimir Poutine a de nouveau le regard tourné vers le continent. Le double objectif est de reconquérir ses anciennes zones d’influence et aller bousculer d’autres puissances mondiales-notamment la France-dans leur pré carré africain.
Le cas centrafricain
Pour évoquer le grand retour de la Russie sur le continent, les experts prennent surtout l’exemple de la Centrafrique. Il y a encore six ans, qui aurait imaginé des forces spéciales russes débarquer à Bangui pour assurer la garde rapprochée du président centrafricain? Ce pays d’Afrique centrale, qui fut longtemps chasse gardée de la France, s’est retrouvée sous la coupole du Kremlin en un temps record. En 2013, sous la présidence de François Hollande, l’Hexagone était pourtant intervenu dans le pays, au moment où les combats faisaient rage entre les groupes rebelles Seleka et les anti-balaka après le renversement de l’ ex-président François Bozizé.
La présence du groupe mercenaire Wagner en RCA
Au même moment, le pays africain est soumis à un embargo de l’ONU sur les armes qui réduit la capacité du gouvernement à équiper ses soldats, c’est dans ce contexte que les négociations avec les Russes aboutissent au déploiement, dès 2016, de paramilitaires pour épauler les forces centrafricaines dans la guerre contre les groupes armés. Cette présence de mercenaires russes dans ce pays restera pendant plusieurs mois dissimulés. Ni le gouvernement centrafricain, ni la Russie ne communiquera sur le sujet et il faudra attendre 2018 pour voir les deux pays signer officiellement un accord de coopération militaire. Quelques centaines de soldats russes seraient alors déployés en Centrafrique –le gouvernement de Poutine a toujours clamé qu’il ne s’agissait que de simples instructeurs et non de troupes combattantes.
Quant aux paramilitaires russes, le Kremlin jure n’avoir aucun lien avec eux. Selon plusieurs spécialistes, il n’y a aucun doute que le groupe – Wagner, c’est la Russie. Et le financier de l’organisation, un certain Evgueni Prigojine, se trouve être un proche de Vladimir Poutine.
En Centrafrique, les experts de l’ONU désignent Valery Zakharov comme étant le commandant en chef de ces paramilitaires. L’homme est aussi le conseiller à la sécurité du président centrafricain Faustin-Archange Touadéra. Dans une autre vie, Valery Zakharov a été membre du service intérieur de sécurité russe, le FSB, que Vladimir Poutine a dirigé sous le mandat de Boris Eltsine.
La haine anti-française nourrie par la Russie?
Cette arrivée des Russes dans la garde rapprochée du président centrafricain a signé de facto la fin de la relation exclusive que la France entretenait avec la Centrafrique depuis son indépendance en 1958, suscitant des tensions diplomatiques inédites entre Paris et Bangui.
Déboussolée par la montée en puissance de la Russie en Centrafrique, la France a tenté de montrer les muscles en annonçant suspendre, au mois de juin, sa coopération militaire avec le pays africain et geler l’aide budgétaire au gouvernement du président Touadéra, qu’Emmanuel Macron a qualifié d’«otage des mercenaires» qui cautionnerait la campagne anti-française orchestrée par les Russes.
Une bataille d’influence sur les réseaux sociaux
Au-delà de la Centrafrique, c’est dans toute l’Afrique francophone que la Russie, via ses différents réseaux, compte défier la France, se présentant comme celui qui aide et ne juge pas, versus la puissance coloniale et impérialiste.
Au mois de décembre 2020, la guerre d’influence a été exposée au grand jour et de désinformation qui se jouait en ligne entre Paris et Moscou. Des révélations faisaient état de la suspension de centaines de faux comptes pilotés depuis la Russie et la France. Les comptes pro-Russes dénigraient l’action de la France en Afrique, tandis que les pro-Français louaient la réussite de l’opération Barkhane dans le Sahel. Ces campagnes anti-françaises en ligne sont-elles commandées directement par le gouvernement russe ?
Le Sahel, nouveau terrain de chasse de la Russie
Intérêt financier ou stratégie géopolitique du pouvoir russe ? En tout cas, après la conquête de la Centrafrique, les entrepreneurs d’influence de la Russie ont mis le cap sur les pays du Sahel, s’appuyant sur des acteurs locaux nostalgiques de l’URSS et admirateurs de Vladimir Poutine.
Au moment où la France réorganise l’opération Barkhane et réduit ses troupes, notamment au Mali, en remettant les clés de quelques-unes de ses bases aux forces locales, les partisans d’une intervention russe jubilent et clament que « l’heure de la Russie au Mali et au Sahel a sonné ». Au cri de « France dégage et vive la Russie » lors de meetings dans la capitale malienne, les partisans de «la plateforme intervention Russie » sont convaincus que le pays est une grande puissance militaire, supérieure à la France, et qu’elle saura vaincre les djihadistes en un temps record, là où l’Hexagone a échoué.
Et de nombreux experts en sécurité mettent en garde qu’il serait naïf de croire que la Russie pourrait sauver le Sahel.
À défaut d’une intervention officielle et directe, c’est ce modèle d’intervention que le Kremlin semble vouloir mettre en place au Mali. Depuis septembre 2021, le bruit court que la junte au pouvoir et le groupe Wagner sont en discussion pour le déploiement de mercenaires russes. Tout en reconnaissant que des prises de contact ont eu lieu, le gouvernement malien assure que rien n’a encore été acté. Mais le sujet est pris très au sérieux par Paris qui a menacé à plusieurs reprises de se retirer du Mali si l’accord venait à être signé.
Pas de quoi faire reculer Wagner. Au contraire. Selon plusieurs sources, la société mobilise tous les réseaux possibles pour faire aboutir la signature d’un accord avec les autorités maliennes de transition. Hasard des choses ou calcul, le ministre de la Défense, le colonel Sadio Camara, considéré comme le véritable homme fort du pouvoir militaire au Mali, est rentré de Russie, où il était en formation, peu de temps avant le coup d’État d’août 2020.
Le Premier ministre de transition, Choguel Kokalla Maïga, est tout aussi russophile et russophone, il fut élève dans les années 1980 de l’Institut de télécommunications de Moscou. Deux poids de la galaxie pro-russe qui donnent un atout de taille à Wagner pour négocier son implantation au Mali.
Source : slate.fr