Par Nazaire Kadia (analyste politique)
Depuis quelques temps, l’actualité ivoirienne bruit avec une éventuelle nouvelle modification de la constitution, depuis qu’un honorable député en a donné la teneur.
De nombreux ivoiriens sont en extase, parce qu’il serait question de remettre en place l’âge limite pour être candidat à l’élection présidentielle. Cette disposition pour eux, signe l’heure de la retraite pour messieurs Bédié, Ouattara et Gbagbo, mais également le passage de flambeau à une nouvelle génération. Certains y voient une décision révolutionnaire et saluent la clairvoyance du chef de l’Etat d’y avoir pensé.
Ces réactions laissent perplexes, mais bien plus sont désespérantes. Non pas relativement à la disposition qu’on veut introduire dans la constitution, mais de constater que ces ivoiriens aient la mémoire si courte !
Amnésie ? Mauvaise foi ? Ignorance ou incurie ?
Qu’y a-t-il de nouveau par rapport à cette disposition ? Pourquoi agir comme si on venait de découvrir le Saint Graal ?
La disposition relative à l’âge limite de candidature à l’élection présidentielle, ainsi que le nombre de mandats qu’un président est autorisé à faire, étaient déjà contenus dans la constitution la plus consensuelle que la Côte d’Ivoire n’ait jamais eue : celle de 2000.
Pour rappel.
Après le coup d’état de décembre 1999, la junte militaire, sous la houlette du général Guéi Robert et du Comité National de Salut Public (CNSP), avaient dissout le gouvernement, abrogé la constitution et suspendu toutes les autres institutions. En janvier 2000, le Cnsp annonce l’organisation d’un référendum constitutionnel. Pour ce faire, une commission consultative et électorale avait été mise en place, à l’effet de proposer au gouvernement un avant-projet de constitution. Ce qui fut fait. On se rappelle la tournée générale du Général Guéi à travers le pays, pour recueillir l’avis des ivoirien sur cette nouvelle constitution, la troisième du genre depuis 1959. Ce fut le fameux débat du « et » et du « ou ». Après cette large consultation, le projet de constitution fut soumis à référendum le dimanche 23 juillet 2000. Le « oui » l’emporta largement et la nouvelle constitution fut promulguée le 1er août 2000.
En 2011, lorsque le RDR (devenu RHDP) parvient au pouvoir, la constitution de 2000 fut jugée obsolète, « confligène », responsable des crises en Côte d’Ivoire et incompatible avec le projet « d’émergence » du pays.
Ainsi en mars 2015, le chef de l’Etat annonça une révision générale de la constitution après les élections d’octobre 2015.
En juillet 2016, un comité d’experts présidé par le professeur Ouraga Obou, fut mis en place afin de rédiger le projet de la nouvelle constitution. Ce qui fut fait. Au pas de course, le projet définitif fut adopté par le gouvernement et l’Assemblé nationale en octobre 2016.
Sans explication à la population, sans lui laisser le temps de lire, de comprendre et de s’approprier le projet de la nouvelle constitution, la population fut appelée au référendum. Le texte a été adopté et promulgué le 8 novembre 2016.
La nouvelle constitution comporte plusieurs changements par rapport à celle de 2000. Entre autres :
– L’âge limite de candidature à la présidentielle disparait
– L’âge minimum est abaissé à 35 ans
– Un poste de vice-président est créé ainsi qu’une deuxième chambre du parlement : le Sénat
– Etc.
En mars 2020, en pleine pandémie du covid19, où était interdit le rassemblement de plus de 50 personnes, plus de 300 députés et sénateurs se sont réunis pour charcuter et amender la constitution.
A la vérité, aucun ivoirien n’est en conflit avec la limitation de l’âge de candidature à l’élection présidentielle.
– Pourquoi a-t-on fait sauter cette disposition en 2016 ?
– Pourquoi veut-on la remettre en place maintenant ?
Voilà les questions qu’il faut poser aux tenants du pouvoir. Car c’est « à celui qui a mangé la tête de la panthère qu’il faut réclamer les dents ».
Certes on peut penser que l’ancienne-nouvelle disposition permettra à une nouvelle génération de parvenir au pouvoir, mais rien ne changera aux crises, si les lois, les ordonnances, les institutions et le découpage électoral sont taillés sur mesure permettant à un parti d’avoir une longueur d’avance sur les autres et restent en l’état.
La constitution ne doit pas être un jouet aux mains des tenants du pouvoir, jouet qu’ils peuvent manipuler au gré de leurs humeurs ou de leurs intérêts, à l’effet de préserver une position ou de régler des comptes. Cela est indécent, désespérant et inacceptable.
Mais s’il y a eu un soir en Eburnie, il y aura assurément un matin et l’ivraie sera séparée du vrai.