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Un an après le départ de Blaise Compaoré/ Carell Bohoui-baclaud: ‘’ Rien a changé au Burkina, parce que, en réalité, il n’y a pas eu de révolution ‘’

Par Annick Kouakou – Afrique Matin.Net

Un an après le départ de Blaise Compaoré du pouvoir, pour Carell Bohoui-baclaud, Expert en stratégies politique et sociales, Spécialiste de l’Afrique.‘’ Rien a changé au Burkina, parce que, en réalité, il n’y a pas eu de révolution ‘’. Décryptage!

1 ans après le départ de Compaoré et la ‘’révolution Burkinabé’’, quel bilan peut-on faire de la gouvernance de Roch Christian Kaboré ?

Le Burkina sort d’une période de turbulence qu’il  n’avait pas connu depuis bien longtemps. Il est heureux que le pays retrouve progressivement la normalité.

Cela dit, rien n’a fondamentalement évolué et beaucoup de burkinabés partagent cette opinion. C’était prévisible. Nous ne sommes point surpris.

Pourquoi ?

Pour vous édifier, nous allons vous livrer deux petites anecdotes. Au moment de la transition avant la tentative de coup d’Etat, à un ami en Côte d’Ivoire, lui-aussi ami d’un parent proche de Christian Kaboré, nous lui avons conseillé pour le chahuter de bien tenir son amitié avec ce dernier. Parce que Roch serait le futur président du Burkina Faso. Bien plus tard, au moment de la campagne électorale, à un ami Burkinabé résidant sur place et engagé dans la campagne aux côté d’un candidat, sollicitant notre pronostique, nous avons répondu selon les informations en notre possession que l’heureux bénéficiaire serait Rock Marc Kaboré. Cet ami n’y avait pas cru au départ avant de nous féliciter aux lendemains des élections. Mais ce n’était pas du charlatanisme. Tous les observateurs avertis et bien renseignés n’ignoraient pas que la venue de Roch avait été envisagée depuis l’accession de Hollande à la présidence française. Période pendant laquelle le parti de blaise Compaoré a connu une grande saignée au profit de Roch. Plusieurs indices l’indiquaient déjà. D’abord à partir de certaines fuites d’informations, puis en raison de leur grande amitié au désavantage de Blaise usé par le pouvoir et trop étroitement lié aux caciques de la droite française. A Nicolas Sarkozy, particulièrement. Seuls la question des moyens et le moment d’opérer le changement en ‘’douceur’’ se posaient. Blaise leur en a fourni le prétexte dans sa volonté de se maintenir au pouvoir.

Nous avons pourtant assisté à une grande révolution conduite par le peuple burkinabé, rejoint plus tard par l’armée. Une révolte ayant entrainé le départ de Blaise puis  la disparition de sa milice, le RSP, et qui laissait présager des changements notables dans la société Burkinabé ?

Ça, c’est la partie visible de l’Iceberg. Une révolte peut conduire à une révolution, mais une révolte n’est pas une révolution. C’est de la justement que vient l’erreur d’appréciation qui a fait naître l’illusion de grands bouleversements futurs. le peuple burkinabé et l’armée été davantage des acteurs d’un changement partiel manipulé de l’extérieur comme c’est bien souvent le cas dans les pays africains et ailleurs dans les Etats sous domination. Au pays des Hommes intègres, le système est demeuré le même. Il y’a juste eu un changement à sa tête parce qu’il était question de changer la tête du système. Pas le système.

S’agissant de la partie visible de ce pan de l’histoire du pays, nous avons  plutôt assisté à une réaction du peuple principalement contre le maintien de Blaise Compaoré. Le système n’était donc pas la véritable cible du mécontentement populaire auquel nous avons pu assister.

L’on ne peut donc pas assimiler ce qui s’est passé au pays des hommes intègres à une révolution?

Pour mieux saisir nos propos, il est d’abord bon de faire la différence entre une révolution et une réaction. Une révolution est un profond bouleversement, une profonde rupture, un passage d’un ordre ancien  à un nouvel ordre. Dans ce sens, elle implique un changement de fond. Alors qu’une réaction est un mouvement spontané face à une contingence précise ou factuelle. La réaction touche plutôt à la forme. Pas au fond. Les changements qui en découlent sont par conséquence superficiels.

Il est aussi utile de signaler au passage qu’une révolution n’est pas forcement violente. Elle  peut être pacifique.

Dans le cas Burkinabé, pour être plus pratique, le soulèvement populaire ne visait pas le système Compaoré dans ses fondements dont la majorité des burkinabés s’accommodait bien depuis près de 3 décennies. C’était un gage de stabilité pour le pays qui sortait d’une longue période d’instabilité marquée par une série de  coup d’Etat depuis les indépendances. La révolte visait d’avantage les réformes constitutionnelles dont notamment l’institution d’un sénat et l’aménagement des dispositions de la constitution devant permettre à l’ex président de rempiler pour un autre mandat. Alors qu’il n’y avait plus droit selon la précédente constitution. Ceci pour dire  que le système en place ne dérangeait pas véritablement la majorité des burkinabé. Ce sont  plutôt les dernières modifications voulues à son avantage par l’ex président pour se maintenir une énième fois au pouvoir.  Dans l’hypothèse où ce dernier avait respecté sa constitution, s’était retiré en organisant un simulacre d’élections mettant en scelle un de ses poulains, il est fort à parier que l’issue aurait été toute autre. Probablement quelques protestations comme c’est de coutume en Afrique, et rien plus.

Au Burkina, nous avons donc eu droit à une révolte contre Blaise. Une réaction ayant contribué à modifié la composition du régime (avec le retour au premier plan d’anciens-nouveaux acteurs du système Compaoré). Pas le fond du système. Pour tout dire, le pouvoir a juste changé de mains entre individus d’un même sérail.

Qu’entendez-vous par ‘’ les burkinabés et l’armée n’ont été  davantage que les acteurs d’un changement manipulé de l’extérieur’’ ?

Il faut dire que la lassitude de la personne Blaise Compaoré  au pouvoir depuis 1987 et certains de ses proches avait véritablement gagné une grande partie des Burkinabés. Et comme nous l’avons fait remarquer plus haut, les nouveaux locataires de l’Elysée n’étaient pas favorables à ce dernier trop marqué par ses amitiés avec la droite française et ses liens personnels avec Nicholas Sarkozy. Il s’agissait pour le parti socialiste français de changer la tête du système, pas le système largement favorable aux intérêts français. Et pour la majorité des burkinabé, de se débarrasser de Blaise Compaoré. Les conditions de la Chute de Blaise étaient réunies tant de l’intérieur que de l’extérieur. Les objectifs immédiats des uns et des autres étaient pour ainsi dire en réalité les mêmes. D’où la forte implication de la France et son allié américain, au moment du soulèvement populaire, à travers leurs ambassadeurs sur place dans la stratégie d’isolement du régime Blaise au plan international et l’échec du coup d’état menés par ses fidèles après sa chute. Il faut aussi révéler l’implication de l’ONG Oxfam International dans le financement de l’action de certaines organisations civiles ayant mené la révolte sur le terrain. Il est utile de savoir que cette Organisation, sous le couvert d’une Organisation non gouvernementale, est un bras séculier du MI 6, les services secrets anglais. Elle prête invariablement  (à travers ses démembrements en Afrique) ses services à la CIA ou à la DGSE française  pour les besoins de la cause des alliés. Pour information, Cette ONG fut le principal financier du Mouvement Sénégalais ‘’Y’en a marre’’  dans le processus de  la chute de Abdoulaye Wade dont Hollande et une grande partie du peuple sénégalais ne voulaient plus.

Il faut aussi savoir que c’est le même coup que les Etats-Unis entendait rééditer en RDC sous le couvert d’un démembrement de cette ONG, en finançant  le balai citoyen Burkinabé et Y’en a marre du Sénégal, afin d’instruire  la jeunesse congolaise dans l’objectif du départ de Kabila dont ils ne veulent plus. Tout un chacun se souvient que cette option a tourné au fiasco avec l’arrestation de certains  membres de ces deux organisations en RDC.

Le peuple Burkinabé est-t-il donc sorti perdant de cette révolte contre l’ex président puisqu’il a été instrumentalisé ?

Instrumentalisé ? Certaines organisations civiles sur le terrain probablement. Mais le peuple Burkinabé, nous ne le pensons pas. Puisqu’il avait des raisons propres qui ne lui ont pas été dictées de l’extérieur. Manipulé à son insu ? Peut-être, parce que son action a été récupérée par le pouvoir français afin de favoriser l’accès à la présidence de l’homme de son choix. Perdant ? Pas vraiment puisqu’il aura donné un signal fort de sa capacité de réaction lorsqu’il n’est pas d’accord. Tous les régimes qui se succéderont, sont désormais avertis. Cependant, le grand gagnant de ce changement à la tête du régime est à n’en point douter l’Etat Français. En récupérant le soulèvement du peuple burkinabè contre Blaise Compaoré, il a réussi à sauver son système menacé d’effondrement par l’entêtement de celui-ci  à se maintenir à tout prix au pouvoir contre la volonté populaire.

Cela dit, le peuple Burkinabé a des raisons d’être fier de sa réaction. N’oublions pas qu’une série de réactions est le prélude à une véritable révolution, un profond bouleversement.

La grande intensité de cette révolte contre Compaoré et contre le RSP après sa chute, est la suite logique des frustrations accumulées depuis près de 3 décennies  symbolisées par une série de réactions moins importantes menées par le passé. Réactions ayant gagné en intensité au fil du temps pour donner les différentes révoltes auxquelles nous avons pu assister. Si une réaction est spontanée et vise des objectifs sectaires pour aboutir à des résultats partiels, la révolution est l’aboutissement d’un processus global. Elle vise des objectifs plus larges et concerne les principaux fondements d’un système. Comme, nous le voyons, une réaction devient révolution que lorsqu’elle bouleverse profondément l’ordre ancien pour aboutir à un nouvel ordre. Profondément différent de l’ancien.

Quel avenir pour le Burkina après le départ de Blaise et près d’an de gouvernance de Roch Christian Kaboré ?

Nous pensons qu’il n’y aura rien de nouveau sous le soleil. Ce ne sont pas de nouveaux hommes qui sont à la tête du pays, ni un nouveau système qu’ils inaugurent. Mais bien des ex fidèles de Blaise en rupture de Ban avec leur ex mentor pour le passage du pouvoir. Le système continuera avec quelques aménagements afin de ménager les susceptibilités du peuple burkinabé longtemps sous-estimé. C’est tout.

 Cependant, nous estimons que c’est déjà une bataille  de gagné pour ce peuple contre ses gouvernants.

Sinon, au niveau de la justice par exemple, il serait surprenant que les actions engagées accouchent de résultats significatifs concernant les sujets brulants. Notamment les poursuites contre Blaise initiées par la transition et qui tiennent au cœur d’une grande majorité de Burkinabés. Pour la simple raison qu’elles pourraient mettre en grande difficulté les principaux animateurs du pouvoir actuel. Des ex fidèles du président déchu qui sont loin d’être blancs comme neige dans plusieurs affaires qui lui sont reprochées. Le système de prédation et d’exploitation des masses demeurera en l’Etat. Il appartient au burkinabé de veiller au grain afin que son sacrifice ne soit pas totalement vain. Cela dit, notre grande inquiétude pour l’avenir se situe principalement au niveau sécuritaire. Nous pensons que c’est le talon d’Achille du pays sur lequel doit être mis l’accent afin de favoriser la reprise économique fortement dépendante des investissements étrangers. Nous ne cessons de le répéter chaque fois que l’occasion nous est donnée.

Quels dangers menacent le pays ?

Les menaces peuvent être situées à trois niveaux. Les terroristes islamistes, les tentatives de déstabilisation de l’intérieur comme de l’extérieur et les Kowlehogos, ces milices de chasseurs traditionnels.

La menace djihadiste n’est pas encore écartée dans le pays  qui fut sous Blaise Compaoré un de leur sanctuaire de repli, de blanchiment d’argent et de trafic d’armes. Plusieurs de leurs meneurs comme Hyad Ag Galy le chef de Ansar dine, y possèdent des investissements et certainement quelques appuis discrets. De surcroit, le pays regorge au travers des milliers de ‘’garibous’’ ( enfants issus des écoles coraniques incontrôlées et livrés à la mendicité dans les rues des principales villes du pays, Ouaga, Bobodioulasso et autres), un fort vivier  susceptible de favoriser à moyen ou à long terme l’implantation du terrorisme sur le territoire burkinabé.

D’un autre côté, nous pensons que les déstabilisateurs du pouvoir de l’après blaise ne renonceront pas à leurs projets si leurs intérêts, surtout financiers, sont gravement menacés

Enfin, les kolewoghos. Ces milices de chasseurs traditionnels, à l’observation suivent sensiblement la même trajectoire que les Kamajors en sierra Leone et les Dozo en Côte d’Ivoire avec les résultats que l’on connait aujourd’hui dans ces pays. En Côte d’Ivoire par exemple, les Dozo sont Intervenus dans un premier temps individuellement puis par petits groupes dans la sécurité des particuliers, de magasins, puis de certains sous quartiers sous les ovations des populations. Par la suite, ils ont fini par se transformer au fil des ans en une véritable milice à la solde du PDCI, parti au pouvoir d’alors. Ils ont ensuite été récupérés par le  RDR, des transfuges de l’ex parti au pouvoir en raison de leurs affinités ethniques ou régionales avec les principaux dirigeants de cette formation.  Ce processus a pris moins de  10 ans.

Au Burkina, il est à craindre que le pouvoir en place ou d’autres individus quêtant le pouvoir d’Etat, en fasse des milices à leur solde en des temps de tensions politiques. Ces groupes de chasseurs traditionnels ayant prêtés main forte aux autorités depuis la transition aux heures chaudes qu’a connues le pays, se sont désormais convertis en groupe informels de sécurité. Ce phénomène, est  une grave menace pour le futur du pays. Ces groupes constituent des milices potentielles, des forces parallèles qui tôt ou tard échapperont au contrôle de l’Etat pour être au service des ambitions de certains individus ou groupe d’individus dans le champ politique. Il y’a un adage africain qui dit que ‘’quand la case de ton voisin brule, verse de l’eau sur la tienne’’. Deux pays avertis en valent un autre.

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