Par VOUZO ZABA, Afriquematin.net
Le jeudi 22 novembre 2018, la dédicace de l’ouvrage La Côte d’Ivoire et la mer du Professer titulaire de géographie, Jean Tapé Bidi, a été l’occasion choisie par l’amiral Mohamed-Lamine Fadika, ancien ministre de la marine et ex
collaborateur du président Félix Houphouët Boigny, pour livrer un pan méconnu de l’histoire maritime de la Côte d’Ivoire au grand public. Des actions initiées par l’administration coloniale à la disparition de la flotte nationale
Ivoirienne en 1991 en passant par la résistance des Etats africains lors du choc pétrolier de 1973, tout ou presque a été dit par l’éminence grise en la matière du père Fondateur de la Côte d’Ivoire.
Nous vous proposons ci-dessous le verbatim de l’allocution de l’éminence grise en la matière du président Félix Houphouët Boigny ,fondateur de la Côte d’Ivoire moderne.
« Eminent Professeur et Maître, Jean Tapé Bidi, Si nous sommes tous là aujourd’hui, autour de vous, c’est pour vous rendre un hommage et saluer la naissance de votre « Beau Bébé », « La Côte d’Ivoire et la Mer », dont l’avènement est consacré par cette belle cérémonie de Dédicace. Ce remarquable Ouvrage est d’abord un livre de géographie, qui invite à la découverte des merveilles touristiques du littoral et des fruits du dynamisme foisonnant des villes côtières, animé par le Melting-pot ivoirien. Cet ouvrage vous situe d’emblée dans la lignée des Grands Professeurs de Géographie, comme James BIRD en Grande Bretagne, René POLLIER et André VIGARIE à l’Université de Nantes, qui ont écrit sur le rôle structurant des Mers, des Ports et des cours d’eau intérieurs sur l’économie de nos zones cotières. C’est aussi un livre d’Histoire qui nous retrace les actions initiées par l’Administration coloniale, pour ouvrir l’ancienne colonie sur l’extérieur, par une liaison maritime permanente, en vue d’approvisionner la Métropole d’alors en produits tropicaux. Ce livre d’Histoire offre enfin une rétrospective vivante des temps forts d’un des combats les plus exaltants livrés par le Père de la Côte d’Ivoire Moderne, pour la conquête de notre souveraineté maritime, combat marqué par des victoires éclatantes et par une fin contrastée. « La Côte d’Ivoire et la Mer » est, à l’image de ce combat, l’Histoire de la « Symphonie Inachevée » du Président Félix Houphouët – Boigny. Notre Président était en effet hautement imprégné des leçons que nous prodigue l’Histoire, à travers les remarquables réussites maritimes des Phéniciens, des Grecs, des Carthaginois et des Romains de l’Antiquité, suivis par les Arabes, les Portugais, les Espagnols, les Hollandais, puis par les Anglais, les Français et enfin, par les Cités-Etats de Gênes et Venise en Méditerranée, de Brême, d’Hambourg et de la Hanse Baltique, en Mer du Nord. Les exemples de ces Peuples et de ces Nations, qui, tour à tour, ont accédé à l’opulence et à la Suprématie Mondiale ou Régionale grâce à la Mer, ont renforcé chez notre Président l’intime conviction qui l’a toujours habité : « La voie de notre Libération Economique passe nécessairement par la Mer », donc par la conquête de notre Souveraineté Maritime.
Cette conviction, le Président Houphouët-Boigny la proclame dès l’aube de notre indépendance et la partage avec sa jeunesse et son peuple. L’occasion d’engager ce Combat Majeur lui est offerte par le premier choc pétrolier qui
frappe de plein fouet les économies industrialisées dès 1973. Les Puissants Armateurs d’Europe Occidentale, qui desservent nos côtes, par lesquelles transitent 90% de nos échanges de biens avec l’extérieur, tentent alors de nous
imposer unilatéralement des taux de fret exorbitants, transférant ainsi vers nos économies en développement déjà durement fragilisées par la crise pétrolière, les surcoûts du renchérissement du pétrole en Europe. Dans la rude bataille qui s’annonce dès lors et que d’aucuns n’hésitaient pas à comparer au choc entre les « pots de fer » du Nord et les « pots de terre » du Sud, notre cause semblait perdue d’avance.
Mais contre toute attente, la confrontation tourne à l’avantage de nos jeunes ETATS, qui remportent là une Grande Victoire ; Victoire qui en réalité est celle de la Raison et du Bon Sens, de la Concertation, du Dialogue et du Partage, à l’opposé des « Diktats » méprisants et de l’unilatéralisme des « Nantis de la Mer », comme aimait à le dire le « Sage de Yamoussoukro ». Cette Victoire, retentissante pour l’époque et qui, sans aucun doute, a marqué un Tournant
Décisif et Historique dans notre « Longue Marche » pour la conquête de la Souveraineté Maritime en Afrique de l’Ouest et du Centre, nous la devons d’abord à la mobilisation sans précédent et sans faille de nos 25 Chefs d’Etats,
qui, à l’initiative du Président Houphouët-Boigny ont « fait Bloc » et réalisé leur « UNION Sacrée », pour une cause Juste et Noble, celle de l’Afrique et de la Mer !
Nous devons aussi cette Victoire, à la mobilisation immédiate et militante de nos Ministres et de nos Cadres Maritimes qui, dans l’urgence et la ferveur, se réunissent à Abidjan du 05 au 07 Mai 1975, pour concrétiser la volonté unanime de nos Chefs d’Etat de faire, une fois pour toutes, barrage à l’unilatéralisme des Puissants de la Mer et à la marée montante des frets maritimes dans notre Région, en élaborant, tant pour le plan National que Régional, une nouvelle Politique Maritime Globale, Intégrée et Efficace, socle inébranlable de la sauvegarde de nos intérêts maritimes. Dans son bel ouvrage, qui nous fait revivre les péripéties de ce rude combat, le Professeur Tapé nous retrace les phases de la mise en place de l’Environnement Institutionnel de cette Nouvelle Politique, fondée sur ce qui deviendra plus tard l’OMAOC, l’Organisation Maritime de l’Afrique de l’Ouest et du Centre, avec sa Charte adoptée à l’unanimité, ou « charte d’Abidjan », sa Conférence des Ministres, notre Organe Exécutif, son Comité Régional de Négociation des Frets Maritimes, habilité à négocier au nom des « 25 », et ses « organes (dits) subsidiaires » : l’Union des Conseils des Chargeurs Africains (UCCA), l’Association de Gestion des Ports de
l’Afrique de l’Ouest et du Centre (AGP / AOC), l’Association des Compagnies Maritimes Nationales. Notre Organisation Maritime Régionale, sous l’impulsion de la Côte d’Ivoire Houphouetiste, a rapidement conquis ses lettres de Noblesse, en menant inlassablement, tout au long des décennies « 75 » et « 85 », aux quatre coins de l’Afrique, du Tiers-Monde et dans les Instances Internationales et Onusiennes, le Noble combat pour notre « Libération Economique par la Mer », approfondissant ainsi sans cesse les précieux acquis de notre première
grande Victoire de « Mai 75 », avec en point d’orgue, la mise en œuvre, immédiate, avant la lettre, du Code de Conduite des Conférences Maritimes de la CNUCED, dont la fameuse règle des « 40-40-20 » allait « booster » le
développement et la modernisation rapides de nos flottes marchandes et de nos infrastructures maritimes et portuaires dans leur ensemble, avec un accent appuyé sur la containerisation.
La croisade du Président Houphouët Boigny, menée à travers l’OMAOC partout en Afrique et dans le Tiers Monde et bien au delà, a créé une grande effervescence et suscité un puissant esprit militant au sein des élites maritimes
africaines, faisant de la Mer une Grande Cause Régionale dans tous les esprits et de notre Région, le Porte- Flambeau des NATIONS en Développement, dans cette bataille devenue multidimensionnelle et planétaire. Car pour nos cadres et nos élites maritimes, dorénavant aguerris et pétris de sciences, de savoir-faire et d’expertises dans les « Choses de la Mer », animés d’une ferveur militante sans égale et soucieux de sauvegarder tous nos intérêts légitimes en Mer au profit des générations actuelles et futures, il n’était plus question de se cantonner dans la seule conquête de nos Droits de trafic en matière de transport maritime.
Pour ces Militants de la « Mer Libérée et Partagée », mus par une Foi ardente et inébranlable, l’heure était venue de resserrer davantage les rangs, et puis de redéployer les intelligences, les énergies et les volontés vers toutes les autres Dimensions de la Gouvernance Mondiale des Océans et de l’« Economie Bleue » comme on l’appelle aujourd’hui, pour engager une autre Grande Bataille, en vue de l’établissement d’une Nouvelle Géographie des Espaces et des Ressources Maritimes du Globe et de l’instauration d’un Nouvel Ordre Maritime International et Multidimensionnel plus juste et plus équitable, entre toutes les Nations, du Nord au Sud de la Planète.
Cette bataille a été couronnée par la Grande Victoire de Montego Bay en Jamaïque en 1982, avec l’adoption, par la Communauté Internationale d’un Nouveau Traité, consacrant le Nouvel Ordre Juridique et Politique International
des Océans. La Grande Nouveauté de cette Convention, le concept de « Zone Economique Exclusive » de 200 milles marins, où l’Etat riverain jouit des pleins droits économiques, est une invention africaine, une contribution substantielle de nos élites maritimes à l’élaboration de la Nouvelle Législation régissant désormais les Espaces et les Ressources des Mers du globe, dans tous leurs aspects. A travers Montego Bay, l’Afrique, le Tiers-Monde et les Nations de Bonne Volonté, disposent désormais d’un Outil Privilégié pour aller à la conquête des Océans, de leurs richesses et potentialités immenses, en vue de préparer pour les générations actuelles et futures, un avenir de plus grande prospérité, où la pauvreté n’aura pas sa place !
Hélas, au début de la décennie « 90 », cette série victorieuse s’interrompt brusquement, avec la survenue quasi concomitante de trois grands malheurs, qui s’abattent sur nous et assombrissent brutalement l’horizon maritime
ivoirien et africain : La Disparition du Président Houphouët-Boigny, arraché à notre affection, en plein combat pour la « Mer Libérée et Partagée » !
La Dévaluation du Franc / CFA !
Le Démantèlement de nos Armements Nationaux, sous la Double pression de Bruxelles et des Institutions de Bretton Woods, à la faveur de la Dévaluation du Franc / CFA, et au nom du « sacro-saint » principe de libéralisme, poussé ici à l’extrême !
Notre compagnie maritime Nationale, joyau et fer de lance de notre politique maritime, cessait ainsi d’arborer fièrement sur les Mers du Globe, notre Pavillon National, faisant de la belle symphonie Houphouetiste de la « Mer
Libérée et Partagée » une « Symphonie Inachevée », comme celle de Schubert !
A l’inverse de la Symphonie de Schubert, et s’agissant de la Symphonie du « Cibouê National », de notre « Source de Vie », il nous faudra impérativement l’achever un jour !!! Car la Mer, l’« Economie Bleue » comme on l’appelle aujourd’hui, devenue un enjeu planétaire multidimensionnel, habite dans sa plénitude notre Avenir ! La Conquête de notre Souveraineté Maritime demeure l’une des conditions « sine qua non » de notre Libération Economique et de notre Prospérité dans la Durée ! C’est un « Impératif Catégorique et Incontournable » que l’Histoire nous impose, dans la perspective de notre Emergence Véritable ! L’espoir est permis car, à l’ombre du Président Félix
Houphouët Boigny, de concert avec les élites maritimes régionales et africaines, tous, militants intrépides, engagés pleinement dans une synergie fervente totale au service de nos intérêts maritimes légitimes, et, malgré de lourdes
épreuves et des vents contraires : Nous avons livré et remporté de haute lutte des batailles mémorables ! Nous avons posé des Actes Forts ! Nous avons élaboré des mécanismes et instruments juridiques efficaces tant au plan régional qu’international ! Nous avons fermement établi des jalons solides et précieux pour baliser le parcours de notre « Longue Marche » vers un Avenir de Prospérité Abondante et Partagée pour les générations Actuelles et Futures, où la pauvreté soit bannie à jamais !!! Aux Générations Nouvelles, de se mettre debout en ordre de bataille, et de se mobiliser avec encore davantage de cohésion et de ferveur militante que leurs Aînés, sous l’autorité de Président Alassane Ouattara, digne continuateur de Président Houphouët Boigny, pour prendre le relai, achever et parachever « la Symphonie Inachevée » du « Cibouê » puis assurer la Renaissance de notre Pavillon National, avec à la clé, une Souveraineté Maritime pleinement conquise et assumée, dans toute les dimensions de la Gouvernance des Océans ! Merci au Professeur Jean Tapé Bidi de nous offrir, à travers son ouvrage, remarquable, à tous égards, l’heureuse opportunité de nourrir ces réflexions fécondantes et de lancer ces exhortations pressantes en direction de notre Jeunesse, à la fois Espoir et Certitude de la Nation et de l’Afrique pour Demain !!!
Merci à toutes et à tous de votre aimable attention !
Amiral Mohamed-Lamine FADIKA.