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Kakou Ernest Tigori, président de l’UNN : « La Côte d’Ivoire a besoin d’une régénération intellectuelle et morale de sa classe politique »

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Par Léon SAKI – Afrique Matin.Net

En exil en France depuis 2009 après avoir subi une forte persécution pour ses opinions politiques, Kakou Ernest Tigori, est un jeune cadre ivoirien, président de l’Union pour la Nouvelle Nation (UNN), un parti de gauche créé en 2003. Son engagement contre les brimades sociales, la corruption et la cupidité politique des gouvernants est sans relâche depuis ses années universitaires jusqu’à ce jour. Dans cet entretien, il donne son point de vue sur la situation sociopolitique qui prévaut en Côte d’ivoire.

 

Vous ne semblez pas un visage habituel du paysage politique ivoirien. Qui êtes-vous ?

Je suis Kakou Ernest Tigori, président de l’Union pour la Nouvelle Nation (UNN), parti politique fondé en 2003. Depuis les années 1990, je participe au débat sur la gouvernance de la Côte d’Ivoire, et de l’Afrique d’une façon générale. Ma conviction est que nos pays africains n’ont aucune chance de s’en sortir tant qu’un minimum de moralité ne sera pas observé dans la conduite de nos affaires publiques. Dans les années 2000, j’ai entrepris une croisade contre la corruption : j’ai été un lanceur d’alerte contre le pillage de la Sotra, une société d’Etat qui coûte très cher au Trésor public pour un service médiocre et insuffisant aux populations. J’ai payé cher cet acte civique de dénonciation, par un licenciement sans droit, une condamnation et une persécution. J’ai dû prendre, pour ma sécurité, le chemin de l’exil depuis 2009. Ceci étant, ma détermination pour contribuer à remettre notre pays sur les rails est restée ferme. Que vaut ce que j’ai vécu face à ces millions d’Ivoiriens qui souffrent depuis tant d’années, et qui n’ont aucune possibilité de fuir l’insécurité et la misère. Pour vous dire que je suis loin d’être un grand anonyme dans le débat politique de mon pays.

La Côte d’Ivoire connait depuis quelques moments une certaine fronde sociale liée à des décisions que le président ivoirien dit ignorer. Le croyez-vous ?

Toutes les décisions avaient été annoncées depuis des semaines, voire des mois. Je ne crois pas que le manque d’autorité figure au nombre des défauts de Ouattara. Ce dernier ne s’attendait tout simplement pas à cette grogne, donc il essaie de se laver les mains des mesures impopulaires. Vous savez, quand un régime atteint le niveau de corruption de la Côte d’Ivoire, chaque personne qui détient la moindre parcelle de l’autorité de l’Etat, du planton au ministre, tente d’en profiter pour lui-même ou ses proches. Alors on imagine toutes sortes de mesures ou réformes dans le seul but de racketter un peu plus les populations. C’est la théorie de « on ne regarde pas dans la bouche de celui qui grille les arachides !» Chacun est implicitement autorisé à se créer des situations de rente. Ouattara est le chef d’un clan de corrompus à la cupidité insatiable, mais ils sont allés trop loin, ils ont atteint la limite supportable pour les pauvres populations.

Maintenant je ne suis pas de votre avis quand vous parlez de fronde. Il y a eu une grande grogne, mais malheureusement pas de fronde. Grâce aux réseaux sociaux, la grogne eut un large écho. La douleur des masses, que le porte-parole du gouvernement méprise en parlant de 100 ou 200 mécontents, a dégagé une lourde clameur. Ouattara s’est alors ressaisi sagement, mais il n’ignorait rien des mesures annoncées ou déjà appliquées. Nous avons besoin d’une vraie fronde, d’une révolte pour mettre hors d’état de nuire ce régime corrompu.

Avec ces mécontentements, peut-on dire que les Ivoiriens ont passé le cap de la peur ?

Les Ivoiriens ne sont pas un peuple de peureux. Ils bravent l’autorité quand ils ont quelqu’un qui porte leurs espérances. Dans les années 1947-1950, la Côte d’Ivoire fut le territoire le plus difficile pour la France coloniale, avec des manifestations et des morts à Bouaflé, à Dimbokro, à Abengourou, à Abidjan. Les Ivoiriens avaient Houphouët, un leader qui portait leurs espérances. Par la suite, avec le désapparentement de 1951, Houphouët se lança dans la coopération avec le pouvoir colonial et l’apaisement fut réalisé. Au début des années 1990, la Côte d’Ivoire connut des manifestations populaires de grande ampleur. Une portion importante de la population espérait en l’espoir que représentait Gbagbo. L’alliance Gbagbo-Ouattara de 1994 viendra élargir la base des opposants déterminés face au régime de Bédié, ce qui donna une décennie de braise où la volonté de changement surpassait toute peur.

Comme vous le voyez, les Ivoiriens n’ont pas peur quand ils ont des leaders pour porter leurs espérances. Aujourd’hui, l’offre politique visible et audible est composée de personnes qui ont trahi, qui ont déçu. Le peuple ne sort que lorsqu’il croit en des figures de proue ! Qui aujourd’hui ? Les mêmes personnes qu’on voit au gouvernement depuis 10, 15 ou 20 ans. Ces mêmes qui ont déjà participé à des partages de gâteau sur l’autel du sacrifice du peuple ? Un opposant comme Affi est du pain béni pour Ouattara.

La Côte d’Ivoire a besoin d’une régénération intellectuelle et morale de sa classe politique. Sans l’émergence d’une nouvelle génération de dirigeants acquis à la nécessité d’un redressement politique et morale, vierge et porteuse de valeurs, les Ivoiriens seront résignés, et la grogne sur les réseaux sociaux ne se transformera point en fronde, ni en un mouvement pour le changement. Or, c’est le changement qui compte. Nous devons changer la donne !

L’Union pour la Nouvelle Nation (UNN) se veut un creuset de bonnes volontés pour rebâtir notre pays sur des valeurs. C’est sûr que comme chef de l’opposition, Ouattara préférera toujours Affi à Tigori ! Mais c’est du peuple de Côte d’Ivoire que j’attends une légitimité !

Que vous inspirent tous ces événements qui se passent dans votre pays, notamment les augmentations, les conflits fonciers, les attaques terroristes ?

Pour les augmentations, il s’agit d’un gouvernement d’affairistes qui tente par tous les moyens d’extorquer de l’argent aux populations, de se créer de confortables situations de rente. Vous savez, être ministre en Afrique est l’une des meilleures sinécures au monde !

Le caractère meurtrier des conflits fonciers est révélateur de ce que les populations sont à l’abandon, face à des bandes armées qui sont bien établies dans certaines régions du pays, créant une grande insécurité. Le conflit du Boukani illustre bien cette situation. Les conflits entre éleveurs et agriculteurs ont toujours trouvé des solutions, sans déboucher sur les massacres que nous déplorons. Le problème aujourd’hui est que certaines communautés disposent de dozos, de vraies milices armées, dont elles se servent pour se faire justice. Ceci est très dangereux dans un Etat de droit, car si l’Etat ne se donne pas les moyens pour assurer la sécurité sur l’ensemble du territoire, chacun finira par prendre ses dispositions pour sa propre sécurité. Nous espérons vivement que la paix des cœurs reviendra dans le Boukani entre Koulango, Malinké, Lobis, Peulhs, et autres.

C’est l’occasion de dénoncer l’insécurité dans laquelle le pays est plongé. Pensez à ce phénomène des microbes ! En fait, pour ces irresponsables qui gouvernent le pays, la sécurité se résume à leur propre sécurité. Certaines autorités ont plus d’agents de sécurité à leur domicile que certaines villes, sans parler de la longueur de leurs cortèges … Les gens qui nous dirigent ne savent pas ce qu’est l’objet de la gouvernance.

Pour l’attaque terroriste de Bassam du 13 mars, il s’inscrit dans une crise régionale et mondiale qui nécessite une coopération internationale. En son temps, nous avons apporté notre soutien aux autorités ivoiriennes. Maintenant, avec le recul, nous remarquons que nos autorités ont annoncé avoir tué cinq terroristes alors que les commanditaires ont parlé d’un commando de trois personnes.  Qui sont les deux personnes de trop qui ont été tuées ? Tout cela n’est pas rassurant. Précipitation, amateurisme, panique et mensonge ne doivent plus présider à notre sécurité.

Que pensez-vous de l’adresse du président Ouattara face à la fronde sociale ?

Comme je l’ai déjà dit, il a reculé face à une grogne qui l’a surpris. Puisqu’il n’y a pas de statistiques économiques fiables, Ouattara et son gouvernement ne savent pas la misère que vivent les Ivoiriens : inflation, pouvoir d’achat, salaire moyen ou salaire minimum sont des indicateurs qui n’ont aucun sens pour ces prétendus grands économistes …

Les Ivoiriens ne doivent pas baisser la garde ! Pour l’instant, puisqu’il n’y que les #200 des réseaux sociaux, je leur demande de la vigilance et de la détermination.

J’ai montré ma détermination à lutter pour le redressement de mon pays, et j’en paye encore le prix. Si mes sœurs  Ivoiriennes et mes frères Ivoiriens me font confiance, je suis prêt à conduire la fronde décisive pour le changement.

 

Croyez-vous que toutes les promesses du président Ouattara seront tenues ?

J’espère ! Mais aujourd’hui, les Ivoiriennes et les Ivoiriens doivent exiger la bonne gouvernance, des politiques ambitieuses pour l’emploi, le pouvoir d’achat, l’habitat et le cadre de vie, l’école, la santé, la sécurité et autres.

Le moteur de la puissance publique est la volonté populaire. Il est temps qu’en Côte d’Ivoire et en Afrique, les populations expriment leurs volontés et exigent leur satisfaction par la puissance publique. Sinon, les dirigeants continueront de détourner allègrement les deniers publics pour leurs intérêts personnels.

 

Avec son silence total face à les événements qui surviennent, croyez-vous que Daniel Kablan Dunkan est réellement le premier ministre de la Côte d’Ivoire ?

On le sait, les chefs d’Etat africains aiment s’entourer de personnes qui ne leur fassent pas d’ombres, de gens plus loyaux que compétents. Duncan fait parfaitement l’affaire ! C’est pour ça qu’il est resté sept ans le premier ministre de Bédié. Tout le monde sait qu’il n’est pas dans le premier cercle autour de Ouattara. Dans les faits, le premier ministre n’a d’espace que ce que le président veut bien lui concéder, or Ouattara aime trop le pouvoir pour en céder à Duncan. Si ce dernier se plait dans ce rôle, tant mieux pour lui !

Quel message pourriez-vous faire aux Ivoiriens ?

Je voudrais lancer à mon peuple un message d’espoir. La mauvaise gouvernance, qui l’empêche de réaliser ses ambitions légitimes, n’est pas une fatalité africaine. Un pays comme le Botswana a toujours été bien gouverné. Depuis 20 ans, le Rwanda est bien gouverné. Notre pays souffre d’une classe politique médiocre qu’il faut mettre hors d’état de nuire. Cela dépend du peuple, et de lui seul !

Je suis engagé personnellement dans le combat contre cette classe politique nuisible qui anime la scène nationale depuis plus de 20 ans. Mais, quelle force ai-je ? Je ne puis rien sans le soutien des Ivoiriens. Je pense qu’aujourd’hui, avec toutes les difficultés de mes compatriotes, ils peuvent comprendre ce que je dénonce, ils peuvent adhérer à ma vision et à mes propositions.

Je demande donc aux Ivoiriens de me rejoindre dans le combat de l’UNN. Nous devons rebâtir notre unité nationale autour d’un Etat réinvesti dans sa mission de production de biens et services d’intérêt général. Pour cela, il est indispensable d’opérer à un redressement politique et moral du pays. Ceux qui ont divisé le pays pour leurs intérêts égoïstes se sont disqualifiés pour rebâtir sa cohésion et sa prospérité partagée.

Avec l’aide de Dieu, nous y parviendrons !

 

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